Relocaliser l’alimentation: retisser tous les maillons

Relocaliser l’alimentation: retisser tous les maillons

Nouvel épisode de la  série d’émissions consacrées aux grands enjeux de résilience du territoire et du rôle que peuvent jouer les entreprises réalisée par Le Connecteur, en collaboration avec Sens 9 et avec le soutien de Clermont Auvergne Métropole. Objectif de cette série : contribuer à rapprocher les mondes et donner à entendre des initiatives collaboratives bénéfiques, reproductibles et intensifiables. Le thème du jour,  relocaliser l’alimentation.

Pour en parler,  Jean-Marie Vallée,  Vice-Président en charge de l’alimentation, de l’agriculture, de la biodiversité et des espaces naturels de la Métropole.   Jimmy Balouzat, conseiller en transition, pour AirCoop, Vanessa Isseri, responsable R&D au CISCA, Centre d’innovation sociale Clermont-Auvergne,  Jérémy Alves, directeur de la ceinture verte Pays d’Auvergne et porteur d’un projet de création d’un atelier de transformation de légumes. Isabelle Desclozeaux, responsable PAT chez Sodexo, Claire Planchat et Anthony Fardet, chercheurs à l’INRAé, spécialisés sur les questions d’alimentation.  Jean-Philippe Nicolaux, directeur entrepreneuriat et économie rurale de Landestini, et également avec une ancienne casquette des gestionnaire d’un restaurant scolaire du groupe Sodexo. 

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« 98% du contenu de nos assiettes n’est pas produit localement. » 

Pour poser le contexte, Jimmy Balouzat cite l’étude réalisée en 2017 par Utopies, qui révèle que les grandes aires urbaines en France ont une autonomie alimentaire moyenne de seulement 2%.  98% des aliments consommés sont donc produits ailleurs. Jérémie Alves complète en rappelant que  Le Grand Clermont vise à augmenter son autonomie en fruits et légumes de 13  à 50% d’ici 2050, nécessitant la reconversion de 4000 hectares de terres agricoles. Ambition qui pose des défis majeurs quant à la progression et la mobilisation politique: le gap est significatif.

Ce constat s’accompagne de conséquences sociales et environnementales.

D’abord, une perte de culture agricole et alimentaire relevée par Jean Philippe Nicolaux, de Landestini, “‘la migration vers les villes et l’industrialisation de l’agriculture ont vidé les campagnes et réduit le nombre d’agriculteurs. Nos enfants ne savent plus comment pousse une carotte, se produit un litre de lait…Il est crucial de revitaliser les zones rurales et d’éduquer les nouvelles générations sur l’agriculture  » Landestini par exemple, construit des potagers dans les écoles et  gère une ferme urbaine sur la métropole, où les enfants viennent découvrir.”.

Ensuite, selon Claire Planchat de l’INRAé, pour 100 euros d’achat alimentaire, seulement 6,50 euros vont à l’agriculteur. Les circuits alimentaires fragmentés conduisent à une perte de biodiversité et soulignent l’importance de reconnecter les consommateurs à la nature et à l’alimentation locale. Enfin Anthony Fardet, de l’INRAé aussi, le souligne: relocaliser l’alimentation signifie aussi relocaliser la transformation. Les transformateurs et distributeurs jouent un rôle crucial dans la qualité et durabilité des aliments. Une meilleure implication de petites et moyennes entreprises locales est essentielle pour un système durable.

Les PAT, des initiatives pour la relocalisation alimentaire

Instaurés parla loi d’avenir pour l’agriculture en 2014, la France compte aujourd’hui 457 Projets Alimentaires Territoriaux (PAT). Ils visent à renforcer la souveraineté alimentaire et la coopération locale pour des territoires économiquement sains. Vanessa Iceri du CISCA insiste sur le fait que les PAT sont conçus pour impliquer largement. Ils  se distinguent par leur ambition systémique et leur gouvernance territoriale, impliquant tous les acteurs de la chaîne alimentaire, y compris les secteurs de la santé et de la justice sociale. Ils peuvent devenir des politiques ou plans d’alimentation territoriale, promouvant une cohérence et une action collective à long terme. Des actions concrètes comme la création de légumeries, la reprise d’abattoirs, et l’achat de foncier pour les agriculteurs sont également des résultats tangibles des PAT. [lire notre article « Un avis citoyen pour accélérer l’autonomie alimentaire« ]

Re-former les cuisiniers

Isabelle Desclozeaux est responsable PAT chez Sodexo. Ce groupe international s’est intéressé aux projets alimentaires territoriaux dès le début, influencé par des initiatives comme le Grenelle de l’environnement et des demandes de collectivités pour relocaliser les approvisionnements alimentaires. “Initialement, des a priori existaient entre producteurs et grandes sociétés comme Sodexo, mais ces préjugés se sont atténués grâce à une meilleure explication des processus et des exemples concrets de collaboration réussie.”

