Burn-out, isolement, pression financière : les entrepreneurs en difficulté sont souvent confrontés à une spirale psychologique destructrice. Avec une approche basée sur l’écoute et le soutien, Second Souffle intervient pour sauver l’humain derrière l’entreprise. Cet entretien explore les tabous autour de la santé mentale des dirigeants, les mécanismes d’accompagnement et l’importance de briser le silence face aux échecs.
Dossier spécial en partenariat avec Fidal Centre France
J’aime bien demander à mes invités de me raconter leur vie depuis la crèche !
J’ai grandi en Sologne, et j’ai eu une enfance très heureuse. Mon adolescence, par contre, a été un peu plus perturbée. Cela m’a mené sur un parcours particulier, notamment au niveau professionnel. J’ai commencé par une carrière militaire que j’ai rapidement quittée. Ensuite, j’ai été obligé de trouver une activité professionnelle tout en reprenant des études en parallèle pour rebondir. Heureusement, la France offre un écosystème qui permet toujours de se construire, ce qui est une grande chance.
Professionnellement, j’ai surtout travaillé dans le domaine du marketing et la vente. J’étais manager de business units, qui sont de petites entités gérées comme des PME au sein de Michelin. J’ai également travaillé dans un incubateur appelé « Le Bivouac ». Après avoir quitté Michelin, j’ai repris une entreprise avec Laurence, ma femme. Malheureusement, nous avons dû la liquider.
Comment en êtes-vous arrivé à vous investir dans l’accompagnement des entrepreneurs en difficulté avec Second Souffle ?
En effet. Ce qui m’a attiré chez Second Souffle, c’est leur approche, centrée sur l’écoute et le soutien aux entrepreneurs. C’est un moment où l’on a besoin d’un accompagnement solide. Un autre aspect qui m’a séduit, c’est l’ancrage local et l’économie sociale.
Nous sommes un réseau de 400 bénévoles à travers la France. Il y a environ 50 antennes locales. Pour ma part, je suis responsable de l’antenne de Clermont-Ferrand depuis six mois, tout en assurant un rôle de coordination à l’échelle régionale Auvergne-Rhône-Alpes.
Quels sont les profils des bénévoles locaux de Second Souffle ?
Une partie sont des retraités ayant géré une entreprise, avec tout ce que cela implique, y compris parfois des difficultés comme des liquidations. D’autres bénévoles sont encore en activité professionnelle. Ce qui est essentiel, à mon sens, c’est d’assurer une mixité entre ces profils. Nos bénévoles se divisent en deux grandes catégories : les parrains, qui assurent un accompagnement individuel, à l’écoute des entrepreneurs, et les experts métiers, qui interviennent sur des thématiques spécifiques de manière transversale. Tous mobilisent leur réseau pour trouver des solutions.
Et en quoi consiste concrètement l’accompagnement proposé par Second Souffle ?
Notre approche repose avant tout sur l’écoute. La majorité des entrepreneurs qui viennent à nous arrivent malheureusement trop tard, alors que leur situation est déjà critique. Ils sont souvent dans un état psychologique complexe. Notre première mission est donc de les écouter et de les remobiliser pour les aider à prendre les bonnes décisions. Il s’agit d’abord de sauver l’entrepreneur, puis de tenter de sauver l’entreprise.
Nous cherchons aussi à sensibiliser les entrepreneurs plus en amont. En effet, dès les premiers signes de difficultés, il est souvent possible d’activer des aides ou des dispositifs. Mais tous ne font pas cette démarche car ils sont confrontés à la peur de parler de leurs difficultés. Cela reste tabou, quel que soit le réseau auquel ils appartiennent.
Même au sein de leurs réseaux, ce n’est pas un sujet qui est abordé ?
Exactement. Moi-même, quand j’ai repris une entreprise, j’ai suivi une formation préparatoire dans une association spécialisée. On nous a parlé de l’écosystème d’aides en cas de difficulté pendant… cinq minutes, tout au plus. C’est beaucoup trop bref ! Il faut intégrer cette information dès la création d’une entreprise. Aujourd’hui, cela reste un sujet que l’on évite car on a peur de « faire peur » aux créateurs. Mais c’est une erreur.
Ce qu’il faut, c’est savoir qu’il existe un écosystème capable d’aider rapidement. Malheureusement, certaines structures comme le tribunal de commerce, l’Urssaf ou le fisc font peur, alors qu’une action anticipée avec ces interlocuteurs pourrait souvent sauver une entreprise.
Lorsque les entrepreneurs en difficulté contactent Second Souffle, dans quel état psychologique sont-ils ?
Souvent, ils sont pris dans une spirale qu’on appelle les « 3D » : Dépôt de bilan, Dépression et Divorce. Les cas les plus graves sont ceux qui ont trop attendu. Leur détresse psychologique est immense, et ils peuvent en arriver à abandonner complètement la gestion de leur entreprise. Par exemple, nous avons eu un cas où une personne n’avait ouvert aucun courrier depuis deux ans. Cela montre à quel point la situation peut être critique.
