Des pratiques plus éthiques pour les plantes médicinales

Des pratiques plus éthiques pour les plantes médicinales

La culture de plantes médicinales spécifiquement pour la recherche et le développement, ouvre une nouvelle voie vers l’innovation. Albert Tourrette est directeur général d’Alto Phyto SAS. Il met en lumière l’importance de produire des plantes de qualité, traçables et riches en principes actifs. C’est ce qui permet de répondre aux exigences strictes de la R&D. Dans cet entretien, il aborde la nécessité de diversifier la demande. Et ce, pour éviter la surconsommation et l’exploitation excessive de certaines espèces, souvent motivée par des stratégies marketing. 

Pourriez-vous partager avec nous votre parcours ? Des différentes étapes de votre vie professionnelle avant de lancer Alto Phyto ?

Albert Tourrette : Je suis originaire du Cantal. Suite aux différentes mutations professionnelles de mon père, notre famille a déménagé en Seine-Saint-Denis. Ce changement drastique d’environnement a été quelque peu compliqué pour moi. 

C’est vers l’âge de 14 ou 15 ans, que j’ai eu une révélation. En regardant une émission à la télévision sur les jardins japonais, notamment ceux de Katsura, j’ai été ébloui. J’ai immédiatement su que je voulais me consacrer à la conception paysagère.

J’ai entrepris des études spécialisées à l’École du Breuil, une institution renommée pour la formation de jardiniers et de paysagistes. À mon retour du service militaire, plutôt que de reprendre les études, j’ai choisi d’entrer directement dans la vie active. J’ai travaillé pour des entreprises principalement dans le segment haut de gamme. Puis, j’ai collaboré pendant 12 ans avec le paysagiste Gilles Clément, travaillant sur de multiples projets comme le Parc André Citroën (Serre Australe) et le jardin du Domaine du Rayol.

À un moment donné, j’ai décidé de voler de mes propres ailes. Cette période a été l’occasion pour moi de voyager afin de découvrir de nouvelles flores. J’ai pu travailler sur des projets d’envergures en France et à l’étranger.

En 2016, je suis retourné en Auvergne. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à m’intéresser aux plantes médicinales. Je me suis dit que les plantes ne sont pas seulement belles à regarder, elles peuvent aussi être utiles. J’ai fait une première tentative chez moi dans le Cantal en relançant la culture de l’Arnica Montana, une plante locale aux nombreuses vertus médicinales.

C’est ce qui vous a motivé à créer « Alto Phyto » et vous intéresser aux plantes médicinales ?

En partie. Avec Alto Phyto, mon domaine d’expertise concerne davantage la recherche et le développement sur des plantes spécifiques. Je travaille sur la prospection et la mise en culture de ces plantes, en réponse aux demandes des chercheurs qui sont en quête de molécules d’intérêts. Mon travail consiste donc à proposer des plantes,à les trouver, à les mettre en culture pour ensuite mener des expérimentations. C’est un domaine très spécifique.

La rencontre avec Pierre Chalard m’a permis de pouvoir envisager de créer un cluster universitaire autour du projet “PLANTINAUV”. L’objectif étant de travailler sur les possibilités de valorisation des plantes d’Auvergne. Cette démarche collaborative que j’entretiens avec les universités est assez unique. Ce projet a suscité l’intérêt de plusieurs acteurs du secteur, dont la Société GreenTech, et La Société Domes Pharma qui ont rejoint le Consortium. 

Depuis cette rencontre, je collabore étroitement avec DÔMES PHARMA sur la recherche de nouvelles activités dans le Domaine Vétérinaire .

Quels critères déterminent l’intérêt porté à certaines plantes plutôt qu’à d’autres au sein des industries pharmaceutique et cosmétiques ?

Il faut distinguer la R&D telle que nous la menons avec les acteurs locaux et la démarche des grands groupes industriels. Dans le domaine de l’industrie cosmétique et pharmaceutique, certains industriels peuvent littéralement faire la pluie et le beau temps. 

Il y a des plantes qui sont en vogue à un moment donné, et puis l’attention se tourne vers d’autres par effet de mode et de marketing. Cela va entraîner une ruée vers la production de plantes à forte demande. Au départ, ces plantes produites par des petits acteurs participent au développement local, puis, d’autres sociétés vont s’installer afin de produire localement et cela peut entraîner une concurrence déloyale et des prix cassés.

