Les métiers de la mort : concevoir des sépultures écologiques

Les métiers de la mort : concevoir des sépultures écologiques

Dans une époque où la conscience environnementale s’infiltre dans tous les aspects de notre existence, la mort – sujet souvent évité et tabou – ne fait pas exception. Avec la montée en puissance des pratiques éco-responsables, l’idée de tombes écologiques commence à faire son chemin dans les esprits. Rencontre avec l’entrepreneuse Camille Beauchamp.

Votre parcours est singulier, Camille. Avant de plonger dans les profondeurs de votre projet et des métiers de la mort, pourriez-vous éclairer nos lecteurs sur les jalons qui ont marqué votre trajectoire professionnelle ?

Camille Beauchamp: Je suis originaire de Lyon. Après le bac, j’ai opté pour des études d’ingénieur en génie civil et aménagement urbain. J’avais en tête l’idée de créer de beaux espaces qui soient également utiles à tous.

J’ai eu l’opportunité de travailler dans différents bureaux d’études, avant de pivoter quelque peu et d’intégrer une start-up nommée Ecov. Elle vise à développer le concept de covoiturage spontané.

Au fil des années, ma conscience écologique s’est développée. D’abord à travers des petits gestes au quotidien, et ensuite en l’intégrant dans ma vie professionnelle.

En juin 2022, j’ai pris conscience que la qualité de vie à Lyon se détériorait, particulièrement pendant les étés chauds et suffocants. Ayant une sœur à Clermont-Ferrand, où j’avais déjà séjourné à plusieurs reprises, j’ai décidé de m’y installer, séduite par la proximité d’espaces naturels de qualité. Ce changement de lieu de vie m’a également amenée à réévaluer mes aspirations professionnelles. 

À quel moment votre idée a-t-elle germé en projet concret ?

Je me suis toujours sentie à l’aise avec la gestion de projet, où il faut coordonner  des équipes et relever des défis tous les jours pour aboutir à la réalisation d’un objectif commun.. Mes convictions écologiques ainsi que mon intérêt pour les aspects plus spirituels ont également été des éléments importants dans mon parcours.

Ma décision est née d’une prise de conscience personnelle liée à un deuil, en particulier celui de ma grand-mère. J’ai alors remarqué une certaine négligence dans l’aménagement des cimetières, comme si ces espaces étaient un peu oubliés quand il s’agit de réfléchir à un urbanisme durable, notamment en milieux urbains. Ce sont généralement des lieux qui, lorsque nous les examinons, nous apparaissent gris, tristes, froids et minéraux. Pourtant, ce sont des endroits hautement symboliques.

Je me suis demandée pourquoi il y avait si peu d’innovations dans ce domaine. J’ai donc pensé qu’il serait nécessaire de réinventer les monuments funéraires. De les orienter davantage vers l’écologie, en mettant l’accent sur la végétation et la biodiversité. 

C’est à ce moment-là que j’ai rencontré l’équipe de Cocoshaker. Lors de nos échanges, je me suis rendue compte que mon idée n’était peut-être pas si farfelue. Ils lançaient en novembre 2022 un programme d’expérimentation auquel j’ai candidaté. Cet accompagnement a été une vraie opportunité pour développer mon concept. Il m’a permis de voir jusqu’où je pourrais l’emmener et approfondir mes connaissances du monde funéraire. C’est un univers que je ne connaissais pas du tout jusqu’alors. 

Cela fait maintenant près d’un an que je travaille activement sur le projet Cimélo.

Camille, pourriez-vous pitcher Cimélo ?

Camille Beauchamp : La problématique environnementale dans les cimetières est peu connue du grand public. Les pierres tombales proviennent en majorité de Chine. Beaucoup de béton est utilisé pour les caveaux funéraires et les fondations nécessaires à la pose des monuments. Les cycles de l’eau et des sols s’en trouvent perturbés, et on prive la biodiversité de ressources et d’espaces naturels précieux, notamment en milieu urbain.

Enfin, lorsqu’on tente de rendre ces espaces beaux, on préfère les fleurs artificielles qui malheureusement ne sont ni compostables, ni recyclables. Ces fleurs contribuent à la pollution par les microplastiques lorsqu’elles se dégradent.

Cimélo, c’est un monument funéraire constitué, en tête de sépulture, une stèle verticale, une structure légère et facilement transportable, qui est à remplir avec des matériaux naturels comme des pierres, du bois ou des branchages. Ces matériaux offrent un habitat très intéressant pour la petite faune et  certains insectes.

Nous souhaitons conserver la pleine terre pour l’inhumation (pas de caveau béton). Et sur cette pleine terre, nous proposons de semer des graines adaptées aux conditions des cimetières – celles qui nécessitent peu d’entretien et d’arrosage, économisant ainsi l’eau et les ressources. Ces semences sont également mellifères. Un monument Cimélo crée ainsi un mini-écosystème pour la biodiversité. C’est une manière de penser à l’embellissement de façon éco-responsable tout en rendant un hommage respectueux au défunt.

Nous proposons également une petite gamme de décorations qui sont en accord avec les valeurs de notre projet : elles sont en matériaux recyclables ou biodégradables en fin de vie, fabriquées en France, et cela permet de favoriser l’artisanat.

Où en êtes-vous aujourd’hui avec votre projet ?

