Entretien / Le bon équilibre d’Eric Perrot

Entretien / Le bon équilibre d’Eric Perrot

Par Damien Caillard

Il est un cabinet de conseil en innovation et stratégie avec une structure originale, souple et réticulaire : 37.5, dont Eric Perrot est partenaire associé. Passionné d’innovation notamment dans le domaine du bâtiment, bénéficiant d’une expérience riche et variée dans de nombreuses entreprises petites ou grandes, Eric est aujourd’hui un membre actif du Club Open Innovation Auvergne. Engagé dans la transition écologique, il pousse également à adopter une autre vision de la transformation des entreprises, peut-être moins digitale et plus tournée sur l’ouverture, l’innovation et le sociétal.


“Trente-sept cinq”, étonnant pour un nom de cabinet de conseil … que signifie-t-il ?

37.5, c’est en référence à la température idéale : l’entreprise est un organisme vivant, fait de cellules qui interagissent dans ou hors du corps. Il suffit d’une partie qui ne fonctionne pas pour que tout soit malade. Pour assurer durablement son développement, une entreprise doit être équilibrée et en bonne santé. Dans le contexte actuel d’hyper compétition, la moindre faiblesse peut être fatale. Notre mission, c’est de mettre et de maintenir l’entreprise en état de performer sur la durée. Une entreprise qui gagne, c’est comme un sportif de haut niveau, rien n’est laissé au hasard. C’est pour cette raison que nous sommes orientés sur l’exécution stratégique et pas seulement le conseil ; nos clients attendent de nous que l’on aillent au bout des choses.

« Notre mission, c’est de mettre et de maintenir l’entreprise en état de performer sur la durée »

[La structure] est né[e] comme un cabinet classique, fondé par Denis Planat le 1er mars 2011 (…) suite à la demande d’un client – Limagrain – de transformer son système d’information. En 2017, le cabinet a opéré sa propre transformation au profit d’un modèle plus ouvert, libre et communautaire. Le principal moteur pour rejoindre 37.5 c’est l’envie de participer à une aventure collective excitante, sans perdre son indépendance. Tous les partenaires experts ont la possibilité de devenir actionnaires du cabinet s’ils le souhaitent, au prorata du chiffre d’affaires réalisé avec la marque.

Ton travail chez 37.5 reflète ta vision “systémique” de l’innovation. Peux-tu nous la décrire ?

Les entreprises fonctionnent à la fois trop souvent en silos et repliées sur elles-mêmes, ce qui est la cause d’un grand nombre de problèmes. Ce qui pouvait fonctionner par le passé, ne marche plus. Quand un client observe une marque, il la voit comme un être unique, indivisible. Il suffit d’un maillon défectueux pour que l’expérience vécue ne soit pas à la hauteur des attentes.

Dans cette recherche de l’expérience parfaite, le client est devenu de plus en plus exigeant. C’est cela qui doit pousser les entreprises à innover, à repenser leurs modèles économiques et leurs offres pour créer de la valeur. Et elles doivent le faire en s’ouvrant sur leur écosystème.

Ee animation d’un « Flashcamp » au Bivouac

A partir de là, je considère qu’une entreprise ne peut innover dans ses produits ou ses services sans le faire dans son management, son organisation ou ses processus. L’entreprise est un ensemble complexe, c’est le rapport au corps humain. On est obligé d’avoir une vision à 360 degrés de l’entreprise et de son écosystème. C’est ce qui fait la force de 37.5 de par la diversité des expertises et des expériences : nous sommes capables d’avoir cette vision tous azimuts.

Quel est ton axe directeur chez 37.5, en tant que partenaire associé ?

On a des gens avec des profils variés, en majorité 25-30 ans d’expérience en entreprise, qu’ils ont choisi de quitter pour se mettre au service des autres. Tout en conservant leur liberté d’indépendants, ils viennent trouver chez 37.5 un vrai esprit de famille, la possibilité de ne pas travailler seul, de partager sur des problématiques, des méthodes …

On a quand même une gouvernance dont je fais partie, et une organisation à la fois régionale pour favoriser l’intégration des nouveaux partenaires et travailler ensemble, par “practices” comme le business development, l’expérience client, l’excellence opérationnelle – le lean, l’agile – et un dernier sur le capital humain. C’est le domaine où on a encore besoin d’affiner notre positionnement, je pense qu’on est encore trop “commun”.

Pour le moment, je pilote la practice “expérience client” et la région Auvergne-Rhône-Alpes. Dans la réalité de mes missions, je fais énormément de d’accompagnement stratégique, de business development, de l’innovation dans les modèles économiques. Ma conception de l’entreprise est très systémique. Je me suis battu toute ma vie pour casser les silos dans les entreprises, abattre les cloisons qui empêchent les services de se parler et faire entrer le client dans l’entreprise. Pour moi, l’innovation est d’abord culturelle : il faut changer de culture d’entreprise.

