Vraie, végétale, variée et vivante : comment faciliter l’accès à une alimentation saine et durable ?

Vraie, végétale, variée et vivante : comment faciliter l’accès à une alimentation saine et durable ?

Dans le cadre du Pôle Éducation et Promotion de la Santé-Environnement, les 2 référentes du pôle ESE pour le Puy de Dôme – Anne DIAS de PROMOTION SANTE 63, et Emilie BARAT-DUVAL du  Réseau d’Education à l’Environnement en Auvergne – organisaient fin novembre 2024 une journée départementale “Education et Promotion de la Santé-Environnement” avec le soutien de l’ARS à destination des professionnels. Le thème : l’alimentation saine et durable, les freins à lever et les initiatives locales inspirantes.

Promouvoir les petites unités de transformation

Sur le sujet, Anthony Fardet, chercheur en nutrition préventive à l’INRAé pose d’emblée le cadre. L’alimentation ultra transformée est incompatible avec une alimentation saine et durable. Il démontre comment la standardisation d’une alimentation globalisée portée par l’industrie agroalimentaire (Big Food) impose une agriculture intensive. Celle-ci étant néfaste à la fois pour l’environnement, pour les écosystèmes locaux, pour la diversité des cultures alimentaires et … pour la santé humaine. Schéma à l’appui, il explique que les travaux scientifiques des dernières décennies, comme les discours médiatiques et politiques, sont passés à côté de l’essentiel. En se concentrant sur le rôle des agriculteurs et la responsabilité des consommateurs, on en oublie l’impact déterminant des transformateurs et des distributeurs. Ils sont les déterminants de l’environnement dans lequel s’expriment les choix. [Lire aussi Agriculture saine et durable: des verrous systémiques mais des solutions locales]

Il l’explique en deux minutes dans cette vidéo tournée lors d’une émission consacrée à la relocalisation de l’alimentation par Le Connecteur.

Autre notion partagée, la règle des 4V pour un régime alimentaire sain et durable. Utile pour analyser ses choix, elle désigne une alimentation Vraie (versus ultra transformée), Végétale (à 85%), Variée (de saison, locale, bio, …) . Un quatrième V ajouté récemment, Vivante, introduit le lien entre la composition de l’assiette et l’origine des produits qui la composent, de préférence contributifs à une agriculture régénératrice.

Freins aux changements de comportements alimentaires et impacts

Claire Planchat, socio géographe à l’INRAé également, rappelle les facteurs qui influencent les comportements alimentaires et peuvent constituer autant de résistances au changement. Il y est question d’accessibilité géographique, sociale, … d’héritage culturel, de représentations (parfois alimentées par la publicité). Mais aussi, de rapport à la facilité, praticité, de culture alimentaire et, bien sûr, de prix.

Les impacts de l’ensemble de ces freins sont de l’ordre de la justice sociale, de l’impact environnemental mais également de la santé. Selon une enquête de l’Unicef sur les privations matérielles et sociales des jeunes générations en France, un enfant sur cinq ne mange pas trois repas par jour dans l’Hexagone. On sait aussi qu’en France, 40 % des personnes les plus pauvres consomment moins de fruits et légumes que les recommandations nutritionnelles (contre seulement 20 % dans les foyers plus aisés). Les populations à faible revenu, qui consomment davantage d’aliments ultra-transformés, sont 1,5 fois plus exposées à l’obésité. Et 2 fois plus au diabète de type 2.

L’accès limité à une alimentation équilibrée est un facteur aggravant de maladies chroniques liées à une mauvaise nutrition. Inégalités territoriales que l’on observe également selon que l’on vit en zones rurales, périurbaines ou urbaines en matière d’accès à des produits locaux et durables. 

Quels leviers de transformation  ?

Ce cadre posé, l’objectif est clair et les freins bien identifiés. Alors, comment lever ces freins pour transformer les pratiques alimentaires ? C’était l’objet de la table ronde qui rassemblait 7 intervenants. 

