Entretien / Clément Neyrial, à fond les photons

Entretien / Clément Neyrial, à fond les photons

Par Damien Caillard

Tout le monde n’a pas la chance d’être « Monsieur Tesla » en Auvergne. C’est – sans doute – le cas de Clément Neyrial, entrepreneur et manager « libéré », ardent défenseur d’Elon Musk et de ses initiatives, et acteur du changement environnemental en entreprise. Son vecteur : forcément, vous l’aurez deviné, l’énergie solaire. Clément a équipé son usine de panneaux solaire, est un des premiers en France à avoir été équipé d’une batterie PowerPack, et possède deux voitures Tesla. Et à Brioude, s’il vous plaît !


Être entrepreneur à Brioude, est-ce la belle vie ?

Je me suis installé à Brioude car j’ai rencontré ma femme là-bas. (…). Dans une petite ville il y a le côté plus pratique et facile pour démarrer. Les contacts sont relativement simples, les locaux ne sont pas chers, les relations CCI, banque sont fluides … le côté proximité facilite les choses. Côté vie perso, le rural, la nature me conviennent mieux. Je préfère vivre dans le vert, connaître les gens … il y a une relation sociale assez forte en ruralité.

Décris-nous l’activité de CN Industrie

Le Doming, c’est un peu par hasard. J’avais découvert les arts graphiques, et je m’intéressais aux vernisseurs qui étaient sous-traitants spécialisés des imprimeurs. Notre idée était de faire la même chose mais en relief, du Doming. On s’est ensuite diversifié dans les logos en relief, avec le mini-chrome et l’éco-chrome, le développement de nouveaux process

Aujourd’hui, l’entreprise se porte bien, mais ce n’est pas forcément lié au secteur d’activité. Je dirais qu’on a fait les choses différemment, en misant davantage sur le savoir-faire, la qualité, et l’organisation.

Clément à Living Orgs 2017, la journée dédiée à l’innovation managériale qui a lieu chaque année à Epicentre. Il venait raconter son expérience de l’entreprise libérée

C’est-à-dire ?

Plutôt que de se concentrer sur la rentabilité et la croissance, on a voulu créer un environnement favorable pour faire le meilleur produit possible. Une organisation où les gens sont de vraies valeurs ajoutées, et où plus ils prennent de plaisir, plus ils sont bons. Rapidement, on est devenus les meilleurs dans notre secteur, et on a pris les plus gros C.A. en Europe !

On en arrive à l’entreprise libérée, un concept que tu revendiques et qui t’a fait connaître nationalement …

De mon point de vue, beaucoup d’entreprises confondent objectifs et résultats. L’objectif n’est pas financier : il faut faire le meilleur produit possible. Et, dans ce cas, le résultat – comptable – en découle.Si on se donne comme objectif de faire du résultat, on fait les choses à l’envers ! On part du prix de vente, on veut respecter telle marge … alors que si on concentre toute l’énergie sur le produit, on augmente ses chances de faire bien.

« Pour moi, l’entreprise n’a pas vocation à être éternelle. (…) Mais si on se concentre sur notre plaisir et la qualité du travail, il y a peu de chances que ça prenne cette direction »

Par exemple, pour moi, la plupart du temps faire de la publicité ou du marketing, c’est du gaspillage : il faut se concentrer sur son activité centrale ! Comme avec Apple, où depuis la mort de Steve Jobs, l’innovation ralentit et la publicité augmente. Quand on fait le meilleur produit, les gens viennent l’acheter. L’entreprise doit aussi avoir une vraie personnalité, souvent celle de l’entrepreneur. C’est son côté unique

Comment cela s’est-il concrétisé dans CN Industrie ?

On a laissé carte blanche à chaque personne – 13 collaborateurs – qui travaillent sans budget ni objectif contraint, et qui choisissent librement leurs besoins et leurs moyens. S’ils veulent essayer une machine, un outil, ils appellent le fournisseur, ils passent commande. S’il faut changer la machine à café, ils le font … s’il faut modifier les horaires, embaucher le personnel, ou s’ils ne veulent plus travailler pour un client qui ne les respecte pas, ils peuvent prendre ces initiatives. Individuellement, ça peut être compliqué … mais au sein d’un collectif, ça fonctionne ! Il n’y a pas d’excès. On ne constate aucun choix extrême. L’équipe s’auto-régule.

Clément participe au lancement du tiers-lieu Epicentre Brioude le 2 mars 2018 (il est assis à gauche). Il est ainsi proche de l’écosystème d’innovation auvergnat en général.

Quel est le niveau de transparence sur les informations stratégiques ?