Pour Jean-Philippe Nicolaux, qui a géré dans une autre vie un restaurant Sodexo, la transformation et l’utilisation de produits bruts dans les cuisines collectives sont complexes, en raison d’infrastructures disparues ou centralisées et du manque de personnel formé à la préparation de produits frais. “il faut que les gens qui travaillent dans les cuisines redeviennent des cuisiniers. »

Sodexo investit donc dans la formation de ses équipes pour la manipulation et la cuisson des produits locaux et frais, en expliquant l’importance et les particularités de ces produits afin de garantir leur bonne utilisation et d’éduquer les consommateurs sur leurs caractéristiques. Ce type de démarche est également souvent pratiquée dans le cadre des PAT, l’occasion, là encore, de recréer des espaces de rencontres entre tous les acteurs de ce même écosystème.

Des solutions adaptées

Concernant les infrastructures, par exemple,  l’un des projets phares du PAT d’Issoire est la création d’une cuisine centrale. C’est une solution intermédiaire entre la création d’infrastructures, coûteuses et qui nécessiteraient du personnel qualifié dans chaque établissement, et l’externalisation complète. Cette initiative vise à reprendre la production de repas en régie plutôt que de passer par un prestataire externe. Le projet est en phase de dimensionnement pour déterminer le nombre de communes et de classes à desservir et fixer le prix de production des repas.

Allotissement des marchés publics & cuisines centrales

Un autre frein qui se lève progressivement concerne les marchés publics, peu adaptés au fonctionnement deplus petits producteurs. Selon Jean-Marie Vallée, les règles des marchés publics compliquent l’accès pour les petits producteurs, rendant difficile l’approvisionnement local et bio. La loi Egalim, bien qu’encourageant le bio, pose des défis en raison du manque de production locale suffisante.

Face à cette complexité, c’est le sujet de l’allotissement des marchés publics qui doit se développer pour permettre aux petits producteurs de répondre aux besoins des cuisines collectives. En segmentant les marchés publics par type de produit (par exemple, yaourts de vache, fromages à pâte dure), les petits opérateurs peuvent participer et fournir leurs produits.

Et puis, ajoute Jean-Marie Vallée, la Métropole a encouragé la collaboration entre cuisiniers et producteurs via des clubs et des centrales d’achat, permettant de mieux répondre aux besoins de la restauration collective et des services comme les repas à domicile pour les personnes âgées.

Préparer les petits (et grands) palais : programme Planet Kids

Tout est lié dans ce sujet de l’agriculture et l’alimentation, il faut boucler la boucle et ne pas oublier qu’il faut aussi, au bout de la chaîne, des consommateurs en capacité d’apprécier. 

C’est, sommairement, l’objet du projet Planet Kids et c’est Claire Planchat qui en explique les ambitions.

Il vise à améliorer les comportements alimentaires des enfants de 6 à 15 ans, avec des thématiques clés comme la réduction des aliments ultra-transformés, l’équilibre entre protéines animales et végétales, la consommation de céréales non raffinées, et la promotion des légumineuses. Et aussi, élément d’importance, il s’agit d’entretenir  la diversité alimentaire parce que, “si on ne le fait pas, on perd la capacité à apprécier des goûts variés, ce qui est essentiel pour une alimentation saine”.

Planet Kids utilise diverses approches, comme les escape games dans les supermarchés pour éduquer les parents et les enfants sur la lecture des étiquettes et l’origine des produits. Le projet implique une collaboration étroite avec des écoles, des parents, des chercheurs, et des professionnels de la santé pour une éducation alimentaire complète.

Et enfin, Planet Kids travaille sur des projets concrets comme l’approvisionnement local en viande ferrandaise pour les cantines scolaires, évaluant l’impact de telles initiatives sur les enfants, les cuisiniers, et les élus locaux. Ces projets servent ensuite la base pour des plaidoyers auprès des instances européennes pour promouvoir des politiques alimentaires durables.

« L’éducation, c’est aussi mettre les mains dans la terre et apprendre aux enfants les choses fondamentales de l’agriculture à petite échelle. »

JP Nicolaux

Répondre en même temps aux besoins des producteurs et de la restauration :  le projet de légumerie

Pour que les restaurants collectifs puissent servir des produits locaux à des petits palais réceptifs et que le territoire puisse gagner en autonomie, il faut plus de production. 

