De la plante à la pilule, voyage au coeur de la chimie du végétal

De la plante à la pilule, voyage au coeur de la chimie du végétal

Pierre Chalard est chercheur en chimie du végétal et animateur de la chaire VIVA à SIGMA Clermont, école d’ingénieur de Clermont Auvergne INP. Dans cet entretien, nous explorons l’importance croissante des plantes médicinales dans la recherche et le développement pharmaceutique. Cet échange met en avant le rôle central de la collaboration entre la recherche publique et le secteur privé comme une des moteurs principaux de l’innovation.

Le saviez-vous ?

  • La chaire VIVA de Sigma Clermont est née de la collaboration entre chercheurs et industriels.  Elle explore le potentiel des plantes pour révolutionner la pharmacie, la cosmétique. 
  • Au cours des quarante dernières années, nous avons étudié seulement 20% des plantes. Les champignons et les lichens ont été encore moins étudiés. 
  • De l’ayurvéda à la médecine chinoise, l’ancien savoir reconnaissait le pouvoir des plantes. La science moderne cherche maintenant à comprendre pourquoi et comment
  •  La région Auvergne-Rhône-Alpes possède un écosystème riche en entreprises spécialisées et en infrastructures de recherche dans la valorisation du végétal
  • La composition d’une plante peut varier significativement selon son environnement. Cela souligne l’importance de la biodiversité et du terroir dans la valorisation végétale. 

Pouvez-vous retracer les grandes lignes de votre parcours professionnel ? 

Pierre Chalard : Je suis originaire de Vollore-Ville, d’un petit village situé dans les contreforts du Forez. Depuis mon enfance, j’ai toujours été fasciné par la nature qui m’entourait.

En 2000, j’ai été recruté en tant que maître de conférences, enseignant-chercheur en chimie à l’école d’ingénieur chimiste de Clermont. Le volet recherche en applications Chimie et Santé, tel qu’il est pratiqué à SIGMA Clermont et à l’Institut de Chimie de Clermont-Ferrand, permet de travailler en étroite collaboration avec le monde socio-économique. Cette interaction entre la recherche académique et le secteur industriel est fondamentale pour moi. Elle permet de concrétiser les avancées scientifiques en solutions tangibles pour la société.

Pourrait-on connaître les axes principaux de vos recherches en cours ?

Pierre Chalard : Durant ma thèse, j’ai travaillé sur de la chimie de synthèse. C’est-à-dire la fabrication de nouvelles molécules en laboratoire. Très rapidement j’ai réalisé qu’il serait encore plus intéressant de découvrir ces molécules directement dans les plantes médicinales.

C’est ce qui m’a poussé à orienter mes recherches vers l’identification de nouvelles molécules naturelles possédant des activités bénéfiques pour la santé. 

Aujourd’hui, je travaille au sein de la chaire VIVA  (Valorisation d’Ingrédients Végétaux bio-Actifs). Elle est née d’une collaboration étroite avec des industriels qui ont exprimé le besoin de s’appuyer sur des partenaires de recherche publique pour développer leurs nouveaux produits et innover. L’objectif est de stimuler l’innovation dans le domaine de la valorisation orientée santé.

La chaire VIVA se concentre sur des secteurs spécifiques. Nous travaillons principalement sur la santé humaine et animale, l’industrie pharmaceutique, les cosmétiques, et les nutraceutiques, incluant les compléments alimentaires. 

Depuis sa création en 2017, en collaboration avec les biologiques de l’Unité de Nutrition Humaine, nous avons collaboré avec plusieurs entreprises comme Greentech, Dome Pharma, Lexva Analytics, Pileje. Nous travaillons également Alto Phyto, spécialisée dans la culture de plantes médicinales. Notre ambition est de créer un véritable creuset à projets. Un lieu où peuvent mûrir des projets innovants et se former des accords en consortium, orientés vers la recherche et l’innovation. L’idée est de catalyser de nouveaux projets collaboratifs, tant publics que privés.

Quelles sont les raisons derrière le renouveau d’intérêt pour la chimie des végétaux à notre époque ?

La question serait plutôt de s’interroger sur les raisons d’une période de désaffection pour ce domaine. Une enquête récente a analysé les molécules ayant obtenu une autorisation de mise sur le marché entre 1980 et 2019. Il en ressort que plus de 60% de ces molécules proviennent de la nature. Parallèlement, il apparaît que près de 80% des plantes médicinales ont été peu explorées dans la recherche de nouvelles molécules actives. Si on résume, avec seulement 20% de ces plantes étudiées, nous avons découvert 60% des nouveaux médicaments dans les quarante dernières années

Cela souligne le potentiel immense que représente les 80% restants. Sans parler d’autres matrices comme les champignons et les lichens, qui ont été encore moins étudiés. . Ces organismes produisent des molécules uniques qui peuvent jouer un rôle crucial dans le développement de nouveaux médicaments.

Ailleurs dans le monde, le recours aux plantes médicinales est courant dans le traitement des maladies. Pourquoi ne pas exploiter davantage ces savoirs traditionnels en Auvergne-Rhône-Alpes ?

En effet, il existe une riche tradition de médecine traditionnelle dans plusieurs parties du monde, comme en Chine ou en Inde avec l’ayurvéda . Ces pratiques millénaires se basent sur l’utilisation des plantes pour soigner. Elles ont été les premiers moyens de traitement bien avant l’émergence de la médecine allopathique (ndlr : soigner par les médicaments). Dans certaines régions, surtout là où l’accès à la médecine moderne est limité, la médecine traditionnelle reste très vivace et essentielle.