Quand, collectivement, ils veulent faire tel investissement, ils ont besoin d’une vision globale des chiffres de l’entreprise. Est-ce judicieux d’augmenter les salaires ? D’investir maintenant ? Plutôt que je leur impose, ils ont cette vision claire et prennent les décisions en conséquence. Cela implique de beaucoup se parler, à travers des “petits” échanges, en pause-café, autour d’une pizza, pas forcément à travers des moments dédiés.

Pour moi, l’entreprise n’a pas vocation à être éternelle. Elle peut sans doute s’arrêter un jour, pourquoi pas. Mais si on se concentre sur notre plaisir et la qualité du travail, il y a peu de chances que ça prenne cette direction

Cette expérience, depuis une petite ville comme Brioude, t’a rendu célèbre via le TEDxClermont, Living Orgs puis Isaac Getz. Comment l’as-tu vécu ?

Pour le TEDx[Clermont], on m’a sollicité, je n’étais pas particulièrement chaud pour raconter à tout le monde notre façon de fonctionner. J’avais un peu peur de la réaction des gens. C’est l’équipe qui a fait pencher la balance : si ça peut convaincre quelques entreprises de fonctionner différemment, il fallait le faire ! Et ils m’ont beaucoup aidé à le préparer. Finalement, on a eu que des retours positifs.


Voir l’intervention TEDxClermont 2015 de Clément sur l’entreprise libérée


En 2017, j’ai fait Living Orgs sur cette thématique, puis j’ai accepté quelques conférences, à Paris ou ailleurs. On est maintenant hyper sollicité! Le bouquin d’Isaac Getz sur l’organisation libérée a fait toute son intro sur nous. On accueille des visites de grands groupes, des thésards en management, des demandes pour des confs managériales, etc. … au début, c’est marrant, mais au global on n’est pas structurés pour répondre à tout le monde.


Voir le compte-rendu de Living Orgs 2017 sur notre site


Une autre de tes facettes les plus visibles est celle d’un promoteur infatigable des énergies renouvelables. Parle-nous de cet engagement …

Contraindre les gens à la décroissance sans compter l’inertie est difficilement possible … à moins d’une “dictature verte”. Je parie plus sur la pédagogie et le développement des technologies pour nous permette de maintenir notre niveau de vie, voir l’améliorer. Il faut miser sur des énergies renouvelables : les non renouvelables sont par définition pas viables à l’échelle de l’humanité. La solution ne peut que passer par des renouvelables

La quantité d’énergie à notre disposition n’a pas de limites ou plus exactement que la seule limite est celle de notre ignorance. Je mise sur une majorité de photovoltaïque avec du stockage. Le photovoltaïque, c’est plus simple et facile à installer partout. Mais la clé c’est de mutualiser : on doit miser sur le local, mais aussi sur de l’international. 

Mais on critique souvent l’impact environnemental de production des panneaux solaires. Qu’en penses-tu ?

Un panneau photovoltaïque met environ 2 années à « rembourser » l’énergie qu’il a fallu utiliser pour le produire. Rapporté à une durée de vie du panneau de 35 à 40 ans minimum, le bilan est très positif. De plus, les principaux fabricants utilisent de plus en plus eux-mêmes de l’énergie solaire pour fabriquer les panneaux : on rentre donc dans un cercle vertueux où on pourrait même imaginer que les dernières années de fonctionnement d’un panneau servent à fabriquer les nouveaux panneaux créant ainsi un fonctionnement circulaire parfaitement neutre.

L’usine de Clément, vue du ciel. Les toitures sont couvertes de panneaux solaires, reliées à la batterie PowerPack de Tesla (sur la droite du bâtiment)

De même, un panneau solaire est aujourd’hui recyclable au minimum à 95% et on sera probablement proche des 100 au moment où tous les panneaux installés actuellement arriveront en fin de vie. En outre ce recyclage est déjà financé par une taxe acquittée au moment de la pose du panneau.

Dernier point, contrairement à une fake news largement propagée, il n’y a pas de terres rares dans les panneaux photovoltaïques cristallins.

Et pour les batteries ?

Idem : pour les batteries, c’est du métal qu’il faut certes miner, mais qui n’est pas perdu une fois dans la batterie. Son bilan carbone doit être basé sur la durée de vie réelle du produit. On parle souvent de 20 ans … c’est biaisé ! Il s’agit de la durée standard d’un contrat énergie. Je parierai plutôt sur 50 voir + avec forcement baisse de rendement, mais fonctionnel.

« La seule limite [à la quantité d’énergie disponible] est celle de notre ignorance »

Le métal se recycle parfaitement depuis des années. Les cycles des batteries pouvaient “stresser” les matériaux et les dégrader, mais aujourd’hui les nouvelles batteries ne se dégradent quasiment plus. Et les métaux utilisés ne sont pas “rares” et même très abondants : on a des réserves de lithium partout dans le monde, notamment en France !

