[ARTICLE SONORE] Et si on relocalisait la production d’énergie à la campagne

[ARTICLE SONORE] Et si on relocalisait la production d’énergie à la campagne

9h00 du matin quelque part au centre de la France. Un tracteur approche de l’unité de biométhanisation située sur une petite route départementale. Il s’apprête à déverser son chargement dans une cuve prévue à cet effet.
Dans le monde de la méthanisation on appelle cela  un digesteur. L’unité de méthanisation est composée de deux bâtiments circulaires qui ressemblent un peu à des huttes futuristes avec leurs toits verts légèrement pointus. L’installation peut absorber jusqu’à 59 Tonnes d’intrants par jour. Aujourd’hui, ce sont des trèfles qui serviront à produire du méthane.
L’exploitation agricole a fait le choix des CIVES pour alimenter son unité. Ce sont, ce que l’on nomme dans le jargon, des cultures intermédiaires à vocation énergétique. Elles sont implantées et récoltées entre deux cultures principales.
Ces matières organiques seront mélangées et chauffées dans le méthaniseur. Il faudra compter entre 40 et 60 jours pour les transformer en gaz vert.

Relocalisation de la production d’énergie : un changement de paradigme

Réindustrialisation, relocalisation, souveraineté, autonomie. Les dernières crises nous encouragent à repenser notre organisation économique territoriale. Après la mondialisation et la centralisation, l’heure de la production locale et de l’économie circulaire a sonné.

Même si tous les pans de l’économie sont concernés, le contexte géopolitique actuel et la nécessaire transition écologique interrogent plus spécifiquement notre dépendance énergétique.

Pour atteindre l’objectif fixé au niveau européen par le Pacte Vert, tous les scénarios de mix énergétique présentés par la France ces dernières années intègrent une part plus importante d’énergies renouvelables. Éolien, solaire, biogaz devront se déployer partout sur les territoires pour que l’Europe respecte son engagement de neutralité carbone d’ici 2050.

Des projets ENR contestés sur les territoires

Ils font régulièrement la une de l’actualité. Ils, ce sont ces collectifs de citoyens vent debout contre les projets d’installations d’éoliennes, de panneaux solaires ou d’unités de méthanisation. On leur a même donné un nom : les NIMBY, un acronyme tiré de l’anglais qui se traduit par “pas dans mon jardin” ou plus largement “surtout pas chez moi”. Cette expression désigne une attitude fréquente qui consiste à être favorable, en théorie, à une initiative tant qu’elle ne se fait pas à proximité de son lieu de résidence.

Pour autant, peut-on réduire toute protestation locale contre des projets de production énergétique à un individualisme de plus en plus prononcé dans la société française ? Pas nécessairement. Pendant des années, les projets ENR se sont faits sans les habitants des territoires. Certains découvraient l’information dans la presse locale ou sur un panneau installé sur le terrain à côté de leur habitation. De quoi susciter de la colère et de l’indignation. Aujourd’hui, les projets sont mieux encadrés et la population mieux associée.

Néanmoins, la France n’est pas encore à la hauteur des ambitions européennes. Alors qu’il ne faut que quelques mois pour développer un projet d’unité de méthanisation en Allemagne, il faut compter plusieurs années sur notre territoire national.

Mettre l’usager au centre de la démarche

A ce jour, près de 400 unités de méthanisation sont réparties dans les régions, et plus de 1000 nouveaux projets sont en cours de déploiement. Tout s’accélère dans les territoires ruraux. 

En effet, les citadins et les ruraux ne sont pas confrontés de la même manière aux enjeux de transition énergétique. Pour preuve, aujourd’hui, 80 % des unités de méthanisation sont accolées à une exploitation agricole.

GRDF, acteur majeur de la filière, a détecté, il y a déjà quelques années sur certains territoires moteurs de projets ENR, une insatisfaction, voire un véritable problème d’acceptabilité sociale pour ces projets. Ces nouvelles installations ont des impacts, notamment paysagers et sur l’environnement.