Camille Beauchamp : Depuis le début de cette année, j’ai rencontré des professionnels du secteur funéraire ainsi que le grand public. Quand je leur montre à quoi pourraient ressembler les cimetières de demain, certains affirment que si c’était ainsi, ils repenseraient leur avis sur la crémation. Cela donne du sens à ce que nous faisons.

Les retours des professionnels du funéraire sont particulièrement intéressants. Ils montrent un grand intérêt pour ces sujets et sont en attente de produits complémentaires qui pourraient enrichir leur offre. Ils observent de très près les avancées que nous réalisons. 

Actuellement, je suis en pleine phase de finalisation du prototype. J’ai obtenu une concession dans un cimetière et j’ai installé mon prototype là-bas, sur ma concession, pour tester, expérimenter et peaufiner notre proposition.

Où en est-on d’un point de vue légal sur l’inhumation en pleine terre ?

Camille Beauchamp : D’un point de vue légal, il n’y a rien qui empêche concrètement la mise en œuvre de notre projet. C’est principalement le règlement intérieur de chaque cimetière qui délimite ou autorise les choix que l’on peut faire sur sa propre concession. 

En France, la seule chose réellement imposée par la loi, c’est l’usage d’un cercueil ou d’une urne pour les cendres, ainsi que la présence d’une plaque indiquant le nom du défunt et ses années de naissance et de décès.

Les entreprises de pompes funèbres proposent généralement différents types de monuments et caveaux, surtout si elles disposent de services de marbrerie. D’autres entreprises funéraires, plus alternatives, comme les coopératives funéraires et certaines pompes funèbres indépendantes adoptent des valeurs différentes, par exemple en proposant des produits écoresponsables et en rappelant que l’inhumation pleine terre est une pratique possible.

Comment envisagez-vous de commercialiser les sépultures Cimélo ?

Camille Beauchamp : Nous envisageons d’industrialiser une forme de kit qui comprendrait la structure de la stèle et un kit de semences, ainsi qu’un guide expliquant comment installer cette sépulture. Nous envisageons un développement à une échelle nationale, et la commercialisation implique plusieurs étapes importantes. L’objectif est d’expérimenter et de permettre aux pompes funèbres d’ajouter ce produit à leur catalogue de monuments funéraires. 

Nous imaginons également une vente directe aux particuliers via le e-commerce pour le kit Cimélo. L’idée serait que les familles puissent elles-mêmes installer la sépulture, ce qui peut faire partie intégrante du processus de deuil.

Enfin, les collectivités qui sont engagées dans la renaturalisation des cimetières pourraient proposer des concessions pré-aménagées avec le système Cimélo. Ceci favoriserait  l’adoption de pratiques plus respectueuses de l’environnement dans les choix funéraires.

Quels sont les acteurs et les métiers de la mort qui gravitent autour de Cimélo ?

Camille Beauchamp : L’écosystème autour de Cimélo est vaste. Il inclut des partenariats avec des pompes funèbres, des coopératives funéraires, et des professionnels tels que les célébrants de cérémonies funéraires qui accompagnent les familles dans la création de cérémonies personnalisées. Nous collaborons aussi avec le milieu des religions, car la tombe Cimélo, de nature laïque, est compatible avec plusieurs croyances. 

Y a-t-il des pays dont l’approche avant-gardiste de la mort vous inspire ?

Camille Beauchamp : Deux pays se démarquent par leur approche innovante et ouverte : le Canada et les États-Unis. Ils sont très avancés sur des pratiques comme l’humusation ( compostage du corps humain, appelé aussi “terramation”) ou les forêts funéraires. Ils ont développé des cimetières qui sont de grands espaces naturels où l’on peut inhumer des urnes auprès d’un arbre, créant ainsi des forêts cinéraires. 

C’est l’instant carte blanche, quelque chose à ajouter ?

Camille Beauchamp : Je suis ravie de vous annoncer que le produit Cimélo sera lancé début 2024. Vous pourrez suivre l’actualité du projet sur notre site internet qui sera mis en ligne prochainement. Je suis également active sur LinkedIn pour toutes les mises à jour et discussions autour de notre initiative.

Et si je peux me permettre un conseil : on pense souvent que la mort est un sujet tabou alors que beaucoup de personnes ont en réalité envie d’en parler. N’hésitez pas à engager la conversation, à préparer et à savoir ce que vos proches veulent pour leur propre fin de vie. Cela permet de rassurer et d’aborder la mort d’une manière plus sereine. J’espère sincèrement que le projet Cimélo contribuera à transformer notre vision de la mort. Être à l’aise avec l’idée de sa propre fin peut nous aider à vivre notre vie de manière plus pleine et plus consciente. Chez Cimélo, même si nous parlons de la mort, il s’agit surtout d’un sujet qui traite de la vie, et notre but est de ramener la vie dans les cimetières.

À propos de Pauline Rivière

Pauline Rivière est journaliste et rédactrice en chef du média en ligne le Connecteur. Elle est en charge du choix des dossiers spéciaux mensuels. Elle développe également des outils de datavisualisation à destination de l'écosystème de l'innovation et s'intéresse à l'innovation éditoriale. Avec sa société SmartVideo Academy, elle anime différentes formations à la réalisation de vidéos (au smartphone notamment) et à l’écriture audiovisuelle. Elle intervient également dans l'Enseignement Supérieur dans le cadre de projets pédagogiques digitaux, mêlant techniques de communication et sujets d'innovation.