« Avec l’analyse d’images satellite, on peut avoir un impact sur le futur » Planet Observer

« Avec l’analyse d’images satellite, on peut avoir un impact sur le futur » Planet Observer

Laurent Masselot a fondé Planet Observer à la fin des années 80. Ce fut une des premières entreprises à proposer une photo satellite de la Terre. Aujourd’hui, ces images sont utilisées dans de nombreux secteurs. Agriculture, humanitaire, ou urbanisme, l’observation de la Terre par des satellites permet de proposer des analyses fines pour prévoir et anticiper le futur.

Avant de parler de Planet Observer et d’images satellite et de leurs utilisations socio-économiques, pouvez-vous nous parler un peu de vous ?

J’ai vécu à Nevers avant de poursuivre mes études à l’Université de Clermont Auvergne avec une licence en Géologie. J’ai ensuite intégré un DEA à Paris où j’ai eu la chance de rejoindre le Professeur Brousse, célèbre volcanologue français, originaire d’Auvergne. Suite à mes études, je me suis dirigé vers l’aide technique à la Réunion. C’est l’équivalent de la coopération internationale, mais pour les DOM-TOM. C’est là que j’ai découvert les images satellites en 1986. L’homme était déjà allé dans l’espace mais nous étions aux débuts de l’observation de la Terre par des satellites.

À cette époque, ces images avaient peu d’usages. La végétation était en rouge, et l’eau en noir, et on était sur des images de territoires minuscules.
C’est là que l’idée m’est venue d’assembler plusieurs images satellites entre elles et de créer Planet Observer. C’est ce que l’on appelle le mosaïquage. Cela permet de couvrir un territoire plus large et cohérent comme une région ou un pays.

Vous avez donc monté Planet Observer à la fin des années 80  ?

Oui. Nous avons innové dans les images satellites. À cette époque, les images satellites n’étaient pas comprises du grand public, il n’y avait pas de besoin et donc pas de marché. Nous avons rendu l’image satellite accessible.

Planet Observer est une des premières entreprises au monde à avoir fait du traitement d’images satellite sur PC. À cette époque, le traitement d’images était réalisé par des grandes entreprises spécialisées avec des ordinateurs de tailles très importantes.

Nous avons lancé notre premier produit phare pendant l’été 1994. Une image de la France avec une vue satellite ! Deux ingénieurs ont travaillé pendant un an non-stop pour parvenir à proposer cette image satellite de la France avec des couleurs qui signifiaient quelque chose. L’eau, les sols et les éléments étaient des couleurs naturelles. Cette réalisation a été un grand succès et  c’était la vraie preuve de marché. À partir de cette carte unique, on a pu décliner en régions, en départements et ainsi de suite.

Vous avez proposé vos affiches “France” au grand public. Et après ?

Nous nous sommes attaqués aux autres pays européens, puis au reste du monde. En 2003, nous avons pu proposer une image satellite de la Terre. Nous l’avons fait avant Google. A cette époque, avec ce mono-produit déclinable, nous avons eu des filiales un peu partout en Europe.

Entre-temps, en 1999, nous avons proposé le premier site web de streaming on-line. Finalement, on a fait Google Maps 6 ans avant Google Maps. Ensuite, on s’est fait rattraper par Google.

Vous faites pivoter le business model de Planet Observer et vous vous tournez vers les professionnels.

Oui. Petit à petit, on s’est tourné vers un marché professionnel. Aujourd’hui, nous vendons des licences d’utilisation de nos contenus. Ce sont, d’une part, des mosaïques satellitaires mondiales en 2D. D’autre part, depuis plus de 10 ans, nous proposons également des contenus 3D appelés modèles altimétriques de terrains. C’est-à-dire en intégrant  les altitudes des points du globe. 

Nous les commercialisons dans un certain nombre de secteurs. Nos plus gros clients sont dans le secteur de la défense. Grâce à nos cartes, les pilotes d’aviation peuvent étudier leur plan de vol avant même le décollage. D’ailleurs, la simulation de vol est un de nos plus grands marchés. 

Pour répondre aux besoins spécifiques de ce secteur, nous avons dû développer de nouveaux contenus issus d’images satellites. Notre mosaïque mondiale permet de zoomer jusqu’à une certaine échelle. Au-delà, nous pouvons ajouter des puits de précisions. Notamment, des images bien plus précises pour les aéroports qui permettent aux pilotes de rouler sur les pistes dans un environnement très précis.

Vous avez également un autre marché porteur. La météo.

Nous proposons ce que l’on appelle des basemaps pour les chaînes de télévision. Le plus gros challenge avec les images satellites est de pouvoir proposer un produit sans nuages ou perturbations. Il faut une carte pure. Ensuite, les chaînes météo vont superposer des calques pour ajouter des informations en temps réel.

Les planétariums font également appel à nous afin de pouvoir proposer des images immersives à leurs spectateurs.

D’où proviennent ces images ? Vous n’avez pas lancé votre propre satellite ?

Il existe différents types de satellites. Il y a tout d’abord les satellites géostationnaires pour les télécommunications. Ils sont à 36 000 km d’altitude et survolent toujours le même espace puisqu’ils tournent avec la Terre.
Ensuite, on trouve les satellites militaires. Ils volent bas et ils ont des orbites extrêmement variées.
Enfin, il existe des satellites d’observation de la Terre sur des orbites héliosynchrones. Pour faire simple, ils passent au-dessus des pôles Nord et Sud pendant que la Terre tourne d’Est en Ouest. Ils vont pouvoir enregistrer des rubans d’images. Au bout d’un certain temps, les rubans couvrent la Terre. Ce sont ces satellites qui nous fournissent la donnée. Ils se nomment Sentinel 2, sont européens et font partie du programme Copernicus.

