Entretien / Jérémy et Béatrice Alves, reboiser la Limagne

Entretien / Jérémy et Béatrice Alves, reboiser la Limagne

Jérémy était chef de cuisine au Canada. De retour en Auvergne, avec son épouse, ils créent Terre  Limagne, une association qui veut agir pour le reboisement de la Limagne.

Et non, ce n’est pas éloigné : cuisiner, c’est magnifier les produits de la nature

Tu viens de créer avec ton épouse l’association Terre Limagne, quelles sont tes motivations derrière ce projet ? 

Nous sommes depuis toujours des amoureux de la nature. Ces dernières années, nous subissons en Limagne des épisodes de sécheresse de plus en plus longs. Notre potager et les quelques arbres que nous avions ont énormément souffert de la chaleur et du manque d’eau. Pour pouvoir supporter ces épisodes de sécheresse nous avons cherché des solutions potagères ayant besoin de moins d’eau et nous avons travaillé à l’association des plantes et végétaux.

La Limagne a subi de nombreux remembrements, les arbres ont disparu et des drainages ont permis d’assécher les terres à partir de 1968. A l’époque cela semblait une bonne idée.

Aujourd’hui le réchauffement climatique étant là, il faut changer de modèle. Nous avons découvert de nombreux travaux menés sur l’importance des arbres pour nos régions tempérées : ils stockent l’eau dans leurs systèmes racinaires, ils emmagasinent l’azote dans le sol, ils attirent la pluie, etc.

Conscients que la Limagne était pauvre en arbres, nous avons choisi de développer l’axe du reboisement.  Nous nous sommes inspirés de plusieurs exemples comme celui de la ferme écologique du Bec Hellouin dans l’Eure. Ce sont des précurseurs dans le domaine. Le couple travaille depuis des années pour atteindre l’autonomie et ils ont essayé de nombreuses techniques de maraîchages, de sylviculture et d’élevage. Aujourd’hui ils ont mis en place un système agricole sans aucune énergie fossile. Ils travaillent avec l’INRA pour expérimenter de nouvelles manières de vivre l’agriculture. Ils sont parvenus à atteindre le même niveau de rendement avec 1000 m2 qu’avec une parcelle mécanisée d’un hectare, et cela grâce à la permaculture et aux jardins-forêts.

Tu me parles des jardins-forêts. Que se cache-t-il derrière ce terme ?

Prenons en exemple les forêts tropicales. Elles produisent naturellement des fruits, les indigènes l’entretiennent sans la surexploiter et vivent de la cueillette. C’est un anglais, Martin Crawford, qui a remis au goût du jour ce concept de « forêt-jardin ou jardin-forêt » dans nos zones tempérées. 

Le principe est de planter une forêt en sept strates. D’abord les arbres « haute-tige » (pour l’ombre et leur capacité de fixation de l’azote dans les sols), ensuite les arbres fruitiers, puis les arbustes (argousier…), les petits arbustes (framboisiers…), les plantes aromatiques (mélisse…), les couvre-sol (fraisiers…) et enfin les grimpants (mûres…).

Par l’association des différents plants on arrive à une complémentarité des espèces et donc à optimiser les rendements dans un espace restreint. 

Vous venez de créer l’association, quelles missions comptez-vous remplir ?

L’association existe depuis le mois d’août de cette année. L’objectif est de proposer aux collectivités, aux particuliers et aux exploitations agricoles de reboiser certaines de leurs parcelles.  On cible par exemple les terrains communaux, les ronds-points, les chemins et tous les espaces sous-utilisés. 

Nous utilisons le méthode des forêts-jardins ainsi que la méthode Miyawaki. Cette deuxième méthode permet de créer des zones de biodiversité sans accès à l’homme en faisant pousser des micros-forêts en moins de 10 ans. On sélectionne de jeunes essences locales et on les plante en densité extrêmement forte (30 à 50 plants au mètre carré en zone tempérée). Cela permet de favoriser les collaborations entre les arbres et  stimule la croissance des jeunes arbres. 

Tu viens du monde de la restauration. Ce projet est très éloigné de ton univers professionnel…

Je suis issu d’une formation en Hôtellerie-Restauration. Après mes études je suis parti travailler à Calgary, au Canada, en tant que sous-chef pendant plusieurs années. J’ai décidé ensuite de rentrer en France et de me reconvertir. Là-bas j’ai découvert des paysages splendides qui peuvent nourrir le regard pendant des heures. Le lien d’un cuisinier à la nature est quasiment inné, puisqu’il travaille ce qui provient d’elle pour en révéler les saveurs. Si on est un cuisinier passionné, on aime les produits et donc on aime d’où ils viennent. 

Quels sont les partenaires que vous ciblez ?

On cherche à se mettre en lien avec les associations qui replantent des vergers, avec La Mission Haies d’Auvergne, par exemple. On essaie aussi de se rapprocher de l’association française d’agroforesterie. Et de tous ces scientifiques amoureux des arbres, comme nos chercheurs auvergnats (cf Catherine Lenne -Tedx Clermont) qui ont mis en avant la proprioception de l’arbre, c’est-à-dire le fait que l’arbre à conscience de son « corps » dans l’espace.