Jérémy Alves l’explique, l’objectif de la Ceinture Verte vise à installer de nouveaux producteurs en structurant la filière pour répondre aux besoins de la restauration collective et de la grande distribution. La gouvernance de la Ceinture Verte regroupe collectivités, chambres d’agriculture, banques, lycées agricoles, et autres partenaires. Cette collaboration a révélé des besoins et catalysé des solutions pour la filière locale. Le projet de légumerie a émergé de cette dynamique pour transformer et valoriser localement les produits agricoles.

Rentabilité et sécurisation

Une étude de faisabilité du projet examine la viabilité économique de l’outil. En France ce genre d’outils de transformation semi-industrielle sont souvent déficitaires, nécessitant des subventions ou étant non rentables. Le projet explore comment améliorer la rentabilité en intégrant les processus industriels. La rentabilité d’une légumerie dépend de l’équilibre entre le prix d’achat des légumes aux producteurs et le prix de vente aux clients. La Ceinture Verte travaille avec Michelin et Sodexo pour optimiser cette chaîne de valeur et garantir une marge suffisante pour tous les acteurs. Cette collaboration apporte une expertise en ingénierie et des garanties de volumes pour le projet. Cette coopération est essentielle pour la réussite et la pérennité de la légumerie.

Elle doit sécuriser la commercialisation pour les producteurs, permettant à ceux déjà en activité d’augmenter leur production et à de nouveaux producteurs de se lancer. Cela implique également de résoudre les problèmes de fluctuation et de fiabilité des approvisionnements locaux pour les acheteurs.

Relocalisation de la transformation 

Anthony Fardet revient sur cette illustration concrète d’un enjeu crucial:  Le rôle des transformateurs dans la durabilité alimentaire a été longtemps négligé. La recherche s’est davantage concentrée sur les choix des consommateurs et les méthodes de production, en négligeant les acteurs intermédiaires essentiels de la chaîne. Or, relocaliser la transformation alimentaire implique l’acceptation d’une plus grande diversité des aliments. Cela signifie que les ingrédients varieront selon les saisons et ne seront pas disponibles toute l’année, ce qui est contraire à l’ultra-transformation qui exige des ingrédients standardisés constants.

Il est crucial de changer notre modèle de transformation pour respecter la nature et l’environnement, et pour adopter un système alimentaire plus durable pour le futur. Ce qui est certain, c’est que la relocalisation permet de réduire l’ultra-transformation, de respecter les variations saisonnières et de promouvoir la biodiversité alimentaire. Cela protège les traditions culinaires et crée des goûts plus subtils et variés, contrairement aux aliments hyper standardisés.

En résumé « Plus on va localiser la transformation, moins on sera obligé d’ultra-transformer. » 

Anthony Fardet

Foncier agricole quels leviers pour la Métropole ?

Jean-Marie Vallée explique. Il faut d’abord que les politiques de souveraineté alimentaire soient identifiés comme de  vrais enjeux stratégique et y accorder des moyens humains. Cela s’est donc traduit par la création d’une délégation agriculture-alimentation  et le recrutement de responsables dédiés. Ensuite, ine meilleure connaissance du foncier et la création de ceintures vertes sont essentielles pour installer de nouveaux maraîchers. La métropole a travaillé avec des référents agricoles dans chaque commune pour identifier et utiliser des terres agricoles appropriées. Pour atteindre l’objectif de 50% d’autonomie en fruits et légumes d’ici 2050, il faudra arriver à installer de nombreux maraîchers, ce qui est ambitieux et difficile en raison de la complexité de l’accès au foncier et du temps nécessaire pour relocaliser la production alimentaire. 

Il faudra beaucoup de dialogue et de sensibilisation. Les élus doivent être formés sur les enjeux alimentaires et de récupération des terres. La participation des élus est actuellement insuffisante. Le modèle agricole doit évoluer. Il existe des résistances importantes, notamment du côté des grandes exploitations conventionnelles. Pourtant, peu à peu, un dialogue s’instaure entre les agriculteurs conventionnels et biologiques, aidant à faire évoluer les perceptions. La sensibilisation du public aux enjeux de santé et d’alimentation progresse, avec une acceptation croissante des repas végétariens, par exemple.

Penser global

Le rapport du Sénat souligne que la souveraineté alimentaire nationale et la réduction des importations de produits déforestation sont cruciales pour la durabilité. L’impact des trajets locaux en termes de gaz à effet de serre peut parfois être supérieur à celui de trajets plus longs mais mieux optimisés. Relocaliser donc, mais en partie seulement, puisqu’il est impossible de devenir 100% local pour des raisons pratiques et culturelles. Certains pays ne peuvent pas se nourrir uniquement avec des produits locaux et l’échange culturel est également important.

