Repenser l’avenir des cimetières avec Racines de Vies

La ville se densifie et la place de la végétation devient un enjeu majeur. Les sujets autour de la transmission de l’histoire et des connaissances font régulièrement la une de l’actualité. C’est dans ce cadre là que Magalie Mathé a pensé le projet Racines de Vies. Imaginer les cimetières comme des lieux de vie et de savoirs dans une démarche éco-responsable.

Avant d’aborder le cimetière de demain, parlez-nous de votre parcours et de ce qui vous a mené au projet Racines de Vies.   

Je suis originaire d’un village de 200 habitants de la montagne thiernoise, dans le Livradois-Forez. Mes parents tenaient le seul commerce du bourg, qui était aussi notre maison d’habitation. J’étais donc au cœur de la vie des villageois. 

L’église était juste en face de notre maison et, à chaque fois qu’il y avait un enterrement, les familles se retrouvaient chez mes parents pour le pot en l’honneur du défunt. J’ai grandi dans cet environnement. 

À l’âge de 7 ans, j’ai fait face au décès d’une petite copine de 4 ans. Quand je suis allée au cimetière pour fleurir sa tombe, j’ai trouvé ce lieu si triste. C’est là que tout a commencé pour moi. Ses parents ont toujours essayé d’égayer cet endroit comme ils le pouvaient, mais malgré tout, c’était peu accueillant, surtout pour un enfant.

Depuis ce jour, j’ai une petite voix qui me dit “Je ne veux pas mourir tant que les cimetières resteront ainsi”.

A un certain moment, vous choisissez de bifurquer…

Je suis aussi parapentiste, un sport où nous savons qu’un accident est toujours possible. Il y a 15 ans, le meilleur ami de mon mari s’est tué en parapente. Sa fille, qui avait 16 ans à l’époque, a été très marquée par cette expérience extrêmement douloureuse. Les cendres de son père ont été dispersées sur un site de parapente en Auvergne, un lieu magnifique où elle peut aller se recueillir.  Je pense que le déclic est venu de là. 

À ce moment-là, j’étais cadre dans l’industrie pharmaceutique en logistique, et je ne me sentais pas alignée avec mes valeurs, notamment sur le plan humain

J’ai décidé de bifurquer, et j’ai commencé à travailler avec des enfants porteurs de handicap. Par la suite, j’ai trouvé un emploi dans une association d’insertion professionnelle, en tant que chargée de projet. Son objet principal était de recréer du lien avec des personnes confrontées à de grandes difficultés humaines. 

La baisse des subventions a entraîné la suppression de mon poste. J’étais enceinte à ce moment-là, ce qui m’a donné l’occasion de réfléchir à ce que je voulais vraiment faire. 

Je me suis demandée dans quel domaine je pourrais apporter quelque chose d’innovant en utilisant mes connaissances et compétences. L’idée d’un cimetière végétalisé m’est (re)venue. Toujours cette même petite phrase “Je ne veux pas mourir tant que ces lieux seront comme ils sont aujourd’hui”. 

Cela fait une dizaine d’années que j’ai l’idée  de faire évoluer les cimetières vers une approche plus écologique. En 2017, j’ai vraiment commencé à imaginer cela plus concrètement.

Comment vous est venue l’idée du projet Racines de vies ? 

Pendant trois ans, de nombreuses idées ont germé autour de ce concept de cimetière écologique. En 2020, j’avais une idée arrêtée mais je ne savais pas quoi en faire. 

En 2020, pendant le COVID, je suis tombée sur la lettre d’information de la métropole et sur l’appel à candidatures de l’incubateur SquareLab. À ce moment-là, je ne savais pas exactement ce que c’était, mais j’ai tout de même candidaté. Avec SquareLab, mon projet de cimetière végétalisé a pris forme et j’ai même reçu le prix de l’idée par la Fondation de l’ESC. Cela m’a encouragée à continuer.

Les ateliers sur la construction du projet m’ont beaucoup apporté. Vers la fin de l’incubation, je me suis posée la question de la place de l’insertion professionnelle et de l’économie sociale et solidaire que je ne retrouvais pas forcément dans mon projet initial.

C’est pourquoi je me suis  ensuite tournée vers Cocoshaker et AlterIncub, car je voulais créer une SCIC (Société Coopérative d’Intérêt Collectif) ou une SCOP. J’ai opté pour Alterincub et l’accompagnement spécifique axé sur la dimension collective du projet. Aujourd’hui, nous avons démarré avec une association, car c’est un projet ambitieux tant sur le plan financier que sur les délais de mise en œuvre. »

J’ai eu la chance de rencontrer un des maires de la métropole qui a immédiatement répondu présent et m’a énormément soutenu dans les démarches. 

Pouvez-vous nous donner un exemple d’un accompagnement Racines de vies ? 

Pour illustrer la preuve de concept du projet Racines de vies, nous avons travaillé avec Saint-Amant-Tallende. Nous leur avons proposé d’utiliser leur image pour une étude, avec une perspective allant jusqu’à 50 ans. L’intérêt principal du projet est la valorisation multi-dimensionnelle du cimetière de la commune.

