[Ecosystème entrepreneurial] Sylvie Lechauve, Since&co, « qui ne se plante pas ne pousse pas »

[Ecosystème entrepreneurial] Sylvie Lechauve, Since&co, « qui ne se plante pas ne pousse pas »

Dans un article de la Harvard Business Review, “Comment naviguer dans la jungle de l’écosystème entrepreneurial”, on trouve cette définition de l’écosystème: « [il] caractérise un milieu réunissant les conditions pour permettre le développement d’entités vivantes, interagissant entre elles. Qualifié d’oasis, l’écosystème favorable offre à l’entrepreneur, quelle que soit sa maturité, de précieuses ressources. Financières bien sûr mais pas seulement, loin s’en faut. En fonction de son histoire et de sa dimension, il peut être plus ou moins aidant ou au contraire très concurrentiel. »

Qu’en est il de l’écosystème auvergnat ? Quelles en sont les caractéristiques les plus différenciantes ? Quels en sont les angles morts ?  Dans ce dossier réalisé en partenariat avec le Crédit Agricole Centre France, nous sommes allés poser la question à trois profils d’entrepreneurs : un créateur, un repreneur et une start up. Nous interrogerons aussi Romain Siso, de l’équipe Création-reprise, Innovation et Start up du Crédit Agricole Centre France.

Sylvie Lechauve- Since & co. Quelle est votre histoire ? Que faisiez-vous avant ?

J’étais chef de projet dans différents secteurs d’activités, ce qui m’a permis d’explorer plusieurs champs, notamment la compétence et la formation. J’ai d’abord travaillé sur un programme dédié à la valorisation des compétences pour l’inclusion scolaire, en faveur des élèves en situation de handicap. C’était un gros projet et c’est sans doute là que j’ai commencé à formaliser le concept de compétences. Ensuite, j’ai travaillé pendant plusieurs années en tant que chef de projet dans un cluster d’entreprises de la filière bois, qui travaillait au déploiement des compétences bois et bâtiment, sur l’ensemble du territoire du Massif Central. La forte empreinte territoriale me plaisait beaucoup, de même que celle environnementale et numérique et tous les sujets filières courtes. Cette expérience a encore affiné mon intérêt pour la question de la transmission des compétences et des connaissances face aux transitions et aux mutations de la société. 

Accompagner la montée en compétences … et capitaliser

Ayant travaillé dans le secteur de la construction, je me suis intéressée au BIM (Building Information Modeling), et à l’utilisation du numérique pour travailler de manière collaborative sur les projets de construction. Pour moi, au-delà de la maîtrise technique des logiciels, cela faisait appel à des compétences organisationnelles et comportementales bien plus fortes, pour être plus efficient collectivement et à l’échelle d’une filière.

Face à ces nouvelles approches organisationnelles et technologiques, et au regard du besoin des entreprises d’être plus réactives face aux marchés, j’étais convaincue qu’il faudrait accompagner la montée en compétences des acteurs de la construction. C’est comme ça que mon projet a commencé à germer : révéler les compétences au sein des organisations et d’accompagner leur transition vers une société plus résiliente.

D’abord, se former

Je surveillais de près ce qui se passait aux USA et au Canada, et je savais que la France allait vivre ces mutations de la même manière.  J’ai donc candidaté pour rentrer en master spécialisé BIM à l’École des Ponts et Chaussées à Paris et à l’ESTP. Je ressentais le besoin de renforcer mes acquis techniques pour gagner en crédibilité auprès de mes interlocuteurs professionnels. J’ai finalement été retenue. L’école était aussi dans une démarche de diversification des profils de ses étudiants, ils étaient intéressés par ma double casquette RH et filière bois, au vu des enjeux d’évolution des filières. 

Parfois, les pièces de puzzle que vous collectionnez dans un parcours professionnel s’emboîtent parfaitement… Au même moment, un chef d’entreprise avec qui j’avais travaillé par le passé, m’a sollicité pour me proposer de travailler avec lui sur un marché qu’il venait de remporter. La même année, j’ai donc quitté mon emploi, démarré un master et une thèse et créé ma boîte ! Ajouté à la vie de famille, c’était un vrai challenge, mais finalement, face à des projets d’envergure, on se découvre tout un tas de ressources !

Création d’entreprise : Since & Co, une première expérience hors réseau

Since&Co se positionne comme bureau d’études sur l’évolution des métiers et compétences, au travers d’études prospectives. Nous cherchons à évaluer les besoins en emplois correspondant à la demande du marché de demain. On accompagne également les transitions auprès des collectivités ou des entreprises. De celles qui nécessitent une réorganisation des compétences, de l’organisation de l’entreprise dans son ensemble face à ces transitions, comme le BIM, le jumeau numérique, ou encore la transition environnementale. C’est vraiment le cœur de métier de Since&Co.

