Compte-rendu / Table ronde Living Orgs 2017 « Management et épanouissement du collectif »

Compte-rendu / Table ronde Living Orgs 2017 « Management et épanouissement du collectif »

Par Damien Caillard

Living Orgs Day est une journée de découverte, de réflexion et de partage destinée à faire naître en Auvergne une véritable impulsion. Celle qui permettra de libérer les énergies, de faire de l’entreprise un terrain fertile pour le changement, de répondre aux enjeux d’aujourd’hui et de demain.

L’édition 2017 a eu lieu à Epicentre Factory le jeudi 21 septembre. Plus de 60 participants ont assisté à deux tables rondes et participé activement aux ateliers sur la thématique du « Bien-être au travail ». Voici le compte-rendu texte et vidéo de la seconde table ronde sur le sujet du « Management et épanouissement collectif dans l’entreprise ».

Les participants de cette table ronde :

L’animation était assurée par Emmanuelle Perrone d’Epicentre Factory et par Marie-Pierre Demarty de la Plume Agile.


Ne manquez pas le compte-rendu de l’autre table ronde de la journée
sur la thématique « Bien-être et épanouissement individuel dans l’entreprise »


Accès rapide aux sections:

  1. Synthèse écrite de la présentation
  2. Replay vidéo intégral
  3. Interview bonus

La synthèse de la présentation

Les timecodes (minutes:secondes) indiqués dans les titres correspondent à la vidéo intégrale que vous trouverez dans la section suivante.

Introduction

Emmanuelle Perrone précise que, suite à la première table ronde sur l’épanouissement individuel, il semble important de compléter cette vision par une approche du collectif dans l’entreprise. Car l’entreprise est faite d’interactions, avec les managers, les clients, les collaborateurs.

Marie-Pierre Demarty introduit les intervenants pour cette table ronde :

  • Clément Neyrial a fondé il y a 10 ans, à 22 ans, CN Industrie à Brioude. L’activité principale est du doming : procédé industriel dans l’impression de texte, apportant une couche de résine donnant du relief aux caractères. Aujourd’hui, c’est le leader européen de ce marché de niche, avec 7 collaborateurs. A partir d’une équipe initiale de 3 personnes, la croissance de l’activité fut rapide, nécessitant d’autres embauches qui ne se sont pas forcément bien passées. Face aux problèmes relationnels et à un tassement de la croissance du C.A., l’organisation a été revue dans le sens de l’entreprise libérée. Et c’est un succès.
  • Catherine Boisgard, DRH de l’Association Hospitalière Sainte-Marie. Basée à Chamalières, cette structure compte une trentaine d’établissements dans le quart sud-est de la France, dont bien sûr l’hôpital Sainte-Marie à Clermont. La problématique RH, outre le fonctionnement, concerne le recrutement et l’attractivité, et aussi la remontée d’infos sur les initiatives du terrain. Face à ces constats, un projet d’innovation est en cours de mise en place dans l’association. Première étape : définition des valeurs qui sont notamment le respect, l’autonomie, la dignité, la compétence et l’innovation. La suite de la démarche fait appel à la responsabilisation des équipes, ce qui est assez singulier dans le milieu hospitalier.
  • Karin Bot, de la direction des compétences S.I. chez Michelin. En écho à la conférence sur Michelin lors de la précédente édition de Living Orgs. Son rôle est de prévoir les compétences en informatique à moyen et long terme, et envisager la « montée en compétences » des personnels en interne pour que chacun ait toujours sa place dans les équipes.
  • Brigitte Nivet, enseignante et chercheur en sciences de gestion et management à l’ESC Clermont, membre du groupe PEOPLE qui travaille sur les questions d’innovation managériale et qui apportera – comme ce matin – un regard transversal sur les échanges.

Les retours d’expérience de mise en place d’un collectif (9:30)

Karin Bot précise que, sur le secteur tertiaire, il y a à la fois le groupe de collaborateurs et le manager, et tous sont dans « le collectif ». Le rôle du manager est de créer l’environnement propice pour que le collectif fonctionne, et de s’assurer que les objectifs sont clairs et partagés. Il doit aussi garantir les moyens et la liberté d’action du collectif. Après, c’est au collectif de se mettre lui-même en mouvement : les membres individuels doivent se connaître (entre eux, mais eux-mêmes également, dont ses propres compétences), adhérer au projet et clarifier leurs propres règles du jeu (y compris des règles pratiques du quotidien, comme les horaires). Le manager peut jouer un rôle de miroir pour faciliter ce process. C’est ainsi que les individus se définissent comme partie d’un groupe et peuvent travailler pour en réaliser les objectifs.

