Entretien / Pierre Gérard tombe la chemise

Entretien / Pierre Gérard tombe la chemise

Par Damien Caillard

Une chemise décorée de post-its, d’agrumes ou de pixels : c’est ce petit grain de folie, ou du moins de décalage espiègle, qui le caractérise sans doute le mieux. Pierre Gérard, participant actif au TEDx-Connecteur*-Club Open Innovation Auvergne-Epicentre, ancien acteur de l’innovation au Crédit Agricole Centre-France, ex-journaliste, vient de « pivoter ». Aujourd’hui, il lance son activité de facilitation des transformations business en entreprise, tout en développant une approche originale autour de la Transition Ecologique (via Epicentre Factory) et du sylvomimétisme.

Comment résumerais-tu ce que tu souhaites apporter aux autres ?

J’aime le progrès collectif. C’est sans doute galvaudé, mais j’aime quand les gens acquièrent de la liberté en prenant conscience de ce qu’ils font, et qu’ils explorent tous les champs de leurs possibles. Si on veut m’énerver, il suffit de me dire qu’il n’y a qu’une solution à un problème !

Parfois je m’appelle Maître Ilford, pour ceux qui ont connu les labos photo. Je suis un révélateur. Après, il y a le fixateur … je suis celui qui va aider la personne à trouver sa voie. Je pose plein de questions, j’échange sur cette base avec la personne. Et je vois où ça nous mène. C’est parfois du non verbal ! Je vais m’imprégner du fonctionnement de [mon interlocuteur], de ce que je ressens de vivant en [lui], de l’énergie qui l’anime et je lui propose différentes pistes.

Pierre en contre-plongée depuis son drone. L’attachement à la Bretagne, à la mer et à la navigation est chez lui un trait de caractère miroir de sa passion pour nos montagnes et plaines d’Auvergne.

Ce travail sur le ressenti, tu l’as démontré au sein du TEDxClermont …

L’expérience TEDx, c’est d’abord une recherche d’idées. C’est quelque chose qui rejoint mon passé de journaliste, quand il fallait trouver des sujets qui allaient intéresser les lecteurs. Qu’est-ce qui peut toucher les gens dans une logique d’élargissement de ses points de vue. Se dire “tiens, je le voyais comme ça, mais finalement ça peut être vu autrement …” Mes thématiques, ce sont les sciences de la vie, l’habitat, l’alimentation, la relation au monde … la perception en tant qu’humain. Par exemple, les biais cognitifs et les stéréotypes m’intéressent beaucoup.

« J’aime quand les gens acquièrent de la liberté en prenant conscience de ce qu’ils font, et qu’ils explorent tous les champs de leurs possibles. »

Aujourd’hui, je suis responsable de l’équipe “chasseur d’idées” [du TEDxClermont], je coordonne la recherche d’idées et de speakers. La personne qui amène l’idée n’étant pas forcément celle qui monte sur scène ! Avec Lionel Faucher, cela m’a fait structurer la démarche de curation, pour être à la hauteur de nos exigences qui sont fortes tout en étant 100% bénévoles …


Lire notre entretien avec Lionel Faucher qui coordonne le TEDxClermont


[Au final], j’ai l’impression d’avoir réussi si des [spectateurs], le lundi [après la conférence], ont presque oublié le nom du speaker, mais continuent d’échanger sur l’idée autour d’un café, amenant une autre vision de leur relation au monde. J’avais le même objectif quand j’étais journaliste.

Que t’a apporté ce passé de journaliste ?

J’étais journaliste durant neuf ans, de 1993 à 2001, pour de la presse professionnelle agricole, le groupe France Agricole. J’y ai travaillé pour la Vigne, la France Agricole, et j’ai monté en 1999 un fil d’actualité sur internet. L’équivalent d’un AFP agricole : Agri Online. C’était mon premier contact avec l’innovation, en tant qu’opérationnel.

Ce pour certifier à qui de droit que Pierre était bien journaliste.

Quand j’étais journaliste, j’étais toujours le porte parole de gens que j’allais rencontrer. Il y avait toujours une interaction. (…) Agri Online, c’était ce qu’on appellerait une start-up interne, de l’intrapreneuriat au sein du groupe France Agricole. J’ai adoré ! Il y avait tout à faire. On a inventé les façons de traiter l’actu quotidienne sur Internet. On a structuré la logique de lecture et d’ergonomie des sites. Et on a fait des beaux “coups” journalistiques, parce qu’on était innovants !

Comment as-tu basculé du journalisme dans le monde bancaire ?

Au début des années 2000, le Crédit Agricole montait un portail d’information appelé “Pleinchamp”, un concurrent d‘Agri Online. C’est ce qui m’a convaincu d’aller vers l’univers bancaire, par l’entrée de l’info. Et j’ai commencé en Alsace avec eux. On était en avance de phase sur la maturité du monde agricole car, rapidement, on a constaté qu’il n’y avait pas encore d’appétence. J’ai continué sur la communication, le marketing, et l’animation commerciale, toujours en Alsace.