J’ai démarré Since&Co avec pour seule envie de faire bien mais discrètement. Au départ, je ne me suis pas ouverte aux autres, c’était important pour moi de tester par moi-même, j’avais ce besoin de confirmer ma vision et mes compétences autour d’un projet assez pointu et en même temps très ambitieux. J’ai commencé tranquillement, d’une manière sécurisante et exploratoire, j’ai appris beaucoup, j’ai gagné en confiance puis j’ai recruté, une personne puis une deuxième, puis… C’est vraiment à ce moment-là que la question du développement s’est posée.  

Gérer une croissance progressive

J’ai commencé à m’ouvrir, à m’intéresser aux réseaux, à participer un peu plus aux conférences organisées sur le territoire par le MEDEF, les DCF (Dirigeants Commerciaux de France) ou la CPME, par exemple. J’ai vraiment apprécié ces rencontres interprofessionnelles qui n’ont pas forcément de finalité business mais bien de rencontres et d’échanges entre pairs. Par ailleurs, je fais partie des FCE (Femmes Chefs d’Entreprise), où je trouve beaucoup de beaux moments de partage, de professionnalisme et de convivialité. Enfin, je suis membre du Pôle CIMES, le pôle de compétitivité de la mécanique avancée. Je trouve dans ce pôle, un groupe de jeunes entrepreneurs très bienveillants, à l’échelle Auvergne Rhône Alpes, sur des sujets innovants dans l’industrie. C’est très intéressant.  

Il y a beaucoup de réseaux à Clermont, il faut se tourner vers ceux qui nous ressemblent le plus (voir la cartographie du Connecteur, en effet, il y en a beaucoup).

Création d’entreprise: Since&Digital, une seconde expérience, accélérée au Village by CACF

En parallèle des études et du conseil, j’avais toujours en ligne de mire mon projet initial autour de la capitalisation et la transmission des savoir-faire dans les entreprises. En côtoyant des filières comme le bois, le bâtiment, l’industrie,… je faisais le constat de cette richesse en termes de savoir-faire et de connaissances, qui souvent se perdent face aux départs en retraite, à l’accélération des transformations et du monde économique. C’est aussi le cas pour le secteur de la finance ou de l’industrie pharma, qui peuvent être confrontés à la fois à la difficulté de recruter, de former rapidement, ou d’améliorer leurs process sur des activités fondamentales pour l’entreprise. 

Since&Digital est née de cette envie d’encapsuler ce patrimoine immatériel vivant pour qu’il ne se perde pas, pour le rendre vivant et bâtir ce socle commun des savoirs de l’entreprise. Nous avons donc développé une méthodologie spécifique pour cartographier ces savoir-faire, à partir d’interviews d’experts métier en situation de travail. La méthode d’enquête consiste à capter tout ce qui est visible et invisible : Les savoir-faire, notamment ceux à forte valeur ajoutée, reposent sur ce qui relève de l’expérience en situation réelle, qui suppose la capacité d’analyse, la prise de décision. 

Nous allons lancer la plateforme très prochainement; elle permettra, pour l’entreprise de recenser et décrire tous les process, pour favoriser la transmission et l’amélioration continue, elle intégrera les astuces, les bonnes pratiques et les erreurs à ne pas faire… en format écrit et vidéo, utiles notamment pour les nouveaux arrivants, mais aussi pour transmettre son entreprise… 

Une deuxième expérience entrepreneuriale très différente

Pour cette deuxième activité, nous avons intégré l’accélérateur du Village by CACF

C’est Romain Siso, de l’équipe Création/ reprise et Innovation Start Up du CACF, qui m’en a parlé dans le cadre d’un échange avec mon conseiller CACF sur le développement de mon activité. Avec la vision d’une entreprise “classique”, je m’interrogeais sur ce que pouvait m’apporter le Village by CA. Puis, dès les premières rencontres, j’ai compris l’effet “booster” que je recherchais. Être entourée d’experts qui vous challengent, vous entourent, rencontrer des startup qui vivent les mêmes étapes… c’est très stimulant. 

L’équipe SINCE, a trouvé son équilibre dans la souplesse, entre télétravail, Turing 22 et nos bureaux au centre d’affaires du Zénith, nous choisissons notre lieu de travail en fonction de ce que nous avons à faire. 