Ici en Auvergne, les recherches sont souvent guidées par des besoins plus spécifiques. Pour répondre aux demandes diversifiées de mes partenaires, je procède à des mises en culture de plantes ciblées, en Auvergne et dans  le Sud de la France. Bien que je sois basé à Clermont-Ferrand, j’ai des collaborations un peu partout en France. c’est ce qui me permet d’identifier le meilleur endroit pour la croissance de certaines plantes.

Quels sont les obstacles à la mise en place d’une filière de production de plantes médicinales en Auvergne ?

Albert Tourrette : La principale problématique que nous rencontrons concerne le manque de foncier disponible. En effet, l’essentiel du foncier est occupé ou réservé pour les Appellations d’Origine Protégée (AOP), principalement pour la production de viande et de fromage. Cela est d’autant plus compliqué avec la présence de grands acteurs comme Limagrain qui dominent certains segments de l’agriculture dans la région. Il est donc très difficile pour de nouveaux venus de s’installer dans ce contexte. C’est une problématique que rencontrent également les vignerons qui souhaitent développer leur activité en Auvergne.

De plus, les zones protégées ajoutent une couche supplémentaire de complexité. Ces zones, destinées à préserver la biodiversité et les paysages naturels, imposent des restrictions sévères.

Enfin, sur certains territoires comme les estives, quand on cherche à obtenir un hectare pour développer un projet lié aux plantes médicinales, la résistance locale peut être très forte. 
D’une manière générale, l’Auvergne recèle certains territoires intéressants d’un point de vue pharmacopée. Il y a bien sûr, certaines plantes de montagne qui ont disparu progressivement à cause de la sur cueillette et du surpâturage.  

Quelles répercussions le changement climatique a-t-il sur vos pratiques de culture et de sélection des plantes ?

Par exemple, l’Arnica montana, que j’ai produit il y a quelques années, poussé naturellement à partir de 1000 à 1200 mètres d’altitude. Il risque de se raréfier désormais et de se maintenir à 1400 mètres. D’autres plantes ne bénéficient plus de périodes de vernalisation nécessaires à leur croissance et leur développement optimal. 
D’ailleurs, avec le changement climatique, on pourra envisager de cultiver de l’olivier dans le Puy-de-Dôme, (des oliviers résistent déjà à des températures de -12 degrés Celsius).

Quand on travaille sur les principes actifs des plantes, comme le fait  Alto Phyto, il faut chercher à produire au bon endroit. Les productions doivent être qualitatives et quantitatives pour les tests et les expérimentations. Je travaille en plein air, jamais sous serre. Par conséquent, je recherche des zones pour mes expérimentations sur des terrains, se situant entre 500 et 1000 mètres d’altitude, afin d’essayer de recréer l’environnement originel des plantes sur lesquelles je travaille.

Je fais le choix assumé de collaborer avec des chercheurs et des laboratoires sérieux recherchant l’innovation et privilégiant la qualité, la traçabilité et les teneurs des plantes. Je n’ai pas souhaité m’engager dans une compétition directe avec des concurrents fournissant des plantes aux origines incertaines.

C’est l’instant carte blanche, quelque chose à ajouter ?

Albert Tourrette : Oui, il y a effectivement quelque chose qui me tient à cœur. J’aimerais partager un rêve, peut-être un peu idéaliste, mais important à mes yeux. J’aspire à ce que l’industrie cosmétique et le secteur du bien-être en général adopte une approche plus sérieuse et éthique vis-à-vis de ce qu’elle vend. 

Le marketing des cosmétiques inonde les médias, vantant les vertus de produits miracles souvent au détriment des petits producteurs qui vendent leur production à des coopératives dominantes. Il est crucial que les producteurs soient rémunérés équitablement. 

Cette situation appelle à une véritable économie circulaire où l’exploitation serait remplacée par une collaboration équitable. Les grands groupes industriels doivent « verdir » leurs pratiques et leurs image. L’éthique, la traçabilité et la transparence sont impératives dans ce secteur. 

À propos de Pauline Rivière

Pauline Rivière est journaliste et rédactrice en chef du média en ligne le Connecteur. Elle est en charge du choix des dossiers spéciaux mensuels. Elle développe également des outils de datavisualisation à destination de l'écosystème de l'innovation et s'intéresse à l'innovation éditoriale. Avec sa société SmartVideo Academy, elle anime différentes formations à la réalisation de vidéos (au smartphone notamment) et à l’écriture audiovisuelle. Elle intervient également dans l'Enseignement Supérieur dans le cadre de projets pédagogiques digitaux, mêlant techniques de communication et sujets d'innovation.