En 2006, j’ai choisi de venir en Auvergne, car ma belle-famille est lozérienne. J’étais toujours au sein du Crédit Agricole, sur le marketing et l’animation commerciale du marché des entreprises et des collectivités locales. J’avais aussi le rôle de correspondant avec les pôles de compétitivité comme Céréales Vallée ou encore Viaméca [aujourd’hui CIMES].

Il fallait tout recréer ! Mettre en place un CRM à niveau, réinventer la communication … j’ai structuré ces domaines de compétences. Je suis un explorateur qui structure, ensuite je laisse la main : le binôme explorateur-exploitant, c’est capital !

En avril 2003, Pierre (premier plan) avec les membres du back-office du marché de l’agriculture du Crédit Agricole d’Alsace Vosges

C’était ta manière d’amener les sujets environnementaux dans le milieu bancaire …

Explorateur, ça demande davantage d’énergie. Je dirais 20 à 30% de plus par rapport à quelqu’un qui exploite. Mais j’aime le mode projet ! C’était très amusant : il y avait de la nouveauté, il fallait créer, assembler … et en 2007, je suis devenu correspondant “développement durable”, pour la Caisse Régionale.

« La banque, on la consomme tous les jours, mais on l’achète plus rarement »

J’avais pu bien avancer sur le sujet avec un des directeurs. On est alors parti sur une e approche pragmatique en sensibilisant tous les marchés concernés, pour être à même de répondre rapidement si des opportunités commerciales se dessinaient.

Pour moi, c’était du travail d’ouverture d’esprit, donner des exemples de diversité d’enjeux, rendre les gens conscients que des choses différentes pouvaient arriver. Et quand ça a démarré, sur le marché agricole, c’est parti comme une flèche ! Mon boulot, c’était de faire en sorte que les gens fassent. Pas de faire à leur place.

Comment as-tu évolué dans l’exploration au Crédit Agricole ?

En 2009, le directeur général du Crédit Agricole Centre France avait une vraie vision de l’importance de la relation client dans le monde de la bancassurance. En 2010, il m’a demandé de créer une activité pour amplifier le lien, l’attachement entre l’entreprise et ses clients.

La banque, on la consomme tous les jours, mais on l’achète plus rarement. Que peut-on alors mettre en place pour favoriser l’implication et le lien avec ses clients, par exemple, en dehors de la vente ? Maintenant, c’est ce qu’on appelle du marketing relationnel, mais quand j’ai commencé, on ne savait pas encore comment le nommer !

Là aussi, c’était une expérience particulièrement intéressante. Je suis allé chercher auprès de sociologues et de psychologues les ressorts de la recommandation de la banque. C’était très peu documenté à l’époque ! On a testé plein de dispositifs de marketing direct, mais le gap était de les industrialiser.

Cette expérience t’a permis d’entrer en contact avec l’écosystème local d’innovation. Quelles sont aujourd’hui tes interactions dans ce milieu ?

Etre présent dans l’écosystème, c’est parce que les gens sont sympas, tout simplement. Ca a commencé par TEDx, j’avais trouvé des gens aussi engagés que moi et qui aiment penser en dehors de la boîte ! Et après, j’en ai trouvé ailleurs …

« Etre présent dans l’écosystème, c’est parce que les gens sont sympas, tout simplement. »

Le Connecteur*, je m’en souviens en mai 2016 à l’inauguration du Bivouac : il y avait un mange-debout et les membres fondateurs de l’asso, Fabien, Damien, Lionel …. j’aimais beaucoup le principe de connecter, car ce qui m’intéresse c’est de croiser les regards. De mon côté, en plus de le faire intellectuellement, je le fais naturellement puisque je louche depuis ma naissance.

Pierre à la soirée des 2 ans du Connecteur (avril 2018) à Epicentre. Il y avait pris la parole et animé un échange avec Sébastien Pissavy.

J’aime la diversité. Je la trouve aussi à Epicentre : Epicentre était au coeur du développement du collaboratif à Clermont. Aujourd’hui, le cowork, le collaboratif sont une sorte de norme, de tarte à la crème … avec plein de bullshit ! Ce que j’apprécie dans Epicentre, c’est qu’il se remet en cause pour devenir le tiers-lieu de la transition [écologique].

L’enjeu de la transition écologique est un de tes axes de travail ?

C’est un sujet qui me préoccupait déjà en 2007, mais il est majeur aujourd’hui. Le monde va être bien secoué.. Je pense qu’on peut être pleinement conscient de ce qui va arriver sans forcément basculer dans la peur, et plutôt choisir d’inventer quelque chose de nouveau.

Je pense [aussi] qu’il y a la place, à Clermont et alentours, pour un lieu qui permette d’envisager, d’expérimenter des scenari de transition, de former les gens, de brasser les points de vue et d’inciter à l’action, dans une logique inclusive. Il n’est pas normal d’être obligés de monter à Paris pour cela, comme je le fais depuis novembre au sein de l’Institut des Futurs Souhaitables**.