Si je compare ces deux expériences, je ne peux pas dire que l’une est mieux que l’autre. C’est très lié à l’histoire personnelle du dirigeant. Tout ça je considère que c’est un parcours initiatique, il n’y a pas de modèle idéal, mais il n’y a qu’une règle : apprendre tout  le temps…

Ce que j’ai apprécié dans ma première création, avec le recul, c’est justement de garder le cap sur ma conviction profonde sans avoir à la défendre sans cesse. A l’inverse, je m’aperçois que c’était beaucoup de solitude. Réflexion stratégique, gestion, marketing, recrutements, commercial, … ce sont beaucoup de grandes décisions et d’actions.

Moins de solitude du dirigeant

C’est ce qui m’a fait le plus de bien dans cette expérience d’accélération du Village : prendre de la hauteur et  échanger avec les autres start up de la promo (la #3, une super promo), sur tout et notamment sur nos faiblesses ou problématiques. On s’aperçoit généralement qu’on est loin d’être les seuls à y être confrontés.

L’équipe du Village est hyper bienveillante et on se sent boosté,  tant au niveau de l’entreprise que du dirigeant. C’est rare et précieux de pouvoir combiner les deux dimensions. J’ai une équipe d’experts à mon écoute, avec les startup manager et le conseil stratégique (ce qu’on appelle le board), on avance pas à pas, pour asseoir l’entreprise et développer au mieux nos ambitions. 

L’inconvénient, si on peut dire, c’est de parvenir à “rester focus”. Faire partie de cet écosystème, au coeur de l’espace de coworking, véritable ruche, fait que l’on est très sollicités. Vous avez constamment de nouvelles idées, des opportunités, etc … on peut s’y perdre si on n’y fait pas attention. Il faut savoir rester concentré.

Et plus spécifiquement, dans votre parcours entrepreneurial, quelles ressources avez-vous mobilisé ? Et vous, avez-vous contribué ?

Nous avons bénéficié de la Bourse French Tech avec BPI, c’était vraiment un super accompagnement. Et sinon, pour la première entreprise, j’ai fait principalement de l’autofinancement. J’avais à cœur de m’engager concrètement dans une démarche RSE, qui fasse sens pour mon équipe. Je participe donc à Eco’llectif, l’association  interentreprises récemment créée au sein du Centre d’Affaire du Zénith autour des enjeux RSE. Comme il y a une majorité de TPE ou PME, l’idée de cette association est de rendre possibles des actions à des échelles qui ne nous seraient pas accessibles individuellement. Au sein des FCE, je contribue aussi à la commission formation/RH pour parler aux jeunes de l’entreprenariat.

Qu’est ce qui caractérise le mieux l’écosystème entrepreneurial auvergnat ?  

Il y a pas mal de pépites en Auvergne, très pointues dans leur secteur. J’ai le sentiment que nous sommes perçues comme un territoire où il y a une vraie envie d’entreprendre et d’innover, une bonne dynamique aussi. Et puis il y a aussi cette fameuse humilité auvergnate qui me semble réelle et qui me plaît beaucoup.

On le dit souvent, c’est un territoire à taille humaine, c’est vrai et c’est très agréable. Au travers de mon projet d’entreprise, je veux porter une volonté d’ancrage local. J’ai fait le choix d’avoir des clients privés partout en France, à Paris notamment, mais de ne travailler qu’avec des collectivités locales. Je n’ai pas envie de s’éparpiller. Pour moi, cet écosystème n’a qu’une seule faiblesse majeure, c’est la desserte Clermont-Paris. C’est vraiment préjudiciable : on ne peut pas développer le potentiel d’un territoire avec les infrastructures qu’on a actuellement. Et les alternatives ne sont pas acceptables : prendre sa voiture (Aller retour + réunion), ce n’est plus possible… Prendre l’avion, c’est non et … changer de ville, non plus, j’y suis trop attachée.

Quel est votre prochain rêve ?

J’ai surtout besoin de simplicité. J’ai envie de consolider l’équipe en conservant son état d’esprit actuel. Mon projet d’entreprise sera réussi si l’équipe grandit bien en préservant ce que nous sommes “bien dans nos baskets” ! 

Votre conseil à ceux qui hésitent ?

Qui ne se plante pas, ne pousse jamais !

À propos de Véronique Jal

Ma ligne guide depuis 15 ans, c'est le management de projets collectifs à fort "sens ajouté" : les fromages AOP, les hébergements touristiques, la démarche d'attractivité d'une région... et aujourd'hui l'innovation territoriale via un média associatif Toulousaine d'origine, j'ai découvert et choisi l'Auvergne que mon parcours pro m'a amenée à connaître sous plein de facettes. J'adore cette activité qui nous permet d'être en situation permanente de découverte.