Clément Neyrial insiste sur la petite taille de sa structure et sur l’agilité des procédés. Dans ce type d’entité, la communication se fait de manière très fluide. La réflexion en commun sur la mission d’entreprise a fait progresser chacun en responsabilité et en autonomie. Le « graal » a été atteint quand les problèmes de rémunération ont été mis sur la table, car il y avait toujours des micro-problèmes liés à ce point. Naturellement, la résultante de ces échanges est que tous se sont mis au même taux horaire salarial, quel que soit le poste, car chaque fonction était nécessaire dans l’équipe et aucune n’était plus importante que l’autre. Ce jour-là, le collectif est devenu une famille.

Pour Catherine Boisgard, l’environnement de soin face à la maladie, la vieillesse et le handicap (mental notamment) est usant pour les salariés. De plus, la structure est éclatée géographiquement. Le travail de mise en commun a consisté à demander aux collaborateurs s’ils se sentaient membres d’un collectif et à quel niveau. Résultat : ce collectif était minimaliste, souvent limité au service (et non pas au site, encore moins au territoire). Ensuite, les valeurs ont été travaillées puis validées. Maintenant, il s’agit de les décliner en principes d’action appropriables par le management au quotidien. On s’est rendu compte que le manager avait le rôle de donner du sens aux décisions et à l’action, et devait faire émerger la réflexion des équipes.

Clément Neyrial précise qu’il n’est pas salarié mais qu’il a accès aux bénéfices de l’entreprise, en tant que CEO. Il n’est pas forcément obligatoire que le patron soit au même niveau de rémunération que les équipes. Au contraire, afficher un minimum sa réussite financière et sociale (par exemple en achetant une belle voiture), en tant que chef d’entreprise, peut donner de la fierté à l’ensemble des salariés si l’état d’esprit est positif et la communication fluide.

Brigitte Nivet confirme qu’un collectif ne va pas de soi, et qu’il faut des conditions préalables. Premier besoin initial : une vision, un rêve, quelque chose de « sublimé » et de fondamental. Ensuite vient la question du rôle du manager : il a bien ce rôle de « créer le contenant » et de co-construire les règles. Le rôle du management traditionnel est d’ailleurs la question la plus prégnante actuellement, car il avait jusqu’à présent un rôle de contrôle, de planification et de sanction : un rôle dont les nouvelles générations ne veulent plus. On parle donc d’une redéfinition du management et de sa fonction dans l’entreprise.

L’organisation ou le collectif, l’oeuf et la poule ? (24:00)

Pour Karin Bot, le collectif prime, quelle que soit l’organisation. La structure est nécessaire mais la question est secondaire. La vraie question est de comment donner du sens, c’est à dire comment atteindre la vision commune.

Catherine Boisgard détaille la variété des situations de travail et de management dans son organisation. Mais, quand les objectifs et les valeurs communes sont claires, le collectif sait toujours s’organiser. De plus, le contexte extérieur, la réglementation nationale, ou encore les injonctions de l’organisme de tutelle évoluent fréquemment et rapidement : le collectif doit être souple et résilient pour que l’organisation soit agile.

D’après Brigitte Nivet, l’organisation traditionnelle était définie par une unité de lieu, de temps, d’espace. Ce qui n’est plus possible aujourd’hui : les repères se brouillent. Aujourd’hui, le collectif se redéfinit. On peut travailler de manière asynchrone, dans des lieux différents … la dynamique du groupe doit se focaliser sur les objectifs communs, qui sont souvent à clarifier. Autre question, celle du statut (les modalités d’emploi étant fortement variables, avec par exemple la différence entre le « noyau dur » des CDI et les contrats plus précaires, ou les statuts d’auto-entrepreneurs qui se substituent au salariat parfois). Comment créer une alchimie pour que toutes les personnes aux statuts divers participent du projet collectif ? Cette question est tout à fait d’actualité.

