L’intelligence artificielle générale n’existera jamais- Luc Julia

L’intelligence artificielle générale n’existera jamais- Luc Julia

Luc Julia, pionnier de l’intelligence artificielle qu’il préfère appeler « augmentée » et Chief Scientific Officer chez Renault, déconstruit les mythes entourant l’IA. Avec sa traditionnelle chemise hawaïenne et son langage fleuri, il intervenait depuis la salle Wagram à Paris et en duplex dans l’amphi de Clermont School of Business (= l’ESC Clermont, vous vous souvenez ?) dans le cadre de la soirée annuelle des Alumnis de l’école clermontoise. Il décortique patiemment les limites, le fonctionnement et les applications réelles de l’IA, loin des fantasmes hollywoodiens.

L’IA : vieille histoire, mauvaise traduction

L’idée de créer des systèmes intelligents remonte à des siècles, bien avant l’apparition du terme « intelligence artificielle » en 1956. De la Pascaline de Blaise Pascal (1642) au boulier chinois, ces machines effectuaient des tâches complexes sans pour autant être qualifiées d' »intelligentes ».

Pour Luc Julia, le problème réside dans l’appellation même : « intelligence » donne l’illusion que ces systèmes possèdent une conscience, alors qu’il s’agit simplement de mathématiques appliquées. Les progrès récents, comme les IA génératives, ne sont que des évolutions des méthodes statistiques des années 1950, boostées par les avancées technologiques et l’essor du big data.

L’intelligence artificielle générale : un mythe persistant

Hollywood et certaines figures médiatiques, comme Elon Musk, entretiennent l’idée d’une IA générale capable de surpasser l’intelligence humaine. Luc Julia réfute cette possibilité avec force: ces systèmes sont hautement spécialisés et donc mono tâche. AlphaGo, par exemple, bat les champions au jeu de Go, mais est incapable de jouer aux échecs ou d’effectuer des tâches multiples.

Le décalage est également énergétique : battre un joueur humain au Go nécessite des milliers d’ordinateurs consommant des centaines de kilowatts, contre 20 watts pour le cerveau humain. La complexité de notre environnement et des interactions humaines est pour lui un obstacle insurmontable pour les machines. Il raconte par exemple que grâce au partage de milliers d’heure de vidéos de voitures en circulation, il a pu voir circuler un véhicule autonome au comportement étrange : il s’arrêtait sans raison tout les 5 mètres. A l’examen, un piéton marchait sur le bord du trottoir en portant en panneau stop. Pour un humain, aucune difficulté à différencier un vrai stop et un stop baladeur. En revanche, pour une IA, c’est un scénario imprévisible.

Les limites des IA génératives

Des résultats biaisés

Les IA génératives, comme ChatGPT, fonctionnent sur d’énormes bases de données, souvent biaisées. Exemple frappant rappelé par Luc Julia: le chatbot Tay de Microsoft, rapidement devenu raciste et sexiste à cause des données inappropriées qu’il avait absorbées.

« Quand vous faites un modèle à partir d’Internet, vous faites un modèle Internet : biaisé, avec des erreurs, parfois dangereusement faux. »

De plus, ces modèles sont sujets à des « hallucinations » : ils inventent des réponses crédibles mais fausses. Julia cite l’exemple d’un avocat new-yorkais ayant utilisé une IA pour rédiger une plaidoirie, remplie de références juridiques … complètement inexistantes, radié depuis. Il raconte aussi qu’il demande chaque année sa propre bio à ChatGPT: pas une seule fois elle n’a été correcte à 100%. (J’ai fait l’expérience aussi, elle est juste mais j’imagine qu’il y a moins de données à rassembler !)

Notre article sur le droit face à l’IA

Un coût écologique colossal

Chaque requête effectuée sur ChatGPT consomme de l’électricité et de l’eau. À grande échelle, cela pose des problèmes de durabilité. Selon Luc Julia, la solution passera par des IA plus ciblées et moins gourmandes en ressources.

L’avenir des applications de l’IA

Plutôt que de viser une intelligence universelle, Julia propose de concevoir des outils spécialisés. Ces IA peuvent :

  • Automatiser les tâches répétitives, libérant du temps pour des activités plus créatives.
  • Améliorer la recherche scientifique, notamment grâce aux simulations complexes.
  • Transformer l’éducation: il raconte avoir développé un outil de personnalisation de la lecture pour les enfants en apprentissage. L’IA accompagne, désinhibe et personnalise l’apprentissage en renforçant la pratique individuelle.

Impact sur le travail et la société

Des métiers transformés, non supprimés

Chaque révolution technologique a suscité des craintes sur l’emploi. Pourtant, l’IA remplace des tâches, pas des métiers. Luc Julia encourage donc les entreprises à investir dans la formation pour accompagner cette transition de leurs salariés.