  • Pierre Roze, Vice-Président de Thiers Dore et Montagne
  • Marc Régnoux, Vice -Président du Grand Clermont en charge du PAT Grand Clermont / Parc Livradois-Forez
  • Stéphane Bazoud, Formateur Collège Pôle Éducation Patrimoine & Habitat Service Agents des Collèges du Conseil Départemental 63 
  • Cyrille MINGAT, responsable de la cuisine centrale de Pont du Château
  • Inès Chaud-Ullrich : consommatrice bio adhérente et administratrice de Bio 63 
  • Jimmy Balouzat, ingénieur agronome, Air coop 
  • Patrice Delair – Adjoint au Cheffe de Pôle Politique Publique de l’Alimentation · DRAAF Auvergne-Rhône-Alpes 

Des politiques publiques incitatives

En reprenant la hiérarchisation des freins dessinée par Claire Planchat, on conçoit la place du “politique” comme déterminante. Au niveau national les lois Egalim 1 et 2 ou le Plan National Nutrition et Santé et ses déclinaisons régionales, donnent une impulsion et un cadre favorable. Et les collectivités locales s’en saisissent et expérimentent à leur échelle.

C’est le cas du territoire Thiers Dore et Montagne représenté par Pierre Roze,  Vice-Président. Pour lui, les leviers les plus importants à actionner pour transformer se résument en une formule “une école, une cantine, une cantinière”. Ils reposent sur trois points principaux : la maîtrise des approvisionnements, de la transformation et enfin le contact avec la relation avec le consommateur, l’élève en l’occurrence. On retrouve ces principes dans l’action menée par le Département du Puy de Dôme, représenté par Stéphane Bazoud. Il accompagne la transformation des ‘cantines’ des collèges en self collaboratifs.
 

Il s’agit de généraliser le principe de buffets libres. Ils responsabilisent les collégiens et leur donnent l’occasion de mieux manger. A l’usage, avec des actions d’accompagnement et de sensibilisation réalisées avec le REEA (Réseau Education à l’Environnement Auvergne), ils démontrent un effet marqué sur la réduction du gaspillage alimentaire (de 135g à 31 g de restes/convive avant et après l’action self collaboratif avec le REEA). Cette meilleure gestion constitue la marge de manœuvre budgétaire pour des achats locaux. 

Retrouver du sens

Pierre Roze l’explique aussi, la gestion des achats est un facteur clé. Dans son cas, c’est l’instauration de contrats avec les producteurs locaux qui permet de contenir les tarifs. Ils sont négociés en contrepartie d’un engagement long terme et d’une adaptation de la cuisine à la production. L’un et l’autre observent par ailleurs un effet bénéfique sur les agents de restauration. Plus proches des élèves, plus centrés sur leur métier, ils retrouvent et le sens et la fierté d’un travail bien fait.

Cyrille Mingat est lui responsable de la cuisine centrale de  Pont du Château qui sert 950 repas par jour. A son arrivée, il a mis en place des outils et des formations pour transformer la manière de cuisiner, en mettant l’accent sur le fait-maison et la qualité des produits. Cela supposait, comme c’est le cas pour la transformation des selfs de collèges ou des cantines de Thiers Dore Montagne, des investissements conséquents pour des cuisines adaptées aux nouvelles pratiques. Et aussi, une capacité d’approvisionnement en produits locaux prioritairement.

Acheter local en restau co, des difficultés à contourner 

Autour de la notion de capacité, deux questions se posent : la disponibilité et l’accessibilité des produits d’une part et le respect des contraintes des marchés publics d’autre part.

Pour Cyrille Mingat, c’est tout l’intérêt d’une plateforme comme AgriLocal63. Il s’agit d’un outil départemental facilitant l’achat direct auprès des producteurs locaux. De plus, il permet de rester dans le cadre des marchés publics, contrainte importante pour les collectivités. (NDLR: il existe également Auvergne Bio Distribution, pour, comme son nom l’indique, un approvisionnement en produits bio). 

