Entretien / Pauline Tranchant construit l’innovation sociétale

Entretien / Pauline Tranchant construit l’innovation sociétale

Par Damien Caillard
Avec Cindy Pappalardo-Roy

A Clermont, qui a un projet d’entreprise à impact social passe par Cocoshaker. Et qui passe par Cocoshaker travaille forcément avec Pauline Tranchant. Arrivée en 2017 dans notre écosystème, Pauline est en charge de l’accompagnement des entrepreneurs sociaux au sein de l’incubateur – environ 6 chaque année depuis bientôt 5 ans. Pour leur assurer le meilleur accompagnement possible, elle développe son offre, établit des partenariats, écoute les besoins, recrute des mentors, anime des rencontres … un travail patient qui finit par payer : Cocoshaker est actuellement à la recherche de sa cinquième promotion.


Accéder au résumé de cet article


Comment as-tu débuté pour aboutir à une carrière orientée innovation et ESS [Économie Sociale et Solidaire] ?

J’ai commencé mon parcours à Grenoble – où je suis née – avec des études en droit, et surtout un master en Management de l’Innovation à l’IAE. Après le Bac, je ne connaissais pas l’innovation, ce n’est pas forcément ce qu’on t’apprends dans ton cycle de lycée. D’où ma licence de droit – que j’ai beaucoup aimée, y compris pour la connaissance et la culture – mais qui était trop théorique pour moi. 

Or ma sensibilité personnelle était plus vers les droits de l’homme et les libertés fondamentales. Mais c’est un secteur assez bouché en droit ! Soit barreau (avocat), soit droit humanitaire, qui est très couru. De mon côté, l’aspect pratique m’avait toujours attirée. Qu’est ce qui pouvait m’apporter pratique et théorie? Le master de management de l’innovation pouvait m’aider.

Quelle première expérience t’as confirmé cette sensibilité à l’innovation et l’environnement?

J’ai travaillé en tant qu’employée polyvalente à l’Eau Vive de Grenoble, en parallèle de mes études de droit. Ça m’a aidé à découvrir les produits bio, mais aussi à développer mes valeurs pour l’humain et l’environnement. Le droit m’a aussi aidé à progresser – j’ai été pendant un an dans une association d’aide au parrainage et à la protection de demandeurs d’asile, et j’ai travaillé au service handicap de l’université pour accompagner des étudiants à la rédaction de leurs partiels. Tout cela a créé une sensibilité que je ne voulais pas perdre en master.

Pour moi, l’innovation me manquait dans le droit, trop théorique. Du coup, aujourd’hui je sais que j’aime le social, mais je veux que les choses bougent. Le master de l’innovation avec le biais de l’innovation sociale était la bonne piste pour moi ! Même si mes profs ne prenaient pas trop au sérieux le domaine de l’ESS pour l’innovation. 

J’ai travaillé [dans un magasin bio], ça m’a aidé à (…) développer mes valeurs pour l’humain et l’environnement.

C’est à ce moment que tu as découvert le monde des incubateurs…

J’ai choisi un stage en vue d’un mémoire et d’une soutenance. Je voulais le faire dans un incubateur d’entreprises sociales ; je connaissais les incubateurs de start-ups, je me doutais bien qu’il devait y en avoir pour les entrepreneurs sociaux. Sur le site de l’Avise étaient recensés les dix incubateurs d’entreprises sociales en France… J’ai postulé à chacun, en candidature spontanée.

Marion Audissergues [directrice de Cocoshaker] m’a tout de suite répondu, cela m’a beaucoup plu. On a eu un échange direct, on a très bien accroché car elle sait mettre les gens à l’aise. En plus, elle recherchait une personne en service civique. C’était plus compliqué qu’un stage sur le côté administratif, mais on y est arrivé ! C’était aussi un moyen de changer d’air, n’ayant pas pu partir à l’étranger. J’ai animé la communauté d’entrepreneurs sociaux et mon mémoire a été orienté sur un des axes de développement de Cocoshaker : « Entrepreneuriat social en territoire rural », aujourd’hui porté par Cécile Favé.

L’entrepreneuriat social regroupe toute personne voulant monter un projet d’entreprise innovante avec une finalité sociale ou environnementale.

Marion Audissergues (à gauche) et Pauline Tranchant. Le coeur de Cocoshaker.

Pour quelqu’un qui ne connaît pas l’entrepreneuriat social, comment le décrirais-tu?

L’entrepreneuriat social regroupe toute personne voulant monter un projet d’entreprise innovante avec une finalité sociale ou environnementale : répondre à un besoin peu ou mal satisfait par le marché, public ou privé – pour nous, en Auvergne. Par exemple, l’accès au logement, la lutte contre l’exclusion, l’accès à la santé… Il faut en même temps porter un modèle économique viable sur le long terme. Mais l’impact social en est au cœur ! Au sein de Cocoshaker, on parle d’innovation sociale, qui est une autre manière de répondre aux besoins.