Il n’y a donc rien qui ne s’oppose à la généralisation de l’électrique. On est en phase d’accélération. Ce sera comme l’adoption du smartphone, inconnu en 2007, partout en 2012. Toutes les révolutions qu’on a connues ont été exponentielles !


Vidéo de CN Industrie présentant les installations à énergie solaire

Justement, tu as été un des pionniers de l’utilisation des PowerPack Tesla en France. Comment as-tu équipé ton entreprise ?

En 2016, j’ai fait installer pour 65 000 € de panneaux photovoltaïques. Cela représentait 380 panneaux, soit 700 m2 sur les toits de mon usine à Brioude puis d’un auvent pour garer les voitures. En tout, 114 kWc de puissance installée, théorique, qui génère 120 000 kWh d’électricité par an.

A cela s’ajoutait 20 000 € pour construire l’auvent pour le parking, et surtout 65 000 € pour la batterie, un PowerPack Tesla. Il faut noter que le prix de cette batterie a baissé de 45% depuis que je l’ai achetée. Et j’étais un des premiers en France à m’équiper.

Tout cela a été possible grâce à un emprunt sur 10 ans. Dans mes projections, j’ai un ROI à 6 ans pour le photovoltaïque seul, 9 ans si j’inclus la batterie Tesla.

Tu présentes cela comme un changement de logique vis-à-vis de l’énergie …

C’est une logique de propriétaire versus locataire : dans mon cas, pour 130 000 € investis, je génère sur 25 ans 3 millions de kWh qui m’auraient coûtés 400k€ si j’avais dû les acheter sur le réseau, et encore en supposant que le tarif soit fixe. Mieux l’installation ne s’arrêtera pas de produire a son 26eme anniversaire donc les économies dureront surement 50 ans voire bien plus.

Le photovoltaïque, c’est le seul investissement que l’on peut faire avec une garantie à 99% de rentabilité. Une toiture sans panneaux, c’est comme un local sans locataire.

Même approche pour la mobilité : deux magnifiques voitures Tesla sont garées devant ton usine. Quelle sera l’étape suivante ?

La révolution ce sera [ensuite] la voiture électrique autonome : elle va résoudre les problèmes de trafic, de danger, de personnes à mobilité réduite, de gaspillage de temps. Se contenter de remplacer le thermique par l’électrique, c’est bien mais pas suffisant. Avec la voiture autonome, le parc automobile va être divisé par 50 ! Ce sera la vraie révolution.

Elon Musk, enfant terrible de l’innovation, startuppeur à succès, grand patron … et idole de Clément

La voiture autonome, c’est comme Superman au volant : tout est filmé à 360 degrés en permanence, elle voit plus loin, entend tout … comme tout est filmé, la data peut-être analysée facilement. Ma Tesla en autopilote est complètement sécurisante sur autoroute : elle double, se rabat, voit sous le déluge d’eau, anticipe les écarts, prend les bonnes sorties … Il y a encore des limitations mais la conduite automatisé en ville est prévue pour 2020 aux USA, et j’espère viendra très vite en Europe.

Elon Musk, le patron de Tesla, est également connu pour sa volonté de conquérir Mars …

Pour l’avenir de l’humanité il faudra être multi-planétaire. La ressource financière pour cela serait moins de 1% du PIB mondial ! C’est une question d’échelle. Être sur une seule planète, c’est prendre trop de risques : astéroïdes, guerre nucléaire, etc. Là aussi, à l’échelle de l’humanité, je suis convaincu au même titre que Elon Musk et Stephen Hawking qu’il faut dépenser ces ressources pour garantir notre survie. Sans compter les apports scientifiques, technologiques, philosophiques etc… Pour info Musk lancera en 2020, le projet StarLink qui offrira internet haut débit sur toute la planète, sans zone blanche. On imagine ce que ça apportera à l’humanité ! Ca c’est de l’entreprenariat qui fait rêver !


Pour en savoir plus:
le site de CN Industrie, l’entreprise de Clément
le site de Tesla (côté voitures)
le site de Tesla (côté batteries PowerPack)


Entretien réalisé le jeudi 24 octobre à Brioude, réorganisé et synthétisé pour plus de clarté et relu et corrigé par Clément. Photos de Clément pour la vue aérienne, Damien Caillard/le Connecteur pour les autres.

À propos de Véronique Jal

Ma ligne guide depuis 15 ans, c'est le management de projets collectifs à fort "sens ajouté" : les fromages AOP, les hébergements touristiques, la démarche d'attractivité d'une région... et aujourd'hui l'innovation territoriale via un média associatif Toulousaine d'origine, j'ai découvert et choisi l'Auvergne que mon parcours pro m'a amenée à connaître sous plein de facettes. J'adore cette activité qui nous permet d'être en situation permanente de découverte.