INDUSTRIES CULTURELLES ET CRÉATIVES : la création de valeur n’est pas un vilain mot

INDUSTRIES CULTURELLES ET CRÉATIVES : la création de valeur n’est pas un vilain mot

La terminologie des Industries Culturelles et Créatives est avant tout une construction politique visant à apporter plus de lisibilité et de visibilité à des secteurs qui, de prime abord, n’ont rien en commun. Ils sont au nombre de 10, avec un périmètre très large, de l’habillement, au patrimoine en passant par les jeux vidéos et le théâtre. 

La petite histoire des ICC

Le terme Industrie Culturelle est apparu en 1947 suite à l’analyse critique de la standardisation et la reproduction de masse de contenus (à cette époque on parlait principalement de la radio, de la télévision et du cinéma). 
Dans les années 70 c’est le discours politique qui remet le terme industrie culturelle sur la table. Il permet de légitimer la dépense publique des collectivités qui développent des stratégies territoriales basées notamment sur la culture. La culture n’est plus seulement une création artistique mais aussi un vecteur de développement économique et de création d’emplois.

Source : BPI France Le Label : Créativité déroutée ou augmentée ?

Les industries créatives, quant à elles, voient le jour dans les années 90.  L’Unesco les définit comme « toute industrie qui a pour origine la créativité individuelle, l’habileté et le talent et qui a le potentiel de produire de la richesse et de l’emploi à travers la création et l’exploitation de la propriété intellectuelle ».
C’est, encore une fois, l’UNESCO qui, en 2009, propose une définition globale des Industries Culturelles ET Créatives : « comme les secteurs d’activité ayant comme objet principal la création, le développement, la production, la reproduction, la promotion, la diffusion ou la commercialisation de biens, de services et activités qui ont un contenu culturel, artistique et/ou patrimonial. »
Depuis quelques années la BPI a introduit le terme « French Touch » pour définir les ICC et valoriser la particularité française à l’international. La French Touch a représenté 104 Md€ du PIB français en 2015, et totalisé plus de 1,7 million d’emplois.

Industrie : « couvrez ce mot que je ne saurais voir »

L’association du terme industrie à la culture et à la créativité est encore un sujet « touchy ». Pourtant elle fait bel et bien partie des caractéristiques principales des ICC. On y retrouve une double-nature : économique, qui génère de la richesse de l’emploi, et culturelle avec une recherche de sens, d’identité et de valeurs.

La rentabilité est une nécessité mais pas la finalité quand on parle de patrimoine. La subvention joue un rôle essentiel dans le modèle économique des musées. Delphine Pinasa

Micro-trottoir « A quoi pensez-vous lorsque l’on vous dit : Industries Culturelles et Créatives ? »


Delphine PINASA, directrice du CNCS (Centre National du Costume de Scène à Moulins sur Allier) se défend de diriger une industrie. « Les musées ont un autre rôle. Ce n’est pas la recherche du profit à tout prix mais plutôt la volonté d’enrichir culturellement et d’éduquer les publics. La rentabilité est une nécessité mais pas la finalité quand on parle de patrimoine. La subvention joue un rôle essentiel dans le modèle économique des musées. »

Business first 

Dans ce grand melting-pot des ICC, difficile d’y voir clair. Même pour ceux qui en font partie. Vincent André de Picture Organic Clothing découvre d’ailleurs qu’avec ses gammes de vêtements écolos et techniques, il entre dans le périmètre des ICC « Du point de vue de notre activité, on se considère avant tout comme des commerçants. La terminologie ICC est assez abstraite pour nous. Nous proposons des vêtements et accessoires, avec une recherche continue d’amélioration, d’innovation et de performances ».
Pas facile de s’y retrouver. Pourtant l’innovation est partout.