Néanmoins, il ne suffit pas de constater qu’un extrait de plante est efficace. Dans de nombreux cas, nous savons que certaines plantes fonctionnent pour traiter des maladies, mais nous ne comprenons pas encore pleinement pourquoi. Ainsi, cette zone d’ombre représente une opportunité considérable pour la recherche future. 

Dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, le secteur de la valorisation du végétal affiche-t-il une dynamique particulière ?

Pierre Chalard : La région Auvergne-Rhône-Alpes est particulièrement dynamique en matière de valorisation du végétal. Nous avons la chance d’héberger un grand nombre d’entreprises spécialisées dans ce domaine. Cela se reflète également dans les nombreux débouchés professionnels offerts à nos ingénieurs. 

Par ailleurs, nous bénéficions d’infrastructures importantes telles que le pôle Végépolys Valley, qui joue un rôle clé dans la création de liens entre les différents acteurs du secteur. Des initiatives comme Naturopôle dans l’Allier ou le Biopôle dans le Puy de Dôme témoignent de l’intensité des activités autour du végétal dans la région.

La concurrence est-elle forte, en France et à l’international ?

Notre industrie de la valorisation du végétal est bien positionnée. Nous avons des entreprises historiques et innovantes comme Pierre Fabre qui se distinguent dans le domaine des ingrédients végétaux. Ces succès démontrent que nous avons une expertise reconnue. Nous n’avons pas à rougir de notre position sur le marché.

Il est également essentiel de reconnaître que le végétal est étroitement lié à son territoire. La composition moléculaire d’une plante peut varier significativement en fonction de son lieu de culture. La même plante récoltée en France ou au Japon n’aura pas forcément des propriétés identiques. Cela  souligne l’importance des circuits courts et de la diversité biologique dans notre quête de nouvelles solutions thérapeutiques.

Existent-il des secteurs ou industries spécifiques qui jouent un rôle moteur dans le développement de la recherche en chimie du végétal en Auvergne-Rhône-Alpes?

En effet, certains secteurs sont porteurs pour plusieurs raisons. D’abord, en raison de l’appétence croissante des consommateurs pour la naturalité. Cela est particulièrement vrai dans le domaine des huiles essentielles et  l’industrie nutraceutique, (ndlr : celle des compléments alimentaires). 

Cette quête de naturalité se retrouve également dans l’industrie des cosmétiques. L’objectif est d’éliminer autant que possible les conservateurs issus de la pétrochimie au profit de produits végétaux plus biocompatibles. C’est un enjeu considérable, il faut vérifier que l’ingrédient végétal est aussi efficace que celui que l’on remplace.

Le défi le plus important, de mon point de vue, reste la découverte de nouvelles molécules pour enrichir notre arsenal thérapeutique. La nature reste une source inestimable pour trouver des principes actifs efficaces contre diverses pathologies, y compris les virus, ce qui représente un enjeu majeur de santé publique.

Vous venez d’annoncer la création d’une deuxième chaire. Pour quel motif ? 

Avec ma collègue Florence Caldefie-Chezet de l’UFR Pharmacie, nous venons de créer la chaire « Produit Naturel de Santé ». En effet, depuis 2005, nous avons développé des outils et un savoir-faire significatif. Aujourd’hui, nous sommes convaincus que nous pouvons aller encore plus loin.

La chaire « Produit Naturel de Santé » est la première chaire mécénale labellisée conjointement par la fondation l’UCA et soutenue par la Fondation Clermont Auvergne INP. Son objectif est de développer des outils de recherche avancés dans les domaines de la chimie et de la biologie. D’ailleurs, c’est une première en France. Ainsi, elle offre un guichet unique pour l’innovation grâce à la complémentarité des outils de chimie et de biologie.

Contrairement à d’autres projets où les découvertes sont partagées, ici, les donateurs ne gardent pas la propriété des innovations. Toutefois, ces nouveaux outils pourront être utilisés par la chaire industrielle VIVA, dans des recherches impliquant la propriété intellectuelle. 

C’est l’instant carte blanche. Avez-vous quelque chose à ajouter ?

Pierre Chalard : Oui, effectivement, j’aimerais profiter de cette occasion pour adresser un message, en particulier aux jeunes. Je tiens à les encourager vivement à oser se lancer dans des études scientifiques. Il est vrai que ces domaines peuvent parfois souffrir d’une image peu favorable ou d’une réputation qui ne reflète pas leur véritable richesse. 

Je suis convaincu que l’épanouissement personnel trouve une source significative dans l’accomplissement professionnel. En effet, les aventures scientifiques ont une capacité à stimuler la curiosité. à défier notre compréhension et à pousser les limites de notre savoir, peuvent véritablement remplir la vie d’un individu. De plus, elles offrent une occasion unique de se réaliser, de participer à des projets porteurs de sens et de contribuer de manière concrète à l’avancement de notre société.

À propos de Pauline Rivière

Pauline Rivière est journaliste et rédactrice en chef du média en ligne le Connecteur. Elle est en charge du choix des dossiers spéciaux mensuels. Elle développe également des outils de datavisualisation à destination de l'écosystème de l'innovation et s'intéresse à l'innovation éditoriale. Avec sa société SmartVideo Academy, elle anime différentes formations à la réalisation de vidéos (au smartphone notamment) et à l’écriture audiovisuelle. Elle intervient également dans l'Enseignement Supérieur dans le cadre de projets pédagogiques digitaux, mêlant techniques de communication et sujets d'innovation.