Climat et IA : Le traitement massif des données satellite est un enjeu majeur

Climat et IA : Le traitement massif des données satellite est un enjeu majeur

Nathalie Huret est directrice de l’Observatoire de Physique du Globe de Clermont-Ferrand. Leurs travaux de recherche et leurs mesures sont utilisés dans le rapport du GIEC et dans les modèles de prévisions des évolutions climatiques pour les 100 ans à venir. Aujourd’hui, des chercheurs du monde entier collaborent pour développer de nouveaux instruments de mesures et pour analyser des données toujours plus importantes. Rencontre avec Nathalie Huret qui fait le point sur les dernières avancées et les prochains défis à relever.

Avant d’aborder le sujet de notre planète Terre, je suis assez curieuse de savoir ce qui vous a amené à choisir cette spécialisation. C’est la question d’intro : racontez-nous votre vie depuis la crèche.

Je suis née à Metz en Lorraine, et je suis la petite dernière d’une fratrie de cinq sœurs. J’ai passé toute ma jeunesse à faire de la voile dans cette région et à l’Ile de Ré. Lors des compétitions, nous devions aller chercher les vents forts, faire face à la pluie et à des conditions météorologiques plus ou moins favorables. Finalement, ça a peut-être influencé mes choix de parcours professionnel.

Après un Bac S, j’ai intégré l’Université Clermont-Auvergne pour des études en Maths et Physique. J’ai tout de suite aimé cet univers. A l’Université, on rencontre des enseignants chercheurs incroyables qui nous laissent un large espace de liberté d’expression et de pensée.
Au moment de me spécialiser après la licence, je me suis orientée vers la physique. J’avais le choix entre l’électronique, les matériaux, la physique des particules, mais c’est la météorologie et le cycle de l’eau atmosphérique qui correspondaient le mieux à ma sensibilité.

Ensuite, je suis devenue maître de conférences à Orléans avec mes travaux de recherche au Laboratoire de Physique et Chimie de l’Environnement et de l’Espace (LPC2E) du CNRS et de l’Université d’Orléans.

Vous avez développé des compétences nouvelles dans l’analyse de données issues de la stratosphère, qui est une des couches supérieures de l’atmosphère.

Ce laboratoire (LPC2E) était spécialisé dans le développement d’instruments pour la stratosphère et le spatial. Jusqu’à 15 km d’altitude, on peut utiliser des avions pour recueillir de la donnée. Au-delà, c’est impossible.

Ainsi des instruments emportés sous ballons stratosphériques ont été développés pour atteindre cette couche d’ozone et l’étudier.  La particularité de ces ballons opérés par le CNES ( Centre national d’Etudes Spatiales) est de pouvoir atteindre 40 km d’altitude, avec jusqu’à une tonne d’instruments scientifiques à bord. Ils sont remplis d’hélium et leur volume peut aller jusqu’à 1 million de m3. Pour avoir un élément de comparaison, dans les plus grands, on peut faire tenir la Tour Montparnasse dans l’enveloppe plastique du ballon.  Elle pèse à elle seule environ 600 kg.

Ces instrumentations développées sont également des prototypes testés sous ballon et destinés à être à bord de satellites par la suite. C’est une technologie spatiale.

Est-ce que vous pouvez nous présenter l’OPGC, en quelques mots (et très simplement) ?

En France il existe 25 observatoires des sciences de l’univers du CNRS (Centre national de la Recherche scientifique) et des Universités. Celui de Clermont-Ferrand est composé de deux laboratoires de recherche (Laboratoire Magmas et Volcans, pour les sciences de la Terre,  Laboratoire de Météorologie Physique pour les sciences de l’atmosphère). Il intègre également une équipe de recherche de l’Institut de Chimie de Clermont Ferrand et une unité d’Appui et de Recherche pour les observations à la long terme. Enfin, nous avons également une école interne pour les formations en Licence, Master et formation continue. Nous avons en 2021 fêté ses 150 ans d’existence.

Nous menons des travaux de recherche et nous développons également des instrumentations et du traitement de données. Elles nous permettent de faire le suivi à long terme de notre planète en volcanologie, sismologie, météorologie, climat, pollution, hydrologie, hydrogéologie. Notre station au sommet du puy de Dôme recueille des données de température depuis 150 ans. Elle fait partie des trente stations mondiales labellisées Global Atmosphere Watch.

Nous mesurons 70 paramètres en continu (météorologiques, gaz à effet serre, polluants, aérosols, nuages) que nous analysons et envoyons dans les grands réseaux internationaux en temps réel. C’est notamment grâce à ces données que les prévisions météorologiques sont de qualité. Ces mesures sont également utilisées par les modèles de climat contribuant au rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) afin de prévoir les évolutions climatiques pour les 100 ans à venir.

On parle beaucoup du changement climatique. Comment est-ce que vous collaborez avec les pouvoirs publics ? Peut-être d’ailleurs que vous ne travaillez pas avec eux…?

Toutes nos données participent au GIEC. La mission du scientifique est de faire de l’analyse de données, mais également d’améliorer la connaissance sur le système Terre et au delà.

Le GIEC n’est pas une association de scientifiques, c’est une commande des gouvernements. Ils nous demandent de faire un état des lieux des connaissances. D’ailleurs, ce rapport a beaucoup évolué depuis sa première édition. La place des sciences humaines et sociales est de plus en plus importante.
On ne peut pas se contenter d’un état des lieux ou de prévision du climat. Il faut également évaluer l’impact et les risques pour l’espèce humaine et la biodiversité, par exemple. Une fois ces impacts et risques identifiés, il s’agit de les quantifier et de définir des stratégies potentielles pour les minimiser. Ensuite, les gouvernements ont à disposition des analyses robustes scientifiques et non biaisées pour définir leur politique.