Clément Neyrial est plus pragmatique, car sa structure ne va pas si loin dans la réflexion. A la question du sens, la réponse était initialement la performance de l’entreprise et la course au rendement. Mais, un jour, l’équipe a compris que les bénéfices étaient le résultat et non l’objectif du travail. Et le collectif a mieux fonctionné.

Le collectif doit-il être homogène ou varié ? (30:40)

Toujours selon Clément Neyrial, les grandes révolutions ont été le fruit de rencontres de diversité. Il faut privilégier au maximum cette diversité pour générer des innovations et des nouvelles perspectives. Plusieurs « noeuds » problématiques ont été résolus chez CN Industrie parce que plusieurs points de vue ont pu être conciliés

Karin Bot est tout à fait d’accord sur la nécessité de plusieurs points de vue, notamment par rapport à la vitesse d’évolution des métiers et des enjeux. Cela doit être cultivé chez Michelin, d’autant plus que le turn-over y est faible. D’où la question des « moyens », au sens large, du collectif (par exemple, le collectif peut-il participer aux recrutements pour influer sur cette notion de diversité ?)

Catherine Boisgard insiste sur les normes inhérentes à son domaine d’activité, mais aussi sur la nécessité d’adaptation aux pathologies. La démarche choisie est celle des « Pépites » : mise en lumière d’innovation de terrain et des personnes qui les ont portées, pour entretenir la créativité et la recherche d’innovation. Comme les structures sont éloignées, l’enjeu est d’y mettre de la transversalité pour que tout le monde bénéficie des innovations et puisse « rebondir » dessus.

Confirmation de la part de Brigitte Nivet sur le consensus autour de la diversité, mais avec un avertissement : n’est-ce pas un alibi pour occulter les dimensions d’inégalité sociale ou de « clanisme », autour par exemple des problématiques de statuts déjà évoquées. Peut-on par exemple avoir un sentiment d’appartenance à l’entreprise quand on y enchaîne des contrats précaires ? Le modèle traditionnel de l’entreprise est critiquable mais il avait le mérite de produire ce lien social et de procurer un étayage collectif.

Quelle articulation entre les individus et le collectif ? (37:30)

Catherine Boisgard revient sur les normes dans son domaine d’activité : chacun a une place attribuée, en particulier dans le rapport médical. Mais dans le rapport plus humain au patient, il est possible d’être plus innovant. A l’image d’une démarche belge appelée « Socle Care », qui insiste sur le moment-clé de l’accueil d’un patient dans l’environnement de soin. Et chaque salarié y est libre d’agir ou non (par exemple, liberté de prendre un café avec le patient, dans un cadre informel, mais qui peut avoir une vraie importance).

Selon Karin Bot, l’équipe doit être la plus autonome possible en termes de compétence et de moyens, ce qui implique une certaine polyvalence. Le rôle du manager est fondamental pour permettre cela : l’équipe liste les compétences nécessaires en fonction de l’objectif, si elles ne sont pas réunies chacun exprime ses « appétences » et organise, éventuellement, l’acquisition des compétences manquantes. Le manager doit mettre l’équipe dans les bonnes dispositions, tel un coach, et se mettre au service de l’équipe. Pour cela, il doit être capable de se remettre en cause (il n’est plus omniscient, en termes de compétence), ce qui est un vrai challenge en interne. C’est une question de disponibilité : le manager doit s’organiser pour être – par exemple 30% de son temps – à disposition du collectif.

Comment opérer la transition chez les managers ? (43:30)

Traditionnellement, le plus compétent est le manager. L’approche du collectif doit créer des frustrations chez eux : comment le gérer ?

Karin Bot détaille un dispositif d’accompagnement en interne sur cette problématique, avec un premier travail sur la prise de conscience : l’ancien modèle n’est pas mauvais, il est juste périmé car la situation a changé. Mais, en effet, il est difficile d’accepter de ne plus mettre en avant son expertise métier en tant que manager. Cela se fait progressivement, notamment avec de la mobilité interne.

Clément Neyrial voit cependant les choses autrement. Il estime que l’épanouissement au travail a pour conséquence de diminuer l’importance personnelle de la promotion.