ICC : Des innovations au gré des collaborations 

La French Touch aime se frotter à d’autres écosystèmes. Ces rapprochements ponctuels sont parfois timides, comme pour ne pas se dénaturer ou se diluer. Pourtant, il existe de belles réussites.
Delphine Pinasa parle avec enthousiasme de sa dernière collaboration. «Parfois on innove par nécessité. Nous avions un costume trop fragile pour être transporté pour une exposition Thierry Mugler à Montréal. Il avait été décidé de créer un hologramme de ce costume pour pouvoir tout de même le présenter. Au final, le musée de San Diego est allé encore plus loin en imaginant toute une scénographie en hologramme.»

..Nous sommes avant tout des commerçants….la terminologie ICC est assez abstraite pour nous. Nous proposons des vêtements et accessoires, avec une recherche continue d’amélioration, d’innovation et de performances ». Vincent André


Toute la chaîne de valeur est impactée
 

Avec l’avènement du numérique mais aussi des nouvelles formes de travail, de collaborations insolites émergent. De la création à la distribution, c’est tout la chaine de valeur qui est touchée.
Les opportunités  sont élargies, décuplées par la puissance digitale et par l’internationalisation grandissantes des projets et produits. 

Source : BPI France Le Label : Créativité déroutée ou augmentée ?


La création augmentée

Grâce au numérique, de nombreuses solutions ont été développées pour faciliter la création et la magnifier. Allegorithmic, entreprise auvergnate créée par  Sébastien Deguy en 2003 est un bon exemple. Les équipes ont développé un suite logicielle « Substance » qui permet aux studios de design de créer de la texture 3D pour les jeux vidéo ou le cinéma.
Cette dernière a été rachetée en début d’année par Adobe, preuve du potentiel exponentiel de ce type de solutions.


Co-fabriquer : l’ère du Fablab

Le XXIème siècle est sans aucun doute l’ère du -co- . Plus question de faire seul, il devient nécessaire d’impliquer différents acteurs pour innover.
Les fablabs, espaces de fabrication partagés offrent de nouvelles possibilités. Ces tiers-lieux sont avant tout de lieux d’échanges et de partages de connaissances. Grâce notamment aux imprimantes 3D et laser, ils permettent le prototypage d’objets et une approche sur-mesure pour répondre aux besoins de clients.
Le Lab du Pensio, l’usine du numérique du Puy en Velay a notamment proposé un dispositif innovant en 2015. Le programme « Toucher  le musée Crozatier » a permis de développer des images tactiles pour malvoyants. Une manière de faire le lien entre technique, technologie, patrimoine et art.

 
Co-créer : l’union fait la force

On innove aussi en apprenant à travailler ensemble pour proposer des projets qui sortent du cadre. Les collectifs ou coopératives d’activités s’orientent de plus en plus vers l’accompagnement à la co-création en mettant en relation des univers artistiques et créatifs variés. La coopérative Appuy Culture basée à Clermont a ainsi co-construit avec 7 artistes et créateurs « Atout Age ».
Ce projet a pour objectif de « prévenir la perte d’autonomie en proposant des ateliers artistiques autour des thématiques du corps, de la mémoire, des souvenirs, du partage et de la transmission ».

 
Pas de clients mais des communautés

Aujourd’hui on s’adresse de plus en plus à « ses communautés ». Autrefois appelées cibles, les clients deviennent aujourd’hui les ambassadeurs d’une marque, d’un territoire, d’un concept. Plus question de les attirer à coups de renforts publicitaires. On crée son univers et on y fait entrer l’autre.
La Conférence Eco organisée par la Métropole lors de la Clermont Innovation Week en 2019 a mis en lumière des collaborations inédites. Notamment Riot House et Picture Organic Clothing.
Les fondateurs de la marque de vêtements de glisse sont aussi des fans absolus de vidéos. Pas de publicités mais de véritables films artistiques à couper le souffle. Tournés au bout du monde ils transportent celui qui les visionne au cœur des valeurs de la marque « Rider, protect and share ».


