Entretien / Hervé Poher met son énergie dans l’écosystème

Par Damien Caillard


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S’il est un peu moins présent aux Good Morning Bivouac depuis quelques mois, c’est qu’il a pris la suite de Alain Martel à la délégation régionale Auvergne de EDF devenue aujourd’hui une délégation territoriale : Hervé Poher, représentant de l’entreprise publique, pionnier du Bivouac, au Biopôle, à AT2I+ et fédérateur des Conseillers au Commerce Extérieur sur Clermont, a toujours été très impliqué sur le terrain de l’innovation et de l’entrepreneuriat.

Tu as un background très technique, avec une carrière diversifiée chez EDF …

Je suis né en Sarthe, avec un fort sang breton, et avec une arrière-grand-mère auvergnate. Je suis rentré en 1981 comme ingénieur dans cette belle entreprise qu’est EDF, à l’époque mixte d’EDF-GDF, après un passage aux études et des recherches dans les Charbonnages de France pour rendre les puits plus productifs avec une  alimentation électrique des galeries mieux sécurisée. Un premier passé donc technique : les mines, puis à EDF-GDF en  bureau d’étude des lignes électriques, la maintenance  des courants forts et courants faible.

J’ai ensuite travaillé aux Ressources Humaines pendant 5 ans à la DG parisienne dans un premier temps pour participer à la refondation de l’ensemble des cahiers des charges et des schémas de formation techniques électrique et gazière. Puis cela s’est étendu en tant que consultant sur l’organisation du management et celle de la prévention sécurité. Ma note de préconisations sur ce dernier sujet, renversant le paradigme normatif vers celui du management, était à l’époque une petite révolution qui m’a permis de choisir et le lieu et le poste suivant, en prenant la direction de l’agence du Brezet en Auvergne, rassemblant les métiers du management technique, clientèle et commercial ! Parallèlement sur des missions de courte durée j’effectuais des missions de consultance internationale en tant que chef de projet technique, ressources humaines ou clientèle.

Comment t’es-tu progressivement engagé dans le développement territorial ?

Les grandes entreprises françaises utilisent le terme d’entreprise citoyenne depuis 30 ans : on s’intéresse au territoire, on s’engage, et on l’accompagne. Après un travail mixte sur l’ensemble du spectre électrique et gazier, appliqué sur le territoire de mon agence, j’ai amorcé en 1993 l’implication dans le développement local. De nombreux groupes s’y penchaient ; nous avions de notre côté en visu, via la distribution, le renouvellement des concessions de distribution publiques avec les collectivités locales. Elles attendaient qu’un opérateur comme nous soit impliqué et donne des idées, notamment en Auvergne sur l’emploi, le social et l’environnement. J’ai suivi des formations en développement local avec des sous-préfets, des directeurs de SEM, etc. Ce sont les écosystèmes que j’ai rencontrés à l’occasion de mon appui au développement territorial qui m’ont indiqué les portes et donné les clés qu’il fallait pour agir efficacement dans ce domaine de manière collaborative.

Cette formation m’a permis de découvrir les métiers de l’extérieur. Sans doute par ce que j’ai toujours préféré prendre le risque d’être chargé à 110% plutôt qu’à 90%, mais aussi parce qu’à l’époque parfois dans la société civile le développement était opposé à l’environnement, vrai sujet émergent alors. J’ai proposé à mon délégué régional que la mission complémentaire que j’avais eu préalablement sur l’environnement soit poursuivie et associée. L’année précédente, par exemple, nous avions été la seule région à étudier avec la ligue protectrice des oiseaux et à neutraliser la dangerosité électrique de nos ouvrages pour les oiseaux, ce qui a permis d’améliorer la qualité de notre fourniture électrique dans l’ensemble des Zones d’Importance Communautaire pour les Oiseaux en Auvergne.

« On attendait qu’un opérateur comme nous soit impliqué et donne des idées. »

Mon appétence pour de nombreux sujets apparemment opposés m’a fait découvrir qu’il était possible de les relier pour l’intérêt de chacun d’entre eux, et de manière équilibrée : le développement est indispensable, l’environnement, la culture … tout a évidemment son utilité, et la gestion associée de leur complexité apportent de meilleures solutions pour les territoires. Le 1% de l’A75, le forfait utilisé pour améliorer l’environnement – après un audit que j’ai fait conduire des ouvrages électriques la longeant ou la traversant nous a permis d’ améliorer l’impact visuel des réseaux électriques, en faisant prioriser les chantiers en ce sens par des acteurs locaux.

Signature d’une convention pour le développement à l’export des PME.