Oui. Donc, au moment où ils appellent, ils n’en ont parlé à personne ? Il n’y a pas d’autres acteurs, comme les banques ou les experts-comptables, qui tirent la sonnette d’alarme ?
Et bien, il y a effectivement de nombreux acteurs qui pourraient être des alertes potentielles : les experts-comptables, les banquiers, l’Urssaf… C’est pour cela que nous travaillons activement à renforcer nos partenariats.
Nous avons, par exemple, un partenariat entre Second Souffle et l’Urssaf de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Nous avons convenu de travailler ensemble pour mieux communiquer et apporter mutuellement notre aide. L’Urssaf peut mettre en relation avec nous des entrepreneurs en difficulté, ce qui leur permet de bénéficier rapidement d’un accompagnement et de sortir d’une situation compliquée.
Quels sont les messages que Second Souffle diffuse aux entrepreneurs pour éviter ces situations ?
L’un des messages clés est qu’il faut comprendre qu’être entrepreneur est un métier différent de celui d’expert technique. Beaucoup d’entrepreneurs sont très compétents dans leur domaine, mais ne réalisent pas qu’ils doivent également maîtriser la gestion, le management, la trésorerie et la prospection.
La posture doit évoluer lorsqu’on devient entrepreneur. Par exemple, certains n’ont pas une gestion rigoureuse ou peinent à aller vers les autres pour prospecter ou négocier. C’est souvent l’une des raisons pour lesquelles les jeunes entreprises chutent rapidement.
Vous avez mentionné que vous aviez repris une entreprise que vous avez dû liquider. Pouvez-vous partager votre retour d’expérience ? Comment avez-vous traversé cette période ?
Lorsque tout commence à aller mal, vous entrez dans une spirale infernale. Vous essayez de tout faire, mais sans prioriser correctement, ce qui complique encore les choses si vous êtes mal accompagné. Heureusement, ma femme et moi avons eu la chance de bien choisir nos partenaires, ce qui nous a permis de procéder à une liquidation rapide et propre.
Sans cela, on peut perdre le fil et s’épuiser. Vous travaillez sans relâche, doutez de tout, et perdez la prise de hauteur nécessaire pour réfléchir correctement. Parfois, on pense à tort que rester constamment dans l’entreprise la sauvera, mais c’est une erreur. Il faut savoir s’arrêter, prendre du recul, s’oxygéner et demander de l’aide.
Cacher ces difficultés à sa famille est aussi une erreur. Cela peut créer un sentiment de trahison. Par exemple, certains entrepreneurs me disent qu’ils n’en parlent pas à leurs enfants ou leurs conjoints, mais ces derniers sentent bien que quelque chose ne va pas.
Entreprendre comporte toujours une part de risque. Quelles sont les conséquences d’une liquidation si elle se passe mal ?
Il est crucial de comprendre à quoi l’on s’engage lorsqu’on crée une entreprise et de bien évaluer les aides que l’on sollicite. Par exemple, un prêt d’honneur est très avantageux avec son taux à 0 %, mais il est contracté à titre personnel. Cela signifie que, même en cas de liquidation, vous devrez continuer à rembourser ce prêt.
En revanche, un prêt bancaire est généralement attaché à la société, sauf si vous avez été caution personnelle. Il faut être très vigilant avec ces engagements, car ils peuvent avoir des conséquences sur votre patrimoine personnel.
Il est également important de respecter les délais en cas de cessation de paiement. Vous avez 45 jours pour le déclarer au tribunal. Si vous ne le faites pas, cela peut engager votre responsabilité personnelle.
Oui. Et qu’est-ce qui fait que certaines personnes peuvent recréer une entreprise après une liquidation alors que d’autres se retrouvent fichées ou interdites ?
Cela dépend principalement des erreurs de gestion qu’ils ont pu commettre. Par exemple, ne pas respecter la règle des 45 jours pour déclarer une cessation de paiement au tribunal peut engager leur responsabilité pénale. D’autres erreurs peuvent inclure des actes de gestion interdits ou non conformes à la loi.
Si, en revanche, la gestion est propre et professionnelle, il n’y a aucune raison pour laquelle une personne ne pourrait pas recréer une entreprise. Ce sont ces erreurs ou manquements qui peuvent causer des interdictions.
Une dernière question : quels conseils donneriez-vous à des entrepreneurs, qu’ils soient en difficulté ou non ?
Le maître mot est le pilotage de la trésorerie. Il est essentiel d’avoir une vision à long terme pour anticiper les problèmes. Ensuite, je recommande de ne jamais rester seul : être en contact avec des réseaux d’entrepreneurs est crucial pour obtenir de l’aide et du soutien. Enfin, il faut être attentif à son marché et aux évolutions de son écosystème professionnel. Les cycles sont de plus en plus courts, et il est important d’anticiper les changements pour éviter de se faire dépasser.