Entretien / Hélène Trendafilov, la plume pour des enfants ouverts sur le monde

Entretien / Hélène Trendafilov, la plume pour des enfants ouverts sur le monde

Par Pauline Rivière
et Cindy Pappalardo-Roy

Son parcours de vie pourrait faire l’objet d’un livre pourtant c’est elle qui prend la plume pour raconter des histoires aux enfants. L’esprit d’entreprise qui l’anime depuis toujours a parfois été un combat qui aujourd’hui est justement récompensé. Lauréate du dernier concours « ‘Louvre-boîte des Apprentis d’Auteuil », elle a créé Banibook, maison d’édition jeunesse et s’apprête à distribuer  son troisième livre, « La Nuit du Destin », une collection avec pour objectif de montrer le monde à travers les yeux de trois petites filles musulmanes.
Hélène Trendafilov livre pour la première fois son témoignage, une histoire belle et unique d’une femme courageuse. Elle nous offre une belle leçon de persévérance et d’espoir.

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Tu écris des livres pour enfants… Quelle petite fille étais-tu? 

Petite, j’étais plutôt une enfant sage et rêveuse. Enfermée dans ma chambre, je prenais mon globe, et j’apprenais le nom des pays et des capitales par cœur, j’imaginais refaire le monde. J’étais aussi une passionnée de gymnastique artistique. J’ai beaucoup déménagé mais à Montpellier, j’ai eu la chance d’intégrer un club sportif avec un entraîneur qui croyait en moi. Ça m’a permis de participer à des concours individuels. Je me voyais déjà aux Jeux Olympiques. Sauf que ça ne s’est pas passé comme ça (rires).

Petite, j’étais plutôt une enfant sage et rêveuse. En CM2, j’ai passé un concours pour entrer en sport-études et j’ai été recalée. À partir de ce moment, j’ai été en échec scolaire.

En CM2, j’ai passé un concours pour entrer en sport-études et j’ai été recalée.  [Et là] le monde s’est effondré autour de moi, je perdais ma raison de vivre. Je suis rentrée au collège mais je n’avais plus rien qui me poussait à me dépasser. À ce moment là, je n’ai pas su rebondir, je n’ai pas eu l’entourage pour me dire « Ce n’est pas grave, tu peux retenter l’année prochaine ». À partir de ce moment, j’ai été en échec scolaire, j’étais en mode rebelle, à fleur de peau.

À 17 ans, j’ai dit à ma mère que je voulais arrêter l’école et j’ai commencé a travaillé au Mcdo, puis j’ai eu d’autres expériences – mais ça ne durait jamais très longtemps. Arrivée à Toulouse je ne trouvais pas d’emploi en dehors des ménages. Sans diplôme et voilée, c’était double peine. 

Tu parles du voile mais tu n’as pas été élevée dans l’Islam. Est-ce que cela va jouer dans ton parcours d’entrepreneur? Peux-tu nous en dire un peu plus?

Quand j’étais petite j’étais chrétienne pratiquante, mais rapidement, je me suis posée des questions… Je demandais à ma mère : « Mais pourquoi est-on sur Terre? Qu’est ce qui se passe après la mort? ».Je voulais comprendre, j’avais ces questions existentielles qui revenaient et cela me rendait malheureuse. Vers 19 ans, j’ai commencé à chercher les réponses à mes interrogations. J’ai tenté différentes chose, je me suis rendue dans une synagogue, et un jour j’ai lu un livre qui parlait des prophètes de l’islam. Ce fut une révélation. Mon côté spirituel s’est de plus en plus développé, je me suis convertie et j’ai porté le voile. 

Quand j’étais petite j’étais chrétienne, mais je me suis rapidement posée des questions. Un jour, j’ai lu un livre qui parlait des prophètes de l’islam. Ce fut une révélation.

Tu te retrouves à Toulouse, mais nous sommes encore loin de l’Auvergne. Que s’est-il passé?

Rien. Il ne se passe rien. J’ai vivoté pendant plusieurs années. En 2010, j’ai eu 25 ans, mon petit frère m’a donné 400 euros et j’ai décidé de lancer une activité. J’ai débuté avec de la revente de vêtement et de produits esthétiques sur Facebook, mais d’un point de vue éthique je ne m’y retrouvais pas. C’était des produits agressifs alors que je suis plutôt bio et produits naturels.

En 2012, je me suis mariée. Je suis rapidement tombée enceinte de ma première, puis de ma deuxième fille. Mais l’appel de l’entrepreneuriat était là… Être épouse et maman ne me suffisait pas ! Et il y a eu un troisième bébé surprise … Ainsi qu’un passage personnel très difficile. C’est là que j’ai décidé d’aller à Clermont-Ferrand. J’ai trouvé un logement, j’ai tout fait toute seule. Je suis passée par des moments très durs psychologiquement et physiquement. C’était particulièrement éprouvant et quand je regarde en arrière, je me demande comment j’ai survécu à tout cela.