En 2020, le groupe GRDF décide de mettre en place une expérimentation sur le campus des Champs des Possibles à Châteaudun dans la région Centre Val de Loire. La méthode s’appuie sur la démarche “living lab”. Un concept venu du Canada qui propose une autre façon de faire de l’open innovation. 

Il met l’usager au centre de la démarche et travaille avec les entreprises, les collectivités et toutes les parties prenantes pour apporter des solutions aux principaux concernés.

Pour ce faire, encore faut-il savoir écouter les citoyens. C’est ce que propose le living lab de GRDF de Châteaudun : redonner une place aux citoyens dans les projets territoriaux.

Philippe Métais, du Département Innovation GRDF “En interrogeant les citoyens, on a pu constater beaucoup d’inquiétudes. D’une manière générale, peu de personnes arrivent à visualiser et à projeter une image claire de ce que va être un site de méthanisation. Cela se traduit par de fausses croyances. Parfois, pour désamorcer des conflits, il faut juste prendre le temps d’expliquer. On s’est vite rendu compte qu’il y avait un besoin d’échange et de communication entre les porteurs de projets, les riverains et les futurs utilisateurs de cette énergie verte”.

Des innovations technologiques pour répondre aux inquiétudes des habitants

Les projets de méthanisation suscitent des craintes, notamment sur les mauvaises odeurs en cas de fuite sur les installations. C’est ce qui ressort des échanges avec les citoyens dans le cadre des ateliers du Living Lab. Un problème majeur pour les riverains qui peuvent y voir une potentielle dépréciation de la valeur de leur bien immobilier et de leur confort de vie au quotidien. Bien que ces problèmes existent, ils restent marginaux et ponctuels. Pourtant, GRDF a décidé de s’emparer du sujet. 

Le campus des champs des Possibles est installé dans un lycée agricole. Un fablab et un incubateur de start-ups y sont accolés. Suite à un appel à projets national, GRDF, en collaboration avec des start-ups de l’Agtech, teste des solutions de capteurs d’odeurs. Ils permettent de prévenir le producteur d’énergie en temps réel en cas de nuisances olfactives détectées pour lui permettre de réagir beaucoup plus rapidement.

Demain, un citoyen actionnaire de la production locale d’énergies renouvelables ?

L’acceptabilité sociale ne se décrète pas, elle se travaille. De plus en plus de développeurs de projets d’ENR s’intéressent à l’intégration des citoyens dans la gouvernance de ces productions locales. 

La production locale d’énergie a un impact positif sur le territoire en termes de retombées économiques et sociales : Création d’emplois, prestations de services, et mise en place d’une économie circulaire vertueuse. Pour autant, ce n’est pas suffisant pour assurer l’acceptabilité sociale des habitants.

Dans la Loire, en Auvergne Rhône-Alpes, un projet de méthanisation inclut dans son montage financier un pourcentage alloué à la participation citoyenne. Ainsi, tout un chacun peut participer au financement du projet et en devenir actionnaire. 

Philippe Métais “Pour nous, c’est l’illustration d’une économie de production locale d’énergie vertueuse, et c’est ce vers quoi nous devons tendre pour répondre aux défis majeurs de la transition énergétique et plus largement de la transition écologique et sociale. C’est un véritable changement de paradigme qu’il nous faut entamer.”

Aujourd’hui, pour porter un projet de territoires, les collectivités locales, le monde économique et l’Etat doivent réapprendre à dialoguer de manière constructive avec les citoyens. C’est ce type d’approche qui est à privilégier, car en effet, le risque de contestation est souvent proportionnel au manque de concertation.

À propos de Pauline Rivière

Pauline Rivière est journaliste et rédactrice en chef du média en ligne le Connecteur. Elle est en charge du choix des dossiers spéciaux mensuels. Elle développe également des outils de datavisualisation à destination de l'écosystème de l'innovation et s'intéresse à l'innovation éditoriale. Avec sa société SmartVideo Academy, elle anime différentes formations à la réalisation de vidéos (au smartphone notamment) et à l’écriture audiovisuelle. Elle intervient également dans l'Enseignement Supérieur dans le cadre de projets pédagogiques digitaux, mêlant techniques de communication et sujets d'innovation.