Selon le Baromètre de l’Esprit critique ​qui vient d’être publié par le cabinet Gece pour Universcience  : plus d’un Français sur deux (53 %), estime que les théories scientifiques ne sont que des hypothèses parmi d’autres. Les français sont méfiants vis-à-vis de la science… Qu’est ce que vous pensez de cela ?

On peut dire que les Français sont méfiants, mais ça n’a quand même plus rien à voir avec les conflits passés entre la science et la religion par exemple. Il ne s’agit pas de savoir qui à tort ou qui a raison. Le scientifique est factuel et son analyse dépend de l’état des connaissances à l’instant où il les analyse. Ainsi sa compréhension du système peut évoluer dans le temps.

De plus, les scientifiques ont un langage spécifique qui par voie de conséquence  parait un peu obscur pour la plupart des citoyens. Pourtant, la science et la technologie font partie de nos vies au quotidien. Avec ce langage peu accessible, la science s’est peut-être un peu enfermée, mais cela lui a permis de garder son indépendance par rapport à des pressions de la société ou dans certains pays des politiques gouvernementales. 

On voit bien qu’aujourd’hui le changement climatique est un sujet qui nous concerne tous. Notre indépendance nous a rendu légitime pour mettre au premier plan les enjeux climat quelque soit le pays considéré et son histoire culturelle ou politique.  Mais il est sûr que nous avons besoin de vulgarisation scientifique mais aussi d’expliquer notre démarche rigoureuse. C’est ce qui nous permettra d’améliorer le lien entre le scientifique et la société.

Justement, est-ce que vous attendez également une innovation technologique spécifique qui pourrait faire avancer la recherche dans votre domaine ?

Nous avançons pas à pas. Chacun apporte sa petite brique à ce grand édifice. Il y a d’un côté les instruments, mais le traitement des données est également un enjeu majeur. Actuellement, les mesures satellite ont révolutionné nos modes de travail en augmentant de manière incroyable le nombre de données accessibles. Le traitement massif de ces données satellite couplé aux mesures sol avion ou ballon est un enjeu majeur. Grâce au développement de l’intelligence artificielle à travers le machine learning, il est possible de traiter de manière rapide toutes ces données.

Ainsi, nous pouvons décrire et comprendre encore mieux le monde qui nous entoure. Le machine learning  permet l’apprentissage par les ordinateurs de scène déjà observées et analysées. On peut ensuite les classifier automatiquement pour ne concentrer les calculs que sur l’analyse de scènes nouvelles non encore analysées.  

Quels sont les prochains enjeux de votre spécialité ? Les sujets chauds ? 

Nous nous questionnons beaucoup sur les événements extrêmes. Dans quelles circonstances ils surviennent et pourquoi. 
On regarde aussi attentivement du côté des particules de plastique en suspension dans l’air. Les plastiques que nos sociétés produisent se retrouvent partout, dans les océans, les sols mais aussi dans l’air une fois réduit en fine particules. Ils ont un impact sur notre planète.

Du côté des sciences de la Terre, la découverte de la naissance du volcan sous-marin dans l’océan indien au large de Mayotte est un événement exceptionnel à l’échelle de la vie d’un scientifique. Actuellement, de nombreux scientifiques se rendent sur place pour récolter des échantillons. Ensuite, ils les analysent pour mieux comprendre la naissance d’un volcan et faire avancer la connaissance dans ce domaine particulier.

c’est l’instant carte blanche, quelque chose à ajouter ?

Je voudrais insister sur le rôle du scientifique. Il est au service de la société, pas en dehors. Il me paraît également important de renforcer la place des femmes dans la science. Oui, les femmes peuvent être des scientifiques. 

Il est évident également que mes préoccupations vont vers la préservation de notre planète. La prise de conscience de l’impact  de nos activités sur notre planète est générale. Il nous faut trouver ensemble les leviers, que ce soit dans nos modes de vie, dans nos développements technologiques pour réduire cet impact avec le bien être de chacun en ligne de mire à l’échelle mondiale. Je constate que les jeunes générations sont sensibles à ces sujets. J’ai grande confiance en eux. Mon travail est pour eux, mais nous devons embarquer tout le monde, puisque cet enjeu nous concerne toutes et tous. 

Dans la tête de Nathalie

Ta définition de l’innovation : une idée saugrenue

Une belle idée de start-up :  aller sur Mars

La start-up qui monte : le recyclage

Où est-ce que tu vas à la pêche à l’info : les émissions/articles sans polémistes pour faire le buzz mais aussi dans l’histoire.

Une recommandation pour s’instruire (livre, podcast, magazine, série) : france culture, france inter, Philosophie magazine, Le monde diplomatique

Une recommandation pour rire (livre, podcast, magazine, série) : les spectacles  de Kad Mérad ou Dany Boone

une femme qui t’inspire/experte : Simone Veil

L’Auvergnat.e d’ici ou d’ailleurs avec qui tu aimerais bien boire un coup : Brad Pitt mais j’attends, j’attends tous les jours qu’il vienne habiter en Auvergne.

À propos de Pauline Rivière

Pauline Rivière est journaliste et rédactrice en chef du média en ligne le Connecteur. Elle est en charge du choix des dossiers spéciaux mensuels. Elle développe également des outils de datavisualisation à destination de l'écosystème de l'innovation et s'intéresse à l'innovation éditoriale. Avec sa société SmartVideo Academy, elle anime différentes formations à la réalisation de vidéos (au smartphone notamment) et à l’écriture audiovisuelle. Elle intervient également dans l'Enseignement Supérieur dans le cadre de projets pédagogiques digitaux, mêlant techniques de communication et sujets d'innovation.