Pourtant – malgré une arrivée difficile -, c’est bien à Clermont-Ferrand que tu as pris ton envol… Raconte-nous tes premiers pas d’entrepreneuse.

On est en 2016 et j’essaye toujours de trouver quelque chose qui ait du sens mais aussi qui rapporte. Lorsque mes filles sont nées, j’ai souhaité les faire grandir avec des livres autour d’elles. J’ai cherché des ouvrages qui parlaient de la vie des petits filles musulmanes en Occident, mais je n’ai rien trouvé. Il y avait soit « Martine », soit des livres très religieux. J’ai eu un flash. Pourquoi ne pas faire un “Martine, version musulmane” avec des prénoms comme les nôtres, avec nos coutumes, nos habitudes? J’étais convaincue que ça pouvait fonctionner mais je n’y connaissais rien. J’ai gardé l’idée dans un coin de ma tête mais je n’ai pas creusé.

J’ai cherché des ouvrages qui parlaient de la vie des petits filles musulmanes en Occident, mais je n’ai rien trouvé. J’ai eu un flash : pourquoi ne pas faire un “Martine, version musulmane”?

J’ai (encore) démarré une nouvelle activité de revente de livres d’enfants sur les marchés. J’ai fait ça pendant un mois, et puis un jour un vieux monsieur qui tenait un stand à côté de moi m’a dit un peu en riant : « Non mais tu ne gagneras jamais ta vie comme ça. » Ça a été un électrochoc. J’étais en train de vendre les livres des autres alors que mon rêve était d’écrire les miens.

C’est donc à cette époque que le concept de Banibook émerge… 

J’ai trouvé une illustratrice sur internet, nous étions sur la même longueur d’ondes et nous sommes tombés d’accord. Je n’avais plus d’excuse, j’allais l’écrire ce bouquin ! Je ne voulais pas passer par une maison d’édition qui allait me laisser les miettes,  alors j’ai pris la décision de m’auto-éditer et même plus fort que ça, de m’autoproclamer maison d’édition jeunesse. Il faut voir grand !

J’ai trouvé une illustratrice sur internet, nous étions sur la même longueur d’ondes ; j’ai pris la décision de m’auto-proclamer maison d’édition jeunesse. Il faut voir grand !

J’ai découvert le monde de l’édition, des imprimeries, c’était un vrai casse-tête ; je ne parlais pas la même langue qu’eux. Alors j’ai fait appel à l’agence de communication Comunitik – j’avais besoin de voir que quelqu’un croyait en mon projet et me donne les bases pour réussir. J’ai aussi contacté AKB business, une association qui accompagne les femmes entrepreneurs.

Avec la collection des livres « le monde de Safiya », quels messages souhaites-tu transmettre?

Mes deux premiers livres ont comme héroïnes mes trois filles, ce sont des anecdotes réelles à peine romancées : je ne veux pas faire rêver les enfants sur un monde qui n’existe pas. Même si la cible principale reste avant tout les enfants musulmans, cette collection s’adresse aussi aux parents et aux enfants qui souhaitent savoir comment ça se passe chez leurs petits voisins musulmans.

Entrepreneurs.euses dans les quartiers, est-ce si différent de l’entrepreneur “classique” ?

Personnellement j’ai connu beaucoup de difficultés dans ma vie, mais au final ça m’a rendu plus forte et plus résistante. Quand on vit dans les quartiers, on doit peut-être se battre plus pour atteindre nos buts. Ça nous donne une rage de vaincre, une soif de réussite. Au final, je me dis que peu importe d’où l’on vient, on peut réussir si on s’en donne les moyens. De plus, il y a pas mal d’initiatives à Clermont-Ferrand pour soutenir les entrepreneurs des quartiers.

Tu viens d’ailleurs de gagner le prix Ouvre-Boîte ! Qu’est ce que ça t’a apporté ?

Ça me permet de mettre un peu d’argent dans la trésorerie, mais c’est surtout en terme de visibilité que c’est très intéressant ! Le maire connaît mon projet, j’ai rencontré la directrice de la Librairie des Volcans, et vous aussi êtes là aujourd’hui. On dit qu’écrire un livre ne fait pas gagner sa vie… C’est vrai, mais pourtant ça crée de réelles opportunités. Mon premier livre, “Un vendredi chez Safiya”, est paru le 19 octobre 2018. En un mois, 600 exemplaires se sont vendus – via un seul canal de vente : le site et les réseaux sociaux. Ça m’a encouragé à écrire le deuxième, puis le troisième. 

Quelles sont le prochaines étapes?

J’ai vraiment envie de développer mon chiffre d’affaires. Je ne souhaite plus être auto-entrepreneuse, mais passer en société. Et puis j’ai un rêve un peu fou, celui de créer ma propre école. Moi – Hélène, en échec scolaire -, je veux créer l’école du livre pour donner la méthode, le programme pas à pas pour écrire et distribuer son livre. Le domaine de l’édition est en pleine révolution : on n’est plus obligé de passer par une maison d’édition, d’avoir du stock…

Si ta vie était un livre, quel en serait le titre?