Et l’ESS ?

L’ESS est définie par la loi de 2014, qui reconnaît donc son cadre légal. Elle regroupe l’ensemble des structures qui cherchent à concilier utilité sociale, solidarité, performance économique et gouvernance démocratique. L’entrepreneuriat social est une catégorie d’entrepreneurs qui s’inscrit dans l’ESS. Ils cherchent à créer du changement social avec un modèle économique viable. Cocoshaker accompagne ces entrepreneurs sociaux à lancer leurs entreprises à impact social ou environnemental.

Quel est l’écosystème local de Cocoshaker? Avec qui travaillez-vous?

Une chance qu’on a à Clermont, par rapport à d’autres métropoles, c’est la communication fluide. Cocoshaker a son écosystème de l’inno sociale – par le biais du réseau Acc’Ess ou le laboratoire CISCA – et son réseau d’innovation – Magma, qui rassemble les structures d’accompagnement sur Clermont comme SquareLab, Le Bivouac, BUSI et d’autres. Enfin, on a notre réseau avec des acteurs média ou relationnels comme Le Connecteur, Clermont Innovation Network, etc. Tous ces acteurs nous apportent une dynamique super forte, et je n’ai aucun mal pour des entrepreneurs sociaux à aller piocher dans des ressources réseau côté innovation, ou côté ESS.

Ton service civique s’est terminé… mais tu es restée à Cocoshaker !

Oui, j’ai été prise en CDI en février 2019. Cela m’a légitimée, apporté de la confiance et de la reconnaissance. C’est vraiment important pour moi, ça m’a confirmé que le choix que j’ai fait était le bon pour moi. Je suis un peu arrivée aux débuts du projet de développement territorial, on venait de répondre à un AMI [Appel à Manifestation d’Intérêt] de la Région appelé “territoires fragiles”, qui a lancé cette dynamique ; nous avons été lauréat en partenariat avec Ronalpia à Lyon. Aujourd’hui, nous avons pris un CDD à temps plein – Cécile Favé -, ce qui montre l’importance de ce projet. Quant à moi, aujourd’hui, je travaille sur le programme d’incubation à temps plein.

J’ai été prise en CDI en février 2019, cela m’a légitimée et apporté de la confiance et de la reconnaissance ; ça m’a confirmé que le choix que j’ai fait était le bon pour moi.

Pauline a Épicentre Factory, sa base de travail. Elle y accueille fréquemment incubés et partenaires de Cocoshaker pour des réunions de travail

Comment se passe l’incubation pour un porteur de projet au sein de Cocoshaker?

Quand on est incubé, c’est pour 10 mois – de février à décembre. On propose un parcours collectif, avec des formations apportées par nos partenaires ; un accompagnement stratégique individuel, dont je m’occupe personnellement avec un parrain dédié à chaque projet ; et de la mise en réseau et de la visibilité par des événements. 

On leur offre [donc] un premier pas dans cet écosystème local, mais c’est à eux d’être proactifs. Monter une entreprise qui a un impact social, c‘est dur ! Les incubés – en cours ou anciens -, se soutiennent mutuellement, et on leur donne plusieurs méthodes collaboratives dont l’espace de coworking Épicentre Factory. Cette incubation est offerte aux porteurs de projets, dans le sens où elle est subventionnée. Un projet incubé est valorisé entre 12 et 15 000 €. C’est pour ça que notre sélection est rigoureuse.

Quelles sont les nouveautés de cette année 2019?

Nous lançons l’appel à projets numéro 5, conjointement à un appel à projets “économie circulaire”. Pendant l’accompagnement, nous aurons des ateliers thématique avec le Valtom et Picture Organic Clothing, qui sont nos partenaires pour cette opération nouvelle. Par “économie circulaire”, on entend tout ce qui est autour du circuit court, zéro déchet, écoconception, réemploi, recyclage… On sort du schéma linéaire production / consommation / déchet.

Les incubés 2019 de Cocoshaker. En septembre, l’incubateur lance le recrutement de sa cinquième promotion.

Effectivement, Cocoshaker et le Valtom ont récemment signé un partenariat pour mettre en avant cette valorisation des déchets…

On a fait une mesure d’impact social, et on s’est rendu compte qu’on accompagnait 80% des projets à impact social, et 20% à impact environnemental. On a voulu cibler des projets plus sur l’environnement, afin d’être plus audibles et visibles, et toucher des porteurs de projets qui pouvaient penser être isolés. Enfin, il y a vraiment un enjeu lié à l’urgence environnementale.