À Saint-Amant-Tallende, nous souhaitons valoriser un patrimoine existant et l’architecture des différentes époques présentes au cimetière, en faisant de ce lieu un espace de savoir et de connaissances. 

Nous proposons de mettre en lumière des résistants ou des figures historiques locales comme la famille La Tour-Fondue, belle famille de Giscard d’Estaing. C’est elle qui est à l’origine de l’arrivée de l’eau courante à Saint-Amant-Tallende.

Nous proposons que le bac servant à l’arrosage raconte mieux l’histoire de cette famille. 

Par ailleurs, nous cherchons à valoriser la faune et la flore. En végétalisant les espaces, on pourra ainsi limiter le recours aux plantes artificielles qui génèrent des microparticules de plastique. En effet, la réhabilitation des cimetières en espaces de vie doit se faire avec les citoyens. Nous proposons de créer des ateliers pour co-construire un espace dédié à la culture de fleurs destinées à embellir les tombes existantes. 

Finalement, nous pensons les cimetières de demain comme des lieux de vie, de liens et de savoir. Ils doivent également être des réservoirs de biodiversité et être pensés comme milieux présentant un niveau d’obscurité propice à la biodiversité nocturne (pour les chauve-souris par exemple).

Enfin, nous nous sommes rapprochés des coopératives funéraires pour permettre un accès plus ouvert à la mort et travaillons avec des organismes pour valoriser ce savoir du droit funéraire.

Quel est l’intérêt pour une collectivité de repenser ses cimetières ?

Aujourd’hui, beaucoup de cimetières sont pleins, et les places y sont chères sans possibilité d’extension. L’idée est donc d’optimiser ces lieux en repensant les futurs espaces de concession. Les cimetières actuels sont très minéralisés, n’offrant pas suffisamment d’espaces verts. Nous travaillons ensemble sur la possibilité d’exploiter d’autres espaces. Un exemple est celui de la commune d’Arbas dans les Pyrénées et sa forêt cinéraire. Le principe étant de ne pas modifier le site, on ne trouvera aucun équipement. Les habitants pourront venir déposer les cendres des défunts dans des urnes biodégradables. La commune a travaillé avec les gestionnaires forestiers pour sanctuariser cette forêt. 

Depuis le début de notre aventure, les collectivités ont été réceptives lors de la présentation de Racines de Vies, notamment de la part des élus en charge des schémas funéraires. Par exemple, nos échanges ont éveillé la curiosité de Marion Canalès, qui était également en plein questionnement et qui a été intéressée par notre approche.

Pour vous, à quoi ressemblerait un cimetière idéal ?

Un cimetière idéal serait un lieu ou nous pourrions renaître de nos cendres en arbre via des urnes biodégradables Ce serait un lieu avec beaucoup de végétation, capable d’accueillir aussi bien les religieux que les laïcs. Il serait un lieu de vie conçu pour offrir un abri contre les intempéries et les fortes chaleurs. On peut s’inspirer des pays nord-européens et anglo-saxons, comme l’Allemagne, où les forêts funéraires permettent aux gens de se déplacer à vélo ou à pied, offrant ainsi un lieu de promenade tout en protégeant la biodiversité.

Dans une approche idéale, on limiterait les traitements sur le corps du défunt pour ne pas impacter négativement les sols lors de l’inhumation.

Il faudrait également s’intéresser à la provenance du bois des cercueils et des pierres utilisées pour les stèles, en relocalisant l’approvisionnement et la fabrication. 

Aujourd’hui, les nouvelles générations, ainsi qu’une grande partie des anciennes générations qui ne visitent pas les cimetières, demandent que ces lieux évoluent pour pouvoir se les réapproprier. Cependant, le sujet reste souvent tabou.

Quelles sont les prochaines étapes pour votre projet ? 

Les prochaines étapes pour notre projet impliquent la création d’un collectif pour travailler autour de ces thématiques. D’ailleurs, si vous connaissez des personnes intéressées par ces sujets, nous cherchons à les impliquer. À Clermont-Ferrand, par exemple, il y a une vraie opportunité pour créer une coopérative funéraire et un cimetière animalier, car nous manquons cruellement de solutions dans ces domaines. Ces initiatives pourraient être portées soit par les collectivités, soit par l’Etat.

Notre projet s’intéresse à des domaines variés tels que l’histoire ou l’architecture, et nous voudrions collaborer avec des associations qui œuvrent dans ces domaines. L’objectif est de travailler sur des projets globaux, en créant un écosystème local dynamique.

Alors si le sujet vous intéresse, n’hésitez pas à nous contacter.

À propos de Pauline Rivière

Pauline Rivière est journaliste et rédactrice en chef du média en ligne le Connecteur. Elle est en charge du choix des dossiers spéciaux mensuels. Elle développe également des outils de datavisualisation à destination de l'écosystème de l'innovation et s'intéresse à l'innovation éditoriale. Avec sa société SmartVideo Academy, elle anime différentes formations à la réalisation de vidéos (au smartphone notamment) et à l’écriture audiovisuelle. Elle intervient également dans l'Enseignement Supérieur dans le cadre de projets pédagogiques digitaux, mêlant techniques de communication et sujets d'innovation.