Economie Sociale et Solidaire « Nos clients voient une opportunité dans la diversité »

Economie Sociale et Solidaire « Nos clients voient une opportunité dans la diversité »

Stéphane Negrier est responsable de l’ESAT l’Envolée à Riom, une structure locale de l’Economie Sociale et Solidaire. Il travaille depuis de nombreuses années dans le monde de l’inclusion des publics fragiles. Avec l’ESAT L’Envolée, il tisse des relations fortes avec les  entreprises du territoire qui partagent des valeurs communes.

Il paraît que vous avez un parcours assez atypique, racontez-nous…

Je suis originaire du Sud-ouest, du Périgord plus précisément. Après un CAP électricien, j’ai réintégré peu à peu le cursus classique. D’abord avec un BTS en électrotechnique, qui m’a finalement permis de m’interroger sur l’impact de l’automatisme dans la société. Ensuite, j’ai décidé d’investir le champ de l’humain et avec un “DEUG” en psychologie sociale. Je n’ai pas pu poursuivre pour cause de service militaire obligatoire. J’ai opté pour un statut d’objecteur de conscience et j’ai pu faire faire mon service militaire au sein d’associations. C’est là que j’ai découvert le secteur du médico-social et plus particulièrement des ESAT.

Par la suite, je n’ai plus jamais quitté cet univers. Après différentes expériences professionnelles et des études où j’ai développé de nouvelles connaissances et compétences, je suis aujourd’hui directeur adjoint de l’association AGD du Viaduc et responsable de l’ESAT et du foyer d’hébergement.

Quelles sont les missions d’un ESAT, Etablissements ou Services d’Aide par le Travail

Tout d’abord, les ESAT peuvent être portés par des collectivités territoriales ou des associations, ils s’inscrivent totalement dans l’Économie Sociale et Solidaire. Notre mission est de proposer une activité professionnelle aux personnes en situation de handicap qui ne peuvent pas travailler dans le milieu professionnel ordinaire. Toutes les personnes qui intègrent notre établissement sont orientées par la MDPH.

Nous avons également une deuxième mission, celle d’accompagner nos travailleurs vers l’autonomie. Lorsqu’ils arrivent dans l’ESAT, ils n’ont pas les compétences nécessaires pour travailler dans une entreprise classique. Grâce à nos ateliers, ils se forment et cela leur permet dans certains cas de pouvoir postuler dans des entreprises du territoire.

Dans les années 70, les établissements tels que les ESAT étaient très fermés. Depuis 2005, et encore plus depuis 2022, l’Etat nous invite à tisser des liens encore plus forts avec les entreprises. Par exemple, avec l’Envolée, nous allons directement travailler dans les locaux de Michelin et nous collaborons étroitement avec les responsables du site.

Quels types de prestations proposez-vous ?

A l’Envolée, nous avons un pôle restauration gastronomique et un restaurant-self. Nous proposons également de la sous-traitance industrielle, un pôle de blanchisserie et d’entretien des locaux. Régulièrement, nous développons des nouveaux ateliers en réponse à des demandes du marché, comme n’importe quelle entreprise. Aujourd’hui, par exemple, il y a des besoins dans le conditionnement de graines, de CBD et de produits locaux.

Ces prestations permettent de financer une partie de notre activité. Nous fonctionnons avec un modèle économique hybride. D’un côté la production, et de l’autre des aides publiques de l’ARS pour régler les salaires des professionnels et une partie des salaires des travailleurs.

Quels sont les clients qui font appel à une structure d’insertion qui fait partie de l’Économie Sociale et Solidaire locale ?

Nous avons deux types de clients. D’un côté, les historiques, avec lesquels nous travaillons depuis de nombreuses années, comme Michelin et Top Clean Packaging. Nous avons des équipes détachées sur leurs sites. Ce sont des entreprises, et souvent derrière, des femmes et des hommes, qui voient une opportunité dans la diversité.

Ensuite, nous avons des clients qui font régulièrement appel à nous pour des besoins ponctuels lorsqu’ils font face à une surcharge d’activité.

Aujourd’hui, c’est principalement à travers nos réseaux que nous mettons en place des nouvelles collaborations. En effet, nous faisons partie du réseau ESAT en Auvergne qui propose une plateforme très intuitive à destination des entreprises et qui recense toutes les prestations proposées sur la région (ex région Auvergne). ESAT en Auvergne, ce sont 40 établissements pour 2500 travailleurs.