C’est la première fois qu’on le fait, on marche sur des oeufs… Mais si on ne commence pas, on ne saura jamais. On essaye donc de sensibiliser, par les rendez-vous de l’économie circulaire avec le Valtom et la CRESS, dont une journée avec des porteurs de projets en économie circulaire (le 27 septembre) ; ça me permettra de voir quels sont ces projets, ce qu’ils comportent, comment ils voient les choses… J’ai hâte de savoir quelles seront les thématiques qu’ils traiteront. Jusqu’où va l’innovation dans ce domaine ?

Que penses-tu de l’écosystème d’innovation local?

Quand je suis arrivée, je commençais dix mois de service civique, et je pensais partir à la fin. Maintenant, j’adore l’Auvergne, Clermont, Épicentre… Je m’y sens bien, je trouve que j’ai ma place, ma vie est bien remplie. Arriver dans une nouvelle ville, ça te forces à sortir de ta zone de confort, d’aller au-devant des événements, des associations… Même si j’ai du mal à voir à plus de trois ans. Je sais que je vais rester centrée sur Clermont, et suivre le déploiement de Cocoshaker sur d’autres territoires.

Arriver dans une nouvelle ville, ça te force à sortir de ta zone de confort, d’aller au-devant des événements, associations…

Au-delà, j’ai un engagement environnemental fort. Par le biais d’un collectif d’individus engagés sur la transition écologique, je travaille à constituer une communauté apprenante sur la transition, l’urgence sociale et écologique… Par des lectures, des formations, des échanges. J’aimerais participer à la naissance d’une communauté de citoyens engagés sur ces sujets, et les rendre audibles.


Pour en savoir plus : le site de CoCoShaker


Entretien réalisé par Damien Caillard le mercredi 18 septembre 2019, à Épicentre Factory. Propos sélectionnés et réorganisés pour plus de clarté par Cindy Pappalardo-Roy, relus et corrigés par Pauline.

Résumé/sommaire de l’article (cliquez sur les #liens pour accéder aux sections)

  • #Débuts : Pauline vient de Grenoble et y a fait ses études de droit, ainsi qu’un master en Management de l’Innovation à l’IAE.  Sa sensibilité personnelle la guide vers les droits de l’homme et des libertés fondamentales. Ce master conciliait, selon elle, pratique et théorie
  • #PremièreExpérience : Pauline a travaillé dans un magasin bio de Grenoble, et ça l’a aidé à développer ses valeurs pour l’humain et l’environnement. Elle a aussi été dans une association d’aide au parrainage et à la protection de demandeurs d’asile, et a travaillé au service handicap de l’université pour accompagner des étudiants à la rédaction de leurs partiels.
  • #EntréeEnIncubateur : En vue de son mémoire, Pauline souhaitait faire un stage dans un incubateur d’entreprises sociales. Elle a postulé auprès des dix incubateurs d’entreprises sociales en France, et c’est Marion Audissergues – directrice de Cocoshaker – qui lui a répondu de suite et proposé un service civique. Pauline a ainsi animé la communauté d’entrepreneurs sociaux et son mémoire était orienté sur l’axe de développement de Cocoshaker suivant : « Entrepreneuriat social en territoire rural ».
  • #EntrepreneuriatSocial : défini comme « une personne qui veut monter un projet d’entreprise innovante avec une finalité sociale ou environnementale » ; réponse à un besoin peu ou mal satisfait par le marché, public ou privé … Tout en portant un modèle économique viable sur le long terme.
  • #Incubation : À Cocoshaker, l’incubation dure dix mois, de février à décembre. Est proposé un parcours collectif, avec des formations apportées par ses partenaires ; un accompagnement stratégique individuel, dont Pauline s’occupe personnellement avec un parrain dédié à chaque projet ; et de la mise en réseau et de la visibilité par des événements
  • #ÉcosystèmeLocalArrivée de Grenoble pour un service civique, Pauline est restée en Auvergne, une région qu’elle adore. Elle ajoute : « Je sais que je vais rester centrée sur Clermont, et suivre le déploiement de CoCoShaker sur d’autres territoires. » Pauline a également un engagement environnemental fort, et participe à un collectif d’individus engagés sur la transition écologique.

À propos de Véronique Jal

Ma ligne guide depuis 15 ans, c'est le management de projets collectifs à fort "sens ajouté" : les fromages AOP, les hébergements touristiques, la démarche d'attractivité d'une région... et aujourd'hui l'innovation territoriale via un média associatif Toulousaine d'origine, j'ai découvert et choisi l'Auvergne que mon parcours pro m'a amenée à connaître sous plein de facettes. J'adore cette activité qui nous permet d'être en situation permanente de découverte.