Tout est possible. 

Le mot de la fin?

Je voudrais remercier celles et ceux qui ont pris le temps de lire mon témoignage et je voudrais ajouter ceci : Nous vivons sur des peurs infondées et manquons de liberté créative. Il faut casser les codes de la société qui nous enferment, et partir à la poursuite de ses rêves. Foncez ».

Pour en savoir plus :

le site de Banibook

Entretien réalisé le mercredi 24 avril par Pauline Rivière

Propos synthétisés et réorganisés pour plus de lisibilité par Cindy Pappalardo-Roy

Crédit photo : Pauline Rivière, le Connecteur

en partenariat avec

Résumé/sommaire de l’article (cliquez sur les #liens pour accéder aux sections)

  • #Enfance – Petite, Hélène Trendafilov était une enfant sage et rêveuse. Elle avait un globe sur lequel elle apprenait le nom des pays et des capitales par cœur, et imaginait refaire le monde. Passionnée de gymnastique artistique, elle a intégré un club sportif à Montpellier qui  lui a permis de participer à des concours individuels. En CM2, elle a passé un concours pour entrer en sport-études et a été recalée… Ayant l’impression de perdre sa raison de vivre, elle a commencé à être en échec scolaire. À 17 ans, elle arrête l’école et commence à travailler à droite à gauche, mais sans diplôme et voilée, « c’était double peine ».
  • #Islam – À la base, Hélène était chrétienne pratiquante. Petite, elle se posait beaucoup de questions : Pourquoi est-on sur Terre? Qu’est ce qui se passe après la mort?.JCes questions existentielles sans réponses la rendait malheureuse. Elle a alors tenté différentes chose, s’est rendue dans une synagogue, puis un jour elle a lu un livre sur les prophètes de l’islam : ça a été une révélation. Son côté spirituel s’est de plus en plus développé, elle s’est convertie à l’Islam puis a commencé à porter le voile.
  • #PremiersPas – En 2016, pour amener de la lecture à ses enfants, Hélène cherche des ouvrages qui parlent de la vie des petits filles musulmanes en Occident : en vain ! « Il y avait soit « Martine », soit des livres très religieux ; j’ai eu un flash : pourquoi ne pas faire un “Martine, version musulmane? ». Elle démarre alors une nouvelle activité de revente de livres d’enfants sur les marchés, et c’est l’électrochoc : pourquoi vendre les livres des autres alors que son rêve était d’écrire les siens?
  • #Banibook – Sur internet, Hélène a trouvé une illustratrice sur la même longueur d’ondes qu’elle. Elle a alors pris la décision de s’auto-éditer, puis de s’auto-proclamer maison d’édition jeunesse. Elle ajoute : « Il faut voir grand ! ». Commence alors pour elle la découverte du monde de l’édition et des imprimeries… Un véritable casse-tête au niveau de la communication. Elle s’est donc dirigée vers Comunitik, puis AKB business.
  • #Messages – Quand on lui demande ce qu’elle veut transmettre dans ces livres, Hélène nous répond que ces deux premiers livres ont comme héroïnes ses trois filles, et que ce sont des anecdotes réelles, à peine romancées. Mais la cible principale, cela reste avant tout les enfants musulmans et aux parents et enfants qui souhaitent savoir comment ça se passe chez « leurs petits voisins musulmans ».
  • #Prix – Hélène Trendafilov est la lauréate du prix Ouvre-Boîte 2019. Cela lui a permis de mettre un peu d’argent dans sa trésorerie, mais surtout d’augmenter sa visibilité : le maire de Clermont-Ferrand connaît son projet, et elle a rencontré la directrice de la Librairie des Volcans. Elle précise : « On dit qu’écrire un livre ne fait pas gagner sa vie… C’est vrai, mais pourtant ça crée de réelles opportunités ». Son premier livre connaît un vrai succès.
  • #Objectifs – Aujourd’hui, Hélène souhaite développer son chiffre d’affaires. Elle ne désire plus être auto-entrepreneuse, mais passer en société. Son rêve? Créer sa propre école, une école du livre pour donner la méthode, le programme pas à pas pour écrire et distribuer son livre. Elle ajoute : ‘Le domaine de l’édition est en pleine révolution. »

À propos de Pauline Rivière

Pauline Rivière est journaliste et rédactrice en chef du média en ligne le Connecteur. Elle est en charge du choix des dossiers spéciaux mensuels. Elle développe également des outils de datavisualisation à destination de l'écosystème de l'innovation et s'intéresse à l'innovation éditoriale. Avec sa société SmartVideo Academy, elle anime différentes formations à la réalisation de vidéos (au smartphone notamment) et à l’écriture audiovisuelle. Elle intervient également dans l'Enseignement Supérieur dans le cadre de projets pédagogiques digitaux, mêlant techniques de communication et sujets d'innovation.