Comment as-tu accompagné la création d’entreprise sur Clermont ?

Par rapport à la création d’entreprise, outre le Groupement des Créateurs d’Entreprise et la Mission Régionale de la Création d’Entreprise – MRCE – où nous étions impliqués cela a pris de l’ampleur avec le développement en Auvergne de France Active et des plateformes d’initiative locales avec France Initiative Réseaux. J’ai entraîné le groupe EDF-GDF progressivement sur chacune de ces plateformes avec une double conviction. D’une part que des projets qui étaient accompagnés par une structure puis bénéficiaient d’un regard transverse avec des compétences de différents partenaires auraient un taux d’échec bien inférieur à la moyenne. D’autre part que l’argent que nous apportions aux fonds de prêts sous forme de dons définitifs – plus de 150k€ – servirait de manière pérenne à la création d’emplois car recyclable plusieurs fois à des prêts sur 5 ans. Et ce, compte tenu d’un taux d’échec bas : la mortalité des TPE/PME à 5 ans est de l’ordre de 50%, alors qu en passant par une plateforme d’initiative elle descend à 8% ! 

« Des projets accompagnés par une structure bénéficiaient d’un taux d’échec bien inférieur à la moyenne. »

La plateforme du Biopôle a été le premier projet régional de plateforme technologique d’initiative locale. C’était l’époque, où il y avait Christian Daures à la MRCE et Véronique Berthon, à l’animation de la première phase du Biopôle. Nous en avons défini les statuts avec l’appui d’EDF national. Les différentes plateformes se sont progressivement mises en place. Je suis d’ailleurs par exemple devenu le président du comité d’engagement de la plateforme technologique appelée aujourd’hui AT2I+ et été impliqué jusqu’à dans 5 des 13 comités d’engagement des plateformes auvergnates, présidant régulièrement celui de Clermont. Des projets, j’en ai vu, comme d’autres, un certain nombre depuis 20 ans … A noter l’évolution pertinente de France Active positionné initialement sur l’accompagnement de l’entrepreneuriat à vocation sociale vers le concept plus large d’entrepreneur engagé réunissant des critères de RSE ; cela répond à une préoccupation des citoyens et des territoires.

Quels sont les projets qui t’ont le plus marqué ?

Je me souviens d’un projet américain, Cortec, qui devait se faire à Riom, qu’un détaché d’EDF aux IFA Datar avait repéré aux États-Unis. Nous sommes allés très loin ; le terrain était sur le point d’être signé, le futur dirigeant local avait engagé ses premières démarches d’installation mais finalement ils ont eu une opportunité de racheter une entreprise aux US leur mobilisant leur cash .J’ai réussi néanmoins à rattraper le PDG de Cortec et après être allé le rencontrer de nouveau aux US il est venu pour que soit monté un partenariat avec Legatech.

J’ai aussi des regrets ! J’ai fait parti des Business Angels pendant 3 ans, il y a plus de 10 ans, période où se sont présentés Allegorithmic et Auvergnat Cola. N’étant pas redevable de l’ISF à l’époque je prenais 70% de risques financiers, ceux qui ne voulaient y aller n’en prenait que 30% ; et pourtant nous n’avons été que 4 à être prêts à investir, mais il en fallait 10 [investisseurs]. [Au final], ces projets se sont révélés comme les deux meilleurs de la décennie…

J’ai aussi des satisfactions : nous avons été au berceau d’un projet comme Biaujardin pour lequel sur 5 ans nous y avons passé l’équivalent de trois mois à temps plein au sein du groupe, et participer parallèlement au financement d’éléments d’investissement avec à l’époque notre Fondation Agir Pour l’Emploi qui est intervenue pratiquement sur l’ensemble des entreprises d’insertion par l’économique en Auvergne.

Je me souviens aussi de Tristan Colombet avec Prizee.com. Lorsque j’étais président de l’IUT de Clermont-Aurillac-Le Puy en Velay, j’ai découvert qu’à l’IUT les professeurs n’avaient pas su qu’il travaillait sur un projet et il n’avait bénéficié d’aucun accompagnement de l’IUT. Cela a déclenché chez moi l’impérieuse nécessité d’engager l’IUT à mettre en place au bénéfice des étudiants un dispositif de sensibilisation à la création d’entreprise, de manière transverse entre GEA et autres départements informatique, biologie, etc. J’ai poussé pour que les décisions soient prises , et en entraînant la direction pour un benchmark à l’IUT de Grenoble. Cela s’est mis en place, avec une équipe remarquable, qui a permis à l’IUT d’être finaliste deux fois du dispositif national Créa IUT.