A travers quel parcours as-tu développé cette vision de l’entreprise ?

En résumé, je viens du terrain. J’ai débuté sur la route, chargé d’affaires, commercial … peu importe le titre : j’étais toujours en contact avec le client, l’acheteur du produit, qu’il soit B2B ou B2C. Quand on est à cette interface, on comprend tout ce qu’il y a derrière le commercial pour servir le client.

« Je me suis battu toute ma vie pour casser les silos dans les entreprises, abattre les cloisons qui empêchent les services de se parler et faire entrer le client dans l’entreprise »

J’ai eu l’opportunité de rejoindre une PME familiale dans le bâtiment en juin 1986, le groupe Ain Agglos. Ils venaient de reprendre une société en Auvergne, il y avait tout à faire. Mon job, c’était plus du business development que de la vente. J’ai toujours aimé partir de rien et développer ! Et j’ai vite compris que pour développer sans être sous l’emprise du prix – quand ta seule différenciation revient au prix – il faut innover. J’ai une véritable appétence pour le développement de produits nouveaux. C’était une forme de différenciation quand la plupart des commerciaux préféraient vendre des choses établies.

A partir de là, tu t’es pris de passion pour l’innovation …

J’ai travaillé dans des très grandes entreprises où il était difficile à mon niveau de faire bouger les lignes. Mais j’ai toujours eu suffisamment de liberté pour proposer des choses différentes et faire entrer le client dans l’entreprise.

Lorsque j’ai rejoint Isover en 1995 – la marque isolation du Groupe Saint-Gobain – il fallait développer une solution innovante qui modifiait profondément les modes constructifs. C’est en travaillant avec l’ensemble de l’écosystème, sur le terrain, que je suis parvenu à imposer cette solution.

Eric lors de la première session du Club Open Innovation Auvergne en 2018. Il y représente depuis le cabinet 37.5 sur les saisons 1 et 2

C’est cette appétence qui m’a permis de rejoindre le service marketing et développement au siège pour travailler sur l’innovation fin 99. En particulier, comment une marque comme Isover devait innover pour reprendre un avantage sur son marché. On a introduit les notions de focus group par métiers, en choisissant des leaders d’opinion dans les entreprises tierces … on a réalisé que notre capacité à innover était multipliée par 4 ou 5 ! En 2005, quand je suis parti, les produits innovants représentaient 25% du C.A. d’Isover.

Quelle était ton approche méthodologique ?

La grande différence, c’est qu’on a introduit le client dans le processus d’innovation au début. Et qu’il nous a aidé à faire le tri entre les bonnes et les mauvaises idées. On a revu totalement le processus d’innovation, mis en place les instances de gouvernance des projets avec une véritable capacité à se prononcer en Go/No Go sur la base de critères objectifs et mesurables. A chaque étape, les clients sélectionnés étaient invités à se prononcer.

Mais ça a marché, parce que les bons ingrédients avaient été mis : c’était venu d’en haut, c’était la stratégie du groupe (“solidifier notre leadership par l’innovation”), le management était en phase … et tout le processus a suivi. Ce n’est pas né d’une petite cellule dans son coin. Tant que ce n’est pas inscrit par la direction dans l’ADN, ça ne marche pas. Et, surtout, on a prouvé rapidement qu’on avait des résultats.

Autre expérience, plus récente, chez le cimentier Vicat …

Vicat [est] le dernier cimentier français, l’inventeur du ciment artificiel en 1817. J’ai eu la chance de prendre en charge le développement d’un produit unique dont les ventes étaient en chute constante depuis des années. Le défi était grand, le produit avait été détourné de son utilisation historique – la décoration des façades- pour être utilisé en maçonnerie rapide. Les architectes des bâtiments de France refusaient tout simplement son utilisation alors que le produit représentait presque un siècle d’architecture -le 19ème- en Europe.

« Tant que [l’innovation] n’est pas inscrit[e] par la direction dans l’ADN, ça ne marche pas. »

Là encore, avec une démarche au plus près du terrain, nous sommes parvenus à le réintroduire sur le marché de la restauration du patrimoine, mais aussi sur de nouveaux marchés, comme celui de la bio-construction, ce qui était nouveau pour des cimentiers ! C’était en 2007, une vraie démarche d’innovation : on ne vendait plus de la solidité mais de l’isolation !

Et la difficulté était culturelle. Pas technologique. Quand on vend du béton, du ciment, on vend du “dur” … pour y arriver, c’est un gros travail de persuasion en interne basé sur une analyse marketing fouillée, sur des prototypes, des lignes budgétaires fiables … et beaucoup d’énergie. Mais on y arrive !