Au-delà d’Epicentre, quelles sont tes projets pour accompagner cette transition ?

Aujourd’hui, je porte deux initiatives (…) : Regards Mêlés, une personne morale pour travailler sur les transformations business des entreprises, en allant chercher la raison d’être, ce qui fait que les collaborateurs se lèvent avec énergie le matin. Pour cela, j’utilise les enquêtes classiques de journalisme, mais aussi des outils de sociologie, de psychologie : entretiens semi-directifs, focus group, plateformes de co-création …

« [Pour accélérer les transitions], je m’appuie sur les principes de la permaculture et du vivant. »

Concrètement, c’est une offre de conseil en management, pour faire des audits des besoins clients, des raisons d’être de l’entreprise, des valeurs portées par la structure … qui ne sont souvent pas exprimées ! Une fois qu’on a conscience de ça, on a les moyens de faire “sonner juste” les actions, notamment par une communication adaptée. Je peux aussi accompagner en aval : je peux travailler seul ou en réseau selon la taille du projet, je suis un peu l’Architecte, celui qui structure là où il faut aller.

En pleine concentration sur le conducteur du talk de Charles-Etienne Dupont, lors du TEDxClermont 2016

Enfin, il s’agit d’accélérer les transitions, avec de la facilitation et du design, et là je m’appuie sur les principes de la permaculture et du vivant : cela enrichit réellement la démarche d’accompagnement, quand on est sur des questions complexes.

Ton autre initiative est surprenante : tu fais le pari de rapprocher la forêt et les hommes !

Grâce au TEDxClermont 2016 et le talk de Charles[-Etienne Dupont], que j’ai coaché, la rencontre de Catherine Redelsperger par l’écosystème Epicentre, on a eu l’idée de proposer l’expérience d’une forêt millénaire par du sylvo-mimétisme. Comment la forêt peut nous aider à résoudre des problèmes complexes au niveau des entreprises ?


Lire notre entretien avec Charles-Etienne Dupont, « une vie après un talk TEDxClermont »


Par exemple, quand on a une question de stratégie, de positionnement, comment on utilise une forêt et ses différents endroits pour faire un pas de côté, prendre du recul et avancer dans sa problématique … cela porte sur des sujets à charge mentale forte. La forêt est un lieu où, par l’équilibre entre les arbres, on trouve des éléments de solution et des points de démêlage. On va accompagner des dirigeants, des managers, des commerciaux en forêt et réfléchir avec eux pour résoudre des problèmes très concrets. On lancera ça au printemps [2020].

Lors de l’atelier du Club Open Innovation Auvergne en octobre 2019, chez Accenture. Pierre animera dès le 20 février un nouveau groupe pour ce Club (détails en fin d’article)

Dernière question … d’où vient ta passion des chemises si originales ?

Pendant longtemps, j’ai fait attention d’être dans la norme d’habillement de l’univers dans lequel j’étais. Et j’estimais porter assez d’originalité dans mes idées. Quand une idée fait peur ou n’est pas comprise, on en fait facilement porter la responsabilité sur celui qui l’amène. Original ? Farfelu ? Non, pas spécialement. C’est plutôt le regard des autres … je me définirais comme un multipotentialiste et un entrepreneur créatif !

Alors, avoir des chemises originales, c’est un grand plaisir pour moi. Et au moins je ne me prends pas au sérieux, tout en étant très exigeant sur ce que je produis ou réalise.

*Pierre est membre du C.A. du Connecteur, dont il est également le Secrétaire Général. Il est aussi membre du C.A. d’Epicentre Factory.
**Pierre suit durant 6 mois une formation à l’Institut des Futurs Souhaitables appellée « LabSession »


Pour en savoir plus :
la page LinkedIn de Regards Mêlés
le site du TEDxClermont
le site d’Epicentre Factory
le site du Club Open Innovation Auvergne, où Pierre anime un nouveau « groupe » – séance découverte gratuite le 20 février matin à Turing22, inscriptions sur le site


Entretien réalisé à Epicentre le 2 décembre 2019, réorganisé pour plus de clarté et relu/corrigé par Pierre. Photos de Une, du TEDx et du Club Open Innovation par Damien Caillard pour le Connecteur, photo de la soirée Connecteur par Fanny Reynaud, les autres par Pierre.

À propos de Véronique Jal

Ma ligne guide depuis 15 ans, c'est le management de projets collectifs à fort "sens ajouté" : les fromages AOP, les hébergements touristiques, la démarche d'attractivité d'une région... et aujourd'hui l'innovation territoriale via un média associatif Toulousaine d'origine, j'ai découvert et choisi l'Auvergne que mon parcours pro m'a amenée à connaître sous plein de facettes. J'adore cette activité qui nous permet d'être en situation permanente de découverte.