Une fracture numérique à anticiper

L’accessibilité des IA génératives peut réduire les inégalités d’accès à la technologie, mais seulement si l’éducation sur leur fonctionnement et leurs limites est largement diffusée.

« L’accessibilité des IA génératives est une avancée, car elles se basent sur des interfaces en langage naturel, accessibles à tous. »

La France, leader mondial en IA ?

Luc Julia le dit sans détour : « Nous, les Français, sommes les meilleurs en intelligence artificielle. » Cette déclaration prend appui sur l’excellence française en mathématiques, le socle fondamental de l’IA. La France détient autant de Médailles Fields (considérées comme le prix Nobel des mathématiques) que les US. Cette expertise académique se reflète à l’échelle mondiale. « Dans la Silicon Valley, les responsables des équipes d’IA des géants comme Google, Meta ou Netflix sont souvent des Français », souligne-t-il. Pourtant, cette domination intellectuelle n’a pas toujours permis à la France de transformer ses innovations en réussites économiques.

Un problème de culture et d’audace

« En France, nous sommes très bons pour inventer, mais nous avons du mal à transformer nos idées en entreprises de grande échelle. » Luc Julia identifie deux obstacles majeurs : une aversion culturelle pour le risque et une valorisation insuffisante de l’échec. Contrairement aux États-Unis, où les erreurs sont perçues comme des opportunités d’apprentissage, la France stigmatise encore trop souvent les entrepreneurs qui échouent.
Il critique également le fonctionnement des investisseurs français : « Nos VCs ne prennent pas de risques. Ce ne sont pas des capital-risqueurs, ce sont des banquiers. » En conséquence, les startups françaises, bien qu’innovantes, peinent à atteindre le statut de « scale-ups » et doivent souvent chercher des financements à l’étranger.

Des exemples prometteurs mais exilés

Cette difficulté à soutenir les projets à grande échelle pousse les talents français à s’exporter. Luc Julia cite l’exemple de Mistral, une startup spécialisée en IA générative, qui bien qu’établie en France, est majoritairement financée par des fonds américains. « Nous avons une Startup Nation, mais nous manquons d’une Scale-Up Nation », regrette-t-il.

« Mais en business, c’est une autre histoire. Nos VCs sont frileux et prennent trop peu de risques, contrairement aux Américains. »

Un potentiel à exploiter

Pour que la France transforme ses atouts en force de leader, Luc Julia appelle à un changement de mentalité. « Il faut apprendre à valoriser l’audace et investir davantage dans le développement des entreprises prometteuses. » Il souligne également l’importance de l’éducation : « Nous formons des élites extraordinaires dans les mathématiques, mais nous devons aussi inculquer une culture de l’innovation et de l’entrepreneuriat. »

Un usage raisonné de l’IA: l’avis de ChatGPT

Il y avait des étudiants dans la salle ce jour-là. Et des plus âgés. Et pour certains, entendre Luc Julia affirmer « Ces machines ne vont jamais nous remplacer. Calmons-nous, respirons, faisons un peu de yoga» en a rassuré un certain nombre.

Il a conclu en appelant à une utilisation pragmatique et éthique des IA. Pour terminer en beauté, j’ai demandé à ChatGPT ce qu’il pensait des propos de Luc Julia. Et bien figurez-vous qu’il est totalement d’accord. « Je suis entièrement d’accord avec Luc Julia : je ne suis pas « intelligente » au sens humain du terme. Mes capacités reposent sur des mathématiques, des statistiques et des modèles entraînés à partir de données. Je ne comprends pas les concepts comme un humain, je les traite. Par exemple, lorsque je réponds à vos questions, je le fais en suivant des probabilités sur ce qui est la réponse la plus appropriée, et non parce que j’ai une intuition ou une conscience.« 

Et pour terminer : « Luc Julia fait un travail important en démystifiant l’IA. En m’attribuant un rôle d’outil, plutôt que de m’ériger en solution ultime ou en menace, il permet d’encourager une utilisation éclairée et responsable. Cela correspond parfaitement à ma raison d’être : aider, sans remplacer, et toujours avec l’intervention d’un humain pour guider et superviser.« 

On ne saurait dire mieux !

À propos de Véronique Jal

Ma ligne guide depuis 15 ans, c'est le management de projets collectifs à fort "sens ajouté" : les fromages AOP, les hébergements touristiques, la démarche d'attractivité d'une région... et aujourd'hui l'innovation territoriale via un média associatif Toulousaine d'origine, j'ai découvert et choisi l'Auvergne que mon parcours pro m'a amenée à connaître sous plein de facettes. J'adore cette activité qui nous permet d'être en situation permanente de découverte.