Vous participez au 1er Forum de l’Economie Sociale et Solidaire à Riom. Pourquoi est-ce important ? Quels sont les enjeux et objectifs ?

Pour nous, l’enjeu principal est de favoriser l’inclusion des personnes en situation de handicap dans les entreprises. L’objectif du forum est de se connecter à des entreprises pour leur présenter tous les avantages de faire appel à nous. Nous faisons des propositions sur mesure pour nos clients et nous bénéficions d’une très grande souplesse dans le marché du travail. Un travailleur peut faire 50 % en ESAT et 50 % en entreprise. À tout moment, il est possible pour le travailleur de réintégrer l’ESAT si l’entreprise n’est plus en mesure de l’employer.

Par ailleurs, certains secteurs sont en tension au niveau de leur recrutement. Dans les ESAT, nous formons des travailleurs compétents pour un certain nombre d’emplois. Ce qui peut représenter une véritable opportunité pour les entreprises du territoire.

Ce sont ces messages que nous souhaitons diffuser auprès des entreprises du territoire pendant ce forum.

Aujourd’hui, seul un faible pourcentage des entreprises fait appel aux services des ESAT ? Quels sont les freins ?

Je pense qu’il existe des stéréotypes persistants sur le handicap. Les personnes porteuses de handicap sont souvent perçues comme “non-normales”. Or, dans nos sociétés, ce qui n’est pas normal, c’est quelque chose qu’il faut éviter. Pourtant, employer des personnes en situation de handicap, c’est créer de la diversité et de la richesse.

Depuis 1987, les entreprises de plus de 20 salariés sont incitées à embaucher 6 % de personnes handicapées. Ce qui est moins connu, c’est que l’on peut également faire appel à des structures employant des personnes porteuses de handicap pour répondre positivement à cette incitation.

Est-ce que le développement de la Responsabilité Sociale des Entreprises est un levier pour l’inclusion sociale et professionnelle ?

On en entend beaucoup parler dans les médias, mais ce n’est pas encore une réalité sur le terrain, du moins dans notre secteur d’activité. J’ai l’impression que l’on appuie beaucoup sur le volet environnemental en mettant un peu de côté le social. Je le regrette, car les enjeux sociaux sont tout aussi essentiels pour l’avenir.

Nous proposons des prestations au prix du marché pour ne pas instaurer une concurrence déloyale avec d’autres prestataires. Pour autant, pour certaines de nos prestations, comme la sous-traitance industrielle, nous sommes en compétition avec la main-d’œuvre du Maroc ou de la Chine. Faire appel à nous, c’est faire un choix militant pour le territoire.

Aujourd’hui, des entreprises commencent à relocaliser une partie de leurs activités pour que la création de valeur bénéficie aux territoires et à ses habitants. Je le redis, les ESAT sont des réponses calibrées pour les entreprises et les artisans locaux. Il suffit de nous consulter et nous ferons une proposition adaptée.

C’est l’instant carte blanche, quelque chose à ajouter sur l’Economie Sociale et Solidaire ?

Ce qui manque pour que l’Économie Sociale et Solidaire se développe encore plus, ce sont des opportunités de rencontres. On ne se connaît pas suffisamment. L’architecture et la conception des bâtiments créent de plus en plus de distance. Aujourd’hui, pour aller à la rencontre de l’autre, il faut franchir une grille, un digicode, une réception… Tout est filtré. Comment voulez-vous que les gens se connaissent ?! Créer des opportunités de rencontres, comme avec ce forum, c’est un vrai bénéfice. Cela permet de recréer des contacts humains en face-à-face, et je pense que nous en avons plus que jamais besoin.

À propos de Pauline Rivière

Pauline Rivière est journaliste et rédactrice en chef du média en ligne le Connecteur. Elle est en charge du choix des dossiers spéciaux mensuels. Elle développe également des outils de datavisualisation à destination de l'écosystème de l'innovation et s'intéresse à l'innovation éditoriale. Avec sa société SmartVideo Academy, elle anime différentes formations à la réalisation de vidéos (au smartphone notamment) et à l’écriture audiovisuelle. Elle intervient également dans l'Enseignement Supérieur dans le cadre de projets pédagogiques digitaux, mêlant techniques de communication et sujets d'innovation.