Merci mais je vais me débrouiller tout seul

Le numérique a complètement chamboulé la distribution. Tous les secteurs sont concernés. Certes le e-commerce est devenu une évidence mais l’innovation vient plutôt de la volonté de certains de s’affranchir des intermédiaires qui sont considérés  à tort ou a raison comme superflus et gourmands sur les marges. 
Les plateformes fleurissent sur le web et permettent à des artistes ou créateurs d’être visible et référencer. 
Deezer, l’outsider du streaming audio, permet à n’importe quel artiste de proposer son opus aux deux millions d’utilisateurs de la plateforme.
Whisperies, start-up vichyssoise met en relation des auteurs jeunesse et des illustrateurs pour offrir des contenus inédits, fruits de ces collaborations éphémères ou durables qui sont ensuite proposés sous forme d’abonnements.

 
Le défi de la création de valeur pour tous

L’innovation au sein des ICC est une réalité. Pourtant, pour que les territoires puissent bénéficier de cette émulation constante, l’écosystème doit se structurer.

La ville de Clermont, en affichant l’ambition de devenir Capitale Européenne de la Culture, n’a rien fait de plus -ou de moins- que de donner un cap structurant, pour elle-même mais également l’écosystème. Derrière cette ambition ? Une volonté d’engager une stratégie de développement d’une vraie filière d’excellence, à valeur ajoutée tant en termes culturel, social qu’économique ou de rayonnement. Le projet s’articule autour de 3 axes structurants :

  • l’attractivité pour les entreprises
  • le développement d’un vivier de talents via la formation
  • la création d’un lieu emblématique et permettant aux acteurs d’expérimenter, de valoriser leur savoir-faire, de partager leurs problématiques

 

Les Industries créatives et culturelles sur le territoire métropolitain

Etude réalisée par l’agence d’urbanisme de Clermont Auvergne Métropole. Sources : Diane + et Acoss – Parution Avril 2019

En Auvergne, le DAMIER,  s’inscrit dans cette ambition.

Nathalie Miel, directrice de ce cluster des entreprises créatives, en particulier en lien avec les univers musique et image, inscrit pleinement ses orientations dans l’enjeu de créer une filière dynamique et innovante. 

  • contribuer au développement d’entreprises innovantes et performantes, en développant des outils de formation mais également une approche de recherche et développement collective
  • favoriser l’émergence de start up, en structurant une offre d’accompagnement, comme l’a expérimenté Le Damier avec son incubateur éphémère durant la Clermont Innovation Week (#CIW19)
  • créer les conditions des synergies productives : en faisant jouer la complémentarité des membres au travers de de réponses collectives à des appels d’offre
  • enfin, en favorisant la notoriété et la visibilité de la filière, avec des initiatives comme le MIMA (Marché Musique et Image) organisé chaque année dans le cadre du Festival du Court métrage, par exemple

C’est en ayant une connaissance du tissu local que l’on peut apporter une valeur ajoutée. Les incubateurs, les clusters ou les pôles répondent en partie à ces enjeux. Ils mettent en relations les parties prenantes d’un même secteur pour proposer, inventer, insuffler des initiatives nouvelles sur un territoire.
Comme le disait si justement Steve Jobs « La créativité consiste juste à relier les choses entre elles ». Alors soyons créatifs.

 

À propos de Pauline Rivière

Pauline Rivière est journaliste et rédactrice en chef du média en ligne le Connecteur. Elle est en charge du choix des dossiers spéciaux mensuels. Elle développe également des outils de datavisualisation à destination de l'écosystème de l'innovation et s'intéresse à l'innovation éditoriale. Avec sa société SmartVideo Academy, elle anime différentes formations à la réalisation de vidéos (au smartphone notamment) et à l’écriture audiovisuelle. Elle intervient également dans l'Enseignement Supérieur dans le cadre de projets pédagogiques digitaux, mêlant techniques de communication et sujets d'innovation.