Tu as « fait » Clermont, Paris, puis retour à Clermont … que penses-tu de l’écosystème d’innovation ici ?

Je suis né à Chamalières, je suis Auvergnat jusqu’au bout des doigts. Si j’ai pu bosser des années à Paris ou ailleurs, c’est parce que je rentrais à Clermont tous les vendredi soir !

Quand j’ai fait le choix de vraiment développer mon activité sur la région, en 2017, j’ai observé l’écosystème start-up qui est un bon indicateur. Le Bivouac, Epicentre étaient des structures jeunes, qui cherchaient encore le bon modèle de fonctionnement, qui n’étaient pas encore en vitesse de croisière. Il y avait quelques exemples de sociétés innovantes qui avaient bien réussi. Mais j’ai aussi eu le sentiment parfois d’un manque de soutien, ou plutôt d’un manque de franchise à l’égard des start-up dont le modèle économique n’était visiblement pas assez robuste.

Eric anime une séance collaborative à 37.5 sur le thème gouvernance et organisation du cabinet

Tu participes aussi au Club Open Innovation Auvergne depuis sa création en 2018 …

J’ai assisté à la présentation du projet lors d’une réunion du Connecteur. Le mot innovation m’attire et j’étais tout autant curieux qu’intéressé par la démarche (…) La saison 1, je l’ai vécue de manière enrichissante, avec une très bonne dynamique. J’ai cependant deux frustrations : d’abord, on manquait de temps pour approfondir certains cas – et la contrainte temps peut être un vrai handicap à la génération d’idées. Ensuite, parce que le Club n’était pas assez ouvert sur le reste de l’écosystème. A voir comment la saison 2 va changer cela.

Mais les gens qui composent le Club ont cette envie d’innover, et ils ont tous des expériences diverses. Au sein du Club, il y a une grande qualité d’écoute. C’est pour moi la base de l’innovation, ce qui permet de comprendre les problèmes des autres. Ce n’est pas pour rien que l’on parle d’empathie !

De par ton expérience dans le bâtiment, tu es aussi sensible aux enjeux écologiques …

En travaillant chez des spécialistes de l’isolation, j’ai participé à l’évolution de la performance énergétique du bâti. Aujourd’hui, les nouvelles constructions sont globalement efficaces. Depuis longtemps, les matériaux biosourcés, et notamment le chanvre, m’intéressent : C’est un matériau renouvelable dont les caractéristiques sont parfaitement adaptées à la construction. [Il s’agit] d’une bonne solution pour consommer peu dans le bâtiment tout en proposant un habitat sain qui “respire”. C’est pour moi la vraie transition ! En France, on a 150 000 hectares de jachères, on pourrait construire en y faisant pousser du chanvre 150 000 maisons par an.

« Au sein du Club [Open Innovation Auvergne], il y a une grande qualité d’écoute. C’est pour moi la base de l’innovation, ce qui permet de comprendre les problèmes des autres »

On entend beaucoup de messages pour faire changer les comportements en faveur de la transition écologique, mais les réponses ne sont jamais abordées de manière systémique et holistique. Les VAE -vélos à assistance électrique- sont une vraie alternative à la voiture, mais on manque encore de parcs à vélos sécurisés par exemple, y compris dans les entreprises. Consommer des produits locaux est une véritable solution mais la réalité est que le producteur a du mal à se faire connaître et le consommateur à acheter facilement à proximité. Il reste encore beaucoup à inventer dans ce domaine.

Pour conclure, je dirais que l’on a beaucoup trop parlé de transformation digitale aux entreprises ces dernières années. Soit, il est évident que l’on peut difficilement concevoir un modèle gagnant sans digital. Mais c’est un peu trop simpliste. La vraie transformation, c’est d’être plus focalisé sur ses clients, de casser ses silos, de favoriser l’engagement des collaborateurs, et d’innover.


Pour en savoir plus : le site du Cabinet 37.5
Le site du Club Open Innovation Auvergne


Entretien du 13 février 2020 à Epicentre, remis en forme pour plus de clarté, puis relu et corrigé par Eric. Photos Damien Caillard pour le Connecteur sauf les images 37/5 et Bivouac, par Eric Perrot

À propos de Véronique Jal

Ma ligne guide depuis 15 ans, c'est le management de projets collectifs à fort "sens ajouté" : les fromages AOP, les hébergements touristiques, la démarche d'attractivité d'une région... et aujourd'hui l'innovation territoriale via un média associatif Toulousaine d'origine, j'ai découvert et choisi l'Auvergne que mon parcours pro m'a amenée à connaître sous plein de facettes. J'adore cette activité qui nous permet d'être en situation permanente de découverte.