Concernant la disponibilité des produits, l’intérêt des plateformes de commande est aussi de mettre en évidence les besoins en production sur un territoire donné. Et ainsi de pouvoir accompagner l’installation ou la structuration de filières en capacité d’y répondre. Cette approche systémique est au cœur des démarches de Projets Alimentaires Territoriaux comme celui du Grand Clermont et du Livradois-Forez représenté par Marc Regnoux. Il les décrit comme des outils collaboratifs essentiels, regroupant un large éventail d’acteurs : producteurs, transformateurs, distributeurs, élus, chercheurs et citoyens. L’idée étant que l’alimentation durable doit être pensée à l’échelle des territoires, en tenant compte des spécificités locales et des synergies possibles entre les acteurs.

Structurer les filières

Plusieurs enjeux cruciaux connexes s’imposent en réponse aux objectifs de structuration des filières alimentaires :

  • la disponibilité foncière. Le développement agricole nécessite une planification qui protège ces espaces des pressions urbaines. Il faut donc l’intégrer dans la logique d’aménagement du territoire (via le SCOT – Schéma de Cohérence Territoriale).
  • la question de la rémunération des producteurs  et de la viabilité économique des exploitations agricoles est un préalable indispensable. Une alimentation saine et durable ne peut s’envisager sans garantir des débouchés rémunérateurs pour les producteurs. Il faut donc agir sur la structuration du marché et des filières.
  • l’implication des citoyens enfin, qui  sont à la fois des acteurs et des bénéficiaires des PAT. Leur engagement est crucial pour que les projets soient acceptés et pérennes.

Le projet Ambition Positive vise à développer une filière de pain bio pour la restauration collective. Il montre comment ce projet rassemble agriculteurs et meuniers locaux, artisans boulangers, établissements scolaires et collectivités locales mais aussi chercheurs. Le but : expérimenter avant de structurer une filière blé-farine-pain locale.

Sain et durable : sensibilisation et action collective

L’autre point commun est la dimension accompagnement de la transformation à la fois des professionnels et des consommateurs. De nombreux acteurs agissent à ce niveau, pour certains, ils étaient associés à la partie ateliers “outils pratiques” de l’après-midi. On peut citer Anis Etoilé, Cresna, Promotion-Santé 63, Eclaireuses et Eclaireurs de France, … Ils sont tous membres du REEA dont les missions sont l’information, la sensibilisation, la formation, et l’éducation à la nature, à l’environnement, et au développement durable en Auvergne. 

Plan’Eat Kids coordonné par Claire Planchat s’inscrit également dans cette ambition, avec une approche scientifique. Il s’agit d’un living lab européen. Il rassemble un collectif de partenaires – chercheurs, élus, professionnels de santé et de l’éducation, acteurs de la chaîne agro-alimentaire, citoyens et associations. Le but ? expérimenter les leviers pour faire évoluer les comportements alimentaires d’enfants de 6 à 15 ans. Il est ciblé sur 5 enjeux. Limiter la consommation d’aliments ultra-transformés. Réduire l’ensemble des aliments d’origine animale. Accepter une variété d’aliments/légumineuses. Choisir principalement des produits céréaliers complets. Et choisir de boire de l’eau plutôt que des boissons sucrées.

Tous, par un biais ou un autre, visent à faire comprendre les dessous de l’alimentation, les modèles d’agriculture, les règles de base pour une alimentation saine, … Le tout, pour mieux guider ses choix individuels.

L’épineuse question du coût

Reste enfin à aborder l’un des freins les plus difficiles à lever, celui de l’accessibilité financière. Anthony Farde a analysé des milliers de tickets de caisse de grandes surface. Le panier moyen est constitué de 61% de produits ultratransformés et 40% de produits carnés. Il montre qu’un rééquilibrage alimentaire vers un panier 4V amène à une baisse du coût de l’ordre de 5%.