Pour revenir à la question précédente (articulation individuel/collectif), il évoque les échecs organisationnels qui ont été porteurs d’expérience. Premier échec : le premier recrutement ! Pas de problème de compétence, mais l’intégration ne s’est pas faite avec l’équipe (des deux côtés). Du coup le recrutement a été annulé. Conséquence : Clément a permis à l’équipe de s’occuper de l’embauche de la personne suivante. Du coup, beaucoup plus d’efforts ont été faits pour intégrer la personne. En termes de poste, ce n’est pas un problème dans une petite équipe car les postes ne sont pas précisément définis et restent mobiles. Second échec (qui n’en est finalement pas un) : une autre embauche faite par l’équipe d’une personne souvent malade au début, qui a malgré tout été accompagnée avec beaucoup de pédagogie par le collectif et qui a fini par bien s’intégrer. Chose qui n’aurait sans doute pas eu lieu aussi facilement si le CEO s’était chargé du recrutement.

Pour Brigitte Nivet, la question de la place de chacun fait écho aux évolutions des organisations et à la notion de poste, héritage du taylorisme, encore très lié à la notion de travail. Certaines organisations essayent parfois de supprimer le management, tout du moins de réduire des niveaux de management (notamment dans le cadre de l’auto-gestion, ou de tentative de démocratie d’entreprise ; des systèmes de cooptation et d’élection sont alors proposés, se retrouvant aussi dans des modèles très aboutis comme la sociocratie, qui introduit des règles de participation très précises). Dans ces organisations, on voit que l’on touche à l’essentiel : le travail, sa valeur, sa qualité, sa répartition, sa coordination, son évaluation … Ces expérimentations sont toujours intéressantes car elles montrent que l’on cherche à innover, et à transformer les relations de travail au sein de l’organisation. En outre la disparition de certains postes de management relèvent parfois, aussi, d’une volonté d’optimisation et de réduction de coûts avec des conséquences sur le déficit de médiation. Cette bascule des responsabilités et des décisions sur les collaborateurs productifs a aussi des impacts négatifs, comme la « pression » qui peut conduire au burn-out, car il n’y a plus de limites. Limites que le manager intermédiaire aurait été en capacité de poser pour protéger le salarié.

Quelques clés de réussite pour l’épanouissement du collectif (51:45)

  • Clément Neyrial: ne pas vouloir jouer un rôle. Il n’y a pas forcément de méthode idéale, si ce n’est d’être naturel et de se faire accepter en tant que tel, avec une approche transparente et bienveillante
  • Karin Bot: être cohérent entre ses paroles et ses actes. Sinon, les conséquences sont dévastatrices. Autre conseil : lâcher prise, faire confiance aux équipes qui veulent participer, notamment en réduisant les barrières imposées par les statuts.
  • Catherine Boisgard: dans un environnement de plus en plus instable et varié, il faut toujours partager, échanger et créer du lien social.
  • Brigitte Nivet: en effet, l’enseignement du management a changé au sein des écoles, on sort du modèle de management prescriptif pour aller vers des questions qui portent surtout sur les notions d’engagement, d’implication, de collectif…. Et, au-delà de la création des rituels imposés, il faudrait inventer des espaces dédiés à la discussion et à l’échange sur les métiers et sur le travail (critères, besoins …), avec souvent un médiateur qui faciliterait les échanges et permettrait l’émergence d’une vraie base de connaissance commune autour des activités et du travail.

Le replay de l’événement

La vidéo complète de la captation sur YouTube (59′):

Tournage et montage Damien Caillard / Le Connecteur
Merci à Raphaël Poughon pour la vignette de la vidéo

 


Les interviews bonus

Les intervenants reviennent en vidéo sur un point à retenir de cette table ronde:


À propos de Véronique Jal

Ma ligne guide depuis 15 ans, c'est le management de projets collectifs à fort "sens ajouté" : les fromages AOP, les hébergements touristiques, la démarche d'attractivité d'une région... et aujourd'hui l'innovation territoriale via un média associatif Toulousaine d'origine, j'ai découvert et choisi l'Auvergne que mon parcours pro m'a amenée à connaître sous plein de facettes. J'adore cette activité qui nous permet d'être en situation permanente de découverte.