Ces images sont en open-source. Les entreprises peuvent les récupérer et les traiter en fonction des produits qu’elles souhaitent proposer.

Photographier la Terre, c’est un travail de titans qui doit consommer beaucoup de datas, non ?

Pour faire une couverture de la Terre, il faut 8 000 images. Cela nécessite une très grosse puissance de calculs. Depuis un an, nous avons un contrat avec l’entreprise Neyrial qui nous fournit le matériel adéquat.

Nous livrons à un client une mosaïque de la Terre avec une résolution de 10 m. Ce qui signifie qu’un pixel représente 10 m sur 10 m. Cela représente 15 téraoctets de données ou, 15 000 gigaoctets. 

Comment faire en sorte que vos cartes mondiales soient actualisées ? Le monde bouge constamment. Les villes se modifient et les paysages également.

Notre ADN, c’est de pouvoir proposer les images les plus récentes. Chaque année, nous mettons à jour 1000 villes. On fait une sélection spécifique en fonction du développement des pays. Les villes en Chine ont tendance à se modifier beaucoup plus rapidement que celles en France, par exemple. 

Je me souviens avoir participé à des ateliers participatifs avec Openstreetmap où l’on devait dessiner les formes que l’on voyait et les identifier. Par exemple, ce carré est un bâtiment, ce trait est une route etc, etc.. À quoi cela sert-il ?

Si vous pouvez utiliser Google Maps en version vectorielle, c’est parce que de petites mains ont dessiné sur des images satellites pour identifier le système routier. C’était il y a très longtemps, quand les premiers TOMTOM sont sortis.

Aujourd’hui, le marché autour des images satellites est bien plus large qu’auparavant. Quels autres secteurs utilisent ces contenus ?

Dans notre secteur, à savoir la basemap à moyenne résolution, nous sommes trois dans le monde à le proposer.  Si vous allez sur le site du gouvernement géoportail.gouv.fr, ce sont nos images que vous trouverez en plus des images aériennes de la France. 

Mais il existe un marché énorme de spécialistes d’analyses d’images satellites. Ils vont traduire les images pour différents types d’usages.
Par exemple, dans l’agriculture, ils vont pouvoir extraire de ces images des informations concernant les sols, et définir les endroits où il est important d’irriguer en se basant sur des images des années précédentes. C’est également extrêmement important pour suivre la fonte des glaciers et les conséquences du changement climatique. 

Enfin, ce sont des contenus indispensables en urbanisme. Par exemple, si une collectivité fait un chantier, elle doit pouvoir identifier l’impact de ce chantier sur les réseaux gaz. C’est aussi très utile pour savoir s’il est stratégique d’implanter un commerce à un endroit particulier, en observant visuellement la zone de chalandise autour.
Aujourd’hui, on forme des professionnels des SIG, des Systèmes d’Information Géographique, qui vont proposer des expertises spécifiques pour une multitude de secteurs d’activités.

Vous êtes 6 dans l’entreprise. Vous dites que la technologie est au service de l’humain pour arriver à proposer un produit de qualité. À terme, l’IA pourra-t-elle faire ce travail à la place de votre équipe ?

Je ne pense pas. Je ne crois pas que les algorithmes pourront mieux travailler que les humains. Dans notre activité, la partie humaine est indispensable pour avoir un niveau de qualité comme celui que nous proposons. 

D’ailleurs, vous pouvez faire le test. Google Maps utilise beaucoup d’intelligence artificielle. Je vous invite à faire ce petit exercice. Vous affichez le Nord de l’Afrique jusqu’à la péninsule arabique en vue satellite sur Google maps et vous faites la même chose avec Géoportail et notre basemap. Ensuite, vous zoomez. Vous comprendrez les limites de l’intelligence artificielle et l’importance du savoir-faire humain pour traiter cette immense quantité de données.

Dans la tête de Laurent Masselot

Ta définition de l’innovation : prendre quelque chose qui fonctionne mal et essayer de l’améliorer

Une belle idée de start-up : une plateforme de mise en relation entre des personnes qui ont des compétences mais pas d’idée, et des personnes créatives qui ont des idées qui dorment dans des tiroirs 

Où est-ce que tu vas à la pêche à l’info :  dans la presse écrite

Une recommandation pour s’instruire (livre, podcast, magazine, série) : Liu Cixin, un auteur de science-fiction chinois

une femme qui t’inspire/experte : Blanche Gardin, elle me fait rire 

L’Auvergnat.e d’ici ou d’ailleurs avec qui tu aimerais bien boire un coup : je bois déjà assez de coups.

source : images satellite Google maps
source : images satellite Planet Observer geoportail.gouv.fr

À propos de Pauline Rivière

Pauline Rivière est journaliste et rédactrice en chef du média en ligne le Connecteur. Elle est en charge du choix des dossiers spéciaux mensuels. Elle développe également des outils de datavisualisation à destination de l'écosystème de l'innovation et s'intéresse à l'innovation éditoriale. Avec sa société SmartVideo Academy, elle anime différentes formations à la réalisation de vidéos (au smartphone notamment) et à l’écriture audiovisuelle. Elle intervient également dans l'Enseignement Supérieur dans le cadre de projets pédagogiques digitaux, mêlant techniques de communication et sujets d'innovation.