Jimmy Balouzat est ingénieur agronome pour AirCoop, il accompagne les collectivités dans leur projet d’agriculture et d’alimentation durable. Pour lui, « le fait même de se poser la question de ce qu’il convient de faire pour que bien manger ne soit pas un luxe traduit déjà le choix de société qui est fait en France. »

Expérimenter

Il présente des initiatives comme la sécurité sociale de l’alimentation qui fait l’objet d’expérimentations en Auvergne avec le CISCA. Elle vise à rendre une alimentation saine accessible à tous. Ou encore Opticourses qui cherche à “armer les familles en précarité financière pour qu’elles parviennent à améliorer la qualité nutritionnelle de leurs achats alimentaires sans dépenser plus”. Il cite également des projets locaux, comme Soli’Doume, et d’autres modèles tels que le réseau VRAC. VRAC organise des achats groupés dans les quartiers prioritaires pour proposer des produits bio à prix coûtant. Et lance « Si on a réussi à créer la sécurité sociale de la santé en 1946, dans une France ruinée, pourquoi ne pourrions-nous pas faire la même chose pour l’alimentation aujourd’hui ? ». 
 

Inès Chaud-Ullrich est  adhérente de Bio63, le groupement des producteurs Bio, dont elle est également administratrice. Elle considère que les consommateurs ont un vrai rôle à jouer dans ces instances. Pour elle « une alimentation durable passe par une relocalisation de nos productions. Cela demande une structuration des filières locales qui inclut tous les acteurs, de la production à la consommation. En Auvergne, on a quand même une agriculture qui n’est pas hyper intensive. Je pense que la conversion pourrait se faire très facilement. Mais effectivement, l’État doit remettre un peu d’argent sur la conversion et sur les aides au maintien. »

Alimentation : les dispositifs publics de soutien

L’Etat était représenté par Patrice Delair. Il a eu à répondre à pas mal de sollicitations plus directes de la salle. Il conclut en rappelant les dispositifs nationaux de soutien à l’alimentation durable. Les PAT, financés par l’Etat. Ou encore les initiatives comme ‘“Lait et fruits à l’école”,  un dispositif  doté d’une enveloppe de 32,7 millions d’euros sous-utilisé. La cantine à 1 € également, qui permet aux communes de plus de 10 000 habitants de proposer des repas à 1 euro aux familles dont les revenus sont inférieurs à 10 000 euros par an.

L’aide peut aller jusqu’à 4 euros par repas et par famille si la collectivité déclare sur “Ma cantine” dès 2025. A ce sujet, il reconnaît qu’il y a “encore beaucoup à faire pour atteindre les objectifs de 50 % de produits durables, dont 20 % de bio, dans la restauration collective. Seulement 44 % des collectivités se sont inscrites sur la plateforme dédiée, et 18 % déclarent leurs données. Cela montre qu’il est nécessaire de mieux accompagner les acteurs sur le terrain. »

Alimentation saine et durable : mieux comprendre pour mieux choisir 

Laissons la conclusion à Anthony Fardet. Bien manger pour soi et la planète est très simple en théorie, plus difficile en pratique. En s’appuyant sur la règle des 4V, outil simple et global, il faut agir simultanément sur les niveaux macro, méso et micro:

  •  en développant nos capacités à  “comprendre les coûts cachés” et en développant les systèmes agroécologiques et relocalisés comme essaient de le faire les PAT. 
  • en intégrant davantage les freins et les leviers des environnements alimentaires des enfants (famille, publicités, fast foods, restauration scolaire)
  • et en développant la sensibilisation et la prévention à l’alimentation saine et durable pour les enfants pour les comme adultes

En résumé, une recette finement équilibrée entre politiques publiques volontaristes, initiatives locales, collaboration entre acteurs locaux et éducation et sensibilisation.

Voir toute la playlist et lire l’article “Relocaliser l’alimentation: tisser tous les maillons de la filière”

À propos de Véronique Jal

Ma ligne guide depuis 15 ans, c'est le management de projets collectifs à fort "sens ajouté" : les fromages AOP, les hébergements touristiques, la démarche d'attractivité d'une région... et aujourd'hui l'innovation territoriale via un média associatif Toulousaine d'origine, j'ai découvert et choisi l'Auvergne que mon parcours pro m'a amenée à connaître sous plein de facettes. J'adore cette activité qui nous permet d'être en situation permanente de découverte.