Mise à l’honneur et financement de Cocoshaker dans le cadre des voeux solidaires.

Ton implication au travers d’EDF dans la création d’entreprise se fait aussi de l’amont à l’aval…

Souvent les tiers sont surpris de découvrir l’étendue de l’engagement d’EDF sur la chaîne de l’entreprenariat en Auvergne : nous sommes en effet impliqués dès la sensibilisation dans les collèges et lycées à la création d’entreprises que ce soit avec Entreprendre Pour Apprendre ou avec d’autres opérations, au sein de l’Université avec Pépite, mais nous avons aussi été le premier accompagnateur privé sur le Lanceur de Sofimac Ventures où je participais au conseil d’orientation. Et en aval avec l’appui au développement notamment en s’impliquant sur le portage d’entreprises à l’export (une cinquantaine d’entreprises à notre actif en Auvergne), puis avec les Conseillers du Commerce Extérieur pour soutenir le développement.

A force de côtoyer des entrepreneurs, tu as dû vouloir franchir le pas …

En tout cas cela ne m’a pas laissé indifférent ! Anecdoctiquement, cela m’est arrivé, au tout début des apps pour i-phones. J’avais rendez vous sur une de mes idées de besoin fonctionnel tous les dimanches avec un expert en informatique qui se lançait sur la création d’apps. J’en avais formalisé un cahier des charges et la propriété intellectuelle pour la réalisation d’une appli, lui était sur la réalisation technique, mais nous avons buté sur les blocages techniques mis en place à l’époque par Apple. Cela n’a pas abouti donc, mais cela a été un bon moment !

J’ai aussi été enthousiasmé par un projet semi-industriel dans le domaine de la cosmétologie – au Maroc avec plusieurs personnes ressources, pharmacien, commercial, et responsable export d’industrie marocaines des mines, tous investisseurs potentiels. Ce projet m’avait séduit car basé sur un process qualité certifié, et en même temps un projet social, amenant des femmes pas ou peu instruites à trouver une part d’autonomie, et cela dans un pays ensoleillé ! La porteuse de projet n’a hélas pas voulu mener son projet dans une société ou elle n’était pas majoritaire qui pourtant aurait été le moyen d’engager plus avant le projet après la phase d’audit réalisée. Enfin je n’avais pas exclu il y a dix ans de reprendre une entreprise avec un ami de longue date, il est vrai que nous aurions du faire des sacrifices substantiels de salaires pendant quelques années.

« [L’innovation] passe beaucoup par les gens, impliqués, avec les bons leviers. »

Autrement, un homme m’a marqué : Michel Renaud, qui s’occupait de la valorisation de la recherche universitaire décédé d’un cancer il y a plus de 15 ans. Il a fait passer de la paillasse universitaire au projet industriel de nombreux projets qu’il a amenés au Biopôle. La réussite du Biopôle lui doit beaucoup. Je me souviens notamment d’une des premières installations industrielle aboutie avec Greentech qui était quelles années avant à la pépinière d’entreprise avec un espace très réduit et qui est devenu la belle entreprise que l’on connaît ; et il en a plein d’autres… Cela passe beaucoup par les gens, impliqués, avec les bons leviers.

Quelle est la dynamique générée autour du Bivouac selon toi ?

Après la mise en place de Auvergne TIC [ancien cluster numérique, précurseur de Digital League], la démarche menée par son président pour que soit crée un quartier numérique a été une initiative opportune pour le territoire. Dans l’évolution des technologies, elle avait un vrai sens : si le Bivouac n’était pas attendu nationalement par notre groupe pour son développement, nous y sommes [cependant] entrés par engagement territorial, en rendant de nombreux services aux starts-up ; une de nos filiales y a d’ailleurs trouvé le moyen que soit développée une digitalisation intéressante de procédures. Cela dit, le Bivouac, est aussi un élément de veille, permettant d’affiner l’analyse locale. Cela conforte notre engagement.

Il y a eu une bonne dynamique de démarrage, pour faire en sorte que l’écosystème s’intéresse aux entreprises du numérique. Ensuite il y a eu quelques soucis de gouvernance, avec les conséquences que cela a provoqué sur cette dynamique qui s’est un peu essoufflée… Notre pôle métropolitain ne peut pas faire l’économie d’un quartier numérique. La thématique mobilité y a complètement son sens avec la présence de Michelin, et nous y avons notre part via l’électricité. Pour donner une capacité de développement de projets innovants dans le numérique, les entreprises doivent trouver un écosystème avec la masse critique. Sinon, les projets peuvent partir ailleurs. Je me souviens de compétences universitaires sur la mobilité électrique (recharge batteries), qui sont hélas parties à Poitiers.