« Manger sain et durable, c’est faire en sorte aussi que toute l’humanité mange. Tout le monde essaie de repenser le dialogue, mais il faut le faire dans un esprit de co-responsabilité, pour des personnes qui n’ont pas, eux, une situation de choix de s’alimenter. »

Claire Planchat

Bouger les curseurs

Un équilibre entre le local, le national et l’international est nécessaire pour une durabilité optimale. Il faut déterminer le bon ratio entre ces trois niveaux. La délégation de la production alimentaire à l’international expose à des risques logistiques et écologiques. Il est essentiel de retrouver un équilibre entre production locale, nationale et globale.

 « On ne pourra jamais être 100% local pour plusieurs raisons. » « Le plus impactant pour la durabilité des systèmes alimentaires, c’était déjà au niveau national, obtenir une souveraineté plus prégnante au niveau national, et éviter les importations de déforestation. » « On a besoin de re territorialiser et de diminuer l’international où on a été beaucoup, beaucoup, beaucoup trop loin. »

Jean-Marie Vallée

A la fois, la situation est complexe et imbriquée : les collectivités n’ont pas assez de terres foncières pour installer de nouveaux producteurs. Les terres de qualité restent souvent exploitées par les agriculteurs proches de la retraite pour maintenir leur revenu. Il faut donc être créatifs et convaincants pour proposer à ces agriculteurs des dispositifs sécurisés et encadrés et utiliser les motivations économiques, territoriales ou écologiques de chacun des acteurs pour les mobiliser. Encore une fois, il faut des espaces de discussions pour recréer du lien entre les différents acteurs et aborder des  enjeux complexes avec à la fois une approche globale et multidimensionnelle, nécessaire pour éviter les solutions inefficaces ou le greenwashing et locale et concrète, adaptée aux différents territoires. Les réponses simples ne suffisent pas pour résoudre les problèmes complexes de l’alimentation. Le dialogue et la compréhension des différentes perspectives sont essentiels pour avancer.

« Il faut prendre conscience du fait que chacun appréhende cette situation selon sa propre réalité, le prendre en compte, le respecter et l’intégrer, c’est sans doute un premier pas vers un début de solution. »

Jean Marie Vallée

Les transitions alimentaires et agricoles nécessitent du temps et doivent être accompagnées patiemment. Les habitudes alimentaires doivent évoluer, en acceptant les produits locaux et leur saisonnalité. En ré apprenant  aux enfants à cultiver des aliments pour les aider à mieux comprendre et différencier les produits alimentaires. En ayant aussi une pensée inclusive, concernant toutes les situations sociales: les enfants, les personnes âgées en EHPAD, et les personnes précaires. Manger sain et durable doit être accessible à tous.

« Pour moi, le mot de la fin, c’était plutôt démocratie alimentaire. » « Il faut aussi réparer certaines injustices sociales, notamment en vue de justice alimentaire, qui me semblent super importants pour cette transition alimentaire et territoriale. »

Vanessa Iceri

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Retrouvez la playlist « Double Minute Chrono », la courte interview vidéo de chacun des participants

Jean-Marie Vallée,  Vice-Président en charge de l’alimentation, de l’agriculture, de la biodiversité et des espaces naturels de Clermont Auvergne Métropole.

Jimmy Balouzat, conseiller en transition, pour AirCoop,

Vanessa Isseri, responsable R&D au CISCA, Centre d’innovation sociale Clermont-Auvergne, 

Jérémy Alves, directeur de la ceinture verte Pays d’Auvergne et porteur d’un projet de création d’un atelier de transformation de légumes.

Isabelle Desclozeaux, responsable PAT chez Sodexo,

Claire Planchat chercheure à l’INRAé, spécialisée sur les questions d’alimentation. 

Anthony Fardet, chercheur à l’INRAé, spécialisé sur les questions d’alimentation. 

Jean-Philippe Nicolaux, directeur entrepreneuriat et économie rurale de Landestini, et également avec une ancienne casquette des gestionnaire d’un restaurant scolaire du groupe Sodexo. 

À propos de Véronique Jal

Ma ligne guide depuis 15 ans, c'est le management de projets collectifs à fort "sens ajouté" : les fromages AOP, les hébergements touristiques, la démarche d'attractivité d'une région... et aujourd'hui l'innovation territoriale via un média associatif Toulousaine d'origine, j'ai découvert et choisi l'Auvergne que mon parcours pro m'a amenée à connaître sous plein de facettes. J'adore cette activité qui nous permet d'être en situation permanente de découverte.