« Le pôle métropolitain ne peut pas faire l’économie d’un quartier numérique. »

Si l’on veut que le territoire fasse fructifier son statut de métropole au sein de la région , il faut que les grandes entreprises du territoire dont nous faisons partie l’aident à maintenir sa capacité d’accompagnement de l’accélération des projets numériques. Ce n’est pas un dû, mais c’est la traduction d’entreprises engagées sur leurs territoires. Actons cependant qu’aujourd’hui les grands centres de compétences numériques sont plutôt ailleurs, à Paris, Lyon, Marseille… même s’il y a un pôle mobilité ici qui ne demande qu’à prendre de l’ampleur.

Des idées, des concepts peuvent être bons, mais n’oublions pas que ce sont les personnes qui les portent qui, en fonction de leurs qualités, sont un gage de réussite.


Hervé Poher est également Président du Comité auvergnat des Conseillers au Commerce Extérieur : voir notre article “focus” sur les start-ups auvergnates et l’international
voir également l’intervention de Hervé au Flashcamp “Grow International” du 11 janvier 2018


Propos recueillis le 29 mai 2018 dans les locaux d’EDF Auvergne à la Pardieu, sélectionnés et réorganisés par la rédaction pour plus de clarté puis relus et corrigés par Hervé.
Crédits photo : Damien Caillard pour la Une

Résumé/sommaire de l’article (cliquez sur les #liens pour accéder aux sections)

    • #CarrièreEDF – Hervé a fait la grande partie de sa carrière au sein d’EDF-GDF, d’abord sur des questions techniques liées à l’énergie électrique, puis sur des questions RH et formation – notamment en matière de prévention/sécurité. Son travail remarqué lui a permis de choisir son affectation en Auvergne, d’où vient une branche de sa famille.
    • #DéveloppementTerritorialL’engagement territorial est une constante des groupes énergéticiens depuis plusieurs décennies, pour la distribution comme pour la production. En 1993, Hervé commence à s’y impliquer personnellement. « On attendait qu’un opérateur comme nous soit impliqué et donne des idées. » L’approche que Hervé met en place consiste à combiner développement local et environnement, ce qui est un sujet émergent à l’époque.
    • #SoutienCréationEn misant sur les premières plateformes d’initiative locale, Hervé a permis l’émergence du Biopôle en y associant le groupe EDF-GDF. Sa conviction : avec un accompagnement pertinent, le taux de « perte » en création d’entreprise est significativement baissé, et la chance de créer des emplois sur le territoire augmentait d’autant. Hervé est aussi président du comité d’engagement AT2I+ et continue à scruter les nouvelles initiatives.
    • #ProjetsMarquants – Parmi les projets qu’Hervé retient, il y a Allegorithmic et Auvergnat Cola, lors de leurs premiers « passages » devant les Auvergne Business Angels en 2003. Egalement, l’entreprise Prizee portée par Tristan Colombet, suivie par Domraider, qui ont poussé Hervé à engager la création du dispositif Créa IUT.
    • #Entrepreneuriat – Hervé s’est aussi essayé à la création d’entreprise, autour du développement mobile, ainsi que dans la cosmétologie au Maroc avec des acteurs locaux et une vocation à la fois sociétale (pour l’emploi des femmes notamment) et qualité.
    • #EcosystèmeClermontois – EDF étant partenaire du Bivouac dès la première heure, Hervé estime que la présence du groupe énergéticien était évidente et qu’un tel projet, même s’il a connu des hauts et des bas, est structurant pour le numérique dans la métropole. Plus largement, et pour que Clermont rayonne au national, l’accompagnement des grandes entreprises lui semble capital. Il regrette que le pôle « mobilité » qui se développe sur Clermont ne rencontre pas les succès escomptés, sans doute à cause d’un problème de masse critique. Au final, la dynamique des projets reste conditionnée à leur environnement … et aux individus qui les portent.

 

À propos de Véronique Jal

Ma ligne guide depuis 15 ans, c'est le management de projets collectifs à fort "sens ajouté" : les fromages AOP, les hébergements touristiques, la démarche d'attractivité d'une région... et aujourd'hui l'innovation territoriale via un média associatif Toulousaine d'origine, j'ai découvert et choisi l'Auvergne que mon parcours pro m'a amenée à connaître sous plein de facettes. J'adore cette activité qui nous permet d'être en situation permanente de découverte.