Vous avez un côté « militants écologistes » ou plutôt « citoyens avertis et engagés » ? 

Nous ne sommes pas des militants au sens politique. Nous sommes des contemplatifs. Comme je le dis souvent c’est l’amour qui nous met en mouvement. Vous ne pouvez pas prendre soin sans aimer. Nous aimons passer notre temps libre à regarder la vie se déployer sous nos yeux, nous sommes sans cesse émerveillés de la beauté de la nature, la diversité des espèces, les interactions qui peuvent se créer… 

Ce n’est pas par peur du futur, par peur des conséquences sur l’humanité que nous agissons, mais par amour pour la nature. Ce qui nous a décidé à agir concrètement pour notre territoire, c’était de la voir tant souffrir ces derniers mois.

Dans un militantisme écologique il peut souvent y avoir une certaine violence mais cela ne correspond pas à notre vision. C’est l’Amour qui sauve le monde. Mes deux oncles sont des céréaliers de la Limagne et poursuivent l’activité de l’entreprise lancée par mon grand-père, je connais donc les problématiques agricoles. Je sais les difficultés qu’ils rencontrent, les efforts et les techniques qu’ils utilisent pour limiter l’impacte de ces pratiques sur leurs terres. Ils sont amoureux de leur terre. Il y a aujourd’hui beaucoup d’agressivité envers eux, notre société en fait les boucs émissaires de la situation écologique.

Nombre de militants ne prennent pas le temps de comprendre les techniques utilisées et pour sauver la terre ils détruisent ces hommes.

Parfois je me dis qu’on finira par tuer notre agriculture française, déjà très fragilisée. Prenons soin de nos agriculteurs et dialoguons pour faire tomber les préjugés. 

A quoi ressemblerait votre Limagne idéale ?

J’imagine une Limagne verdoyante où l’on ne distinguerait plus les parcelles agricoles vues du ciel. Une biodiversité démesurée. Pouvoir se promener sur les sentiers et cueillir des fruits, les savourer en regardant cette œuvre d’art qu’est la nature. Manger un fruit que l’on a cueilli dans un verger sauvage, c’est tellement différent du fruit acheté en supermarché.

Et votre pire dystopie ?

Je pense que nous devons oublier le terme transition. La transition indique un temps long que nous n’avons plus. C’est un véritable virage qu’il faut aujourd’hui. Charles Hérvé-Gruyer, fondateur de la ferme du Bec Hellouin dit ceci : « Nos agricultures modernes sont des cultures de steppes. Quelle est la prochaine étape après la steppe ? C’est le désert… »

Je rajouterais que cela s’applique également à de nombreux jardins de particuliers et espaces verts communaux où des arbres solitaires clairsèment le paysage. 

Si on ne replante pas on sera nous aussi face à un désert. Ce serait vraiment le pire des scénarios. 

Quels seront vos premiers chantiers ?

La première étape c’est d’entrer en lien avec les chercheurs qui étudient les arbres. 

Nous allons ensuite aller démarcher les collectivités qui souhaiteraient reboiser.

Nous leur proposerons notre méthodologie : recensement des différents lieux, mise en œuvre et suivi. Nous allons participer à des forums pour sensibiliser le grand public et animer des ateliers dans les écoles.  Nous souhaitons pouvoir proposer à nos adhérents de participer activement au projet en devenant une « mini-pépinière », dont les plants serviraient aux différents projets portés par l’association. Il nous faudra du stock d’essences locales pour reboiser. Chacun peut y participer en plantant sur une petite parcelle de jardin.

Dans un second temps, nous souhaitons nous rapprocher des agriculteurs et pourquoi pas collaborer avec Limagrain

C’est l’instant carte blanche. Quel serait le mot de la fin ?

Je pense vraiment que c’est possible de faire ce grand virage rapidement si ensemble nous agissons efficacement. L’utopie c’est le mot qu’utilisent celles et ceux qui ne mettent pas la main à la pâte, pour les autres on parle plutôt d’un idéal à atteindre.

Le contemplatif n’est pas un rêveur, il embrasse le réel pour agir avec lui. 

La personne qui vous inspire : 

Charles et Perrine HERVE-GRUYER de la ferme écologique de Bec Hellouin. Ils sont inspirants parce qu’ils sont partis de rien, ils ont eu de nombreuses difficultés mais ils ont réussi à créer un jardin magnifique.

Film : L’intelligence des arbres

Livres :

Permaculture : Guérir la terre, nourrir les hommes de Perrine Herve-Gruyer

La Vie secrète des arbres, Peter Wohlleben 

La forêt-jardin : créer une forêt comestible en permaculture pour retrouver autonomie et abondance de Martin Crawford 

Et aussi

Tedx Clermont Catherine Lenne

Emission France Culture La Ferme du Bec Hellouin : la permaculture est-elle l’avenir de l’agriculture ?

Contact

TERRE LIMAGNE
Jérémy ALVES – Président
terrelimagne@gmail.com
07 83 38 10 79

 

 

 

À propos de Pauline Rivière

Pauline Rivière est journaliste et rédactrice en chef du média en ligne le Connecteur. Elle est en charge du choix des dossiers spéciaux mensuels. Elle développe également des outils de datavisualisation à destination de l'écosystème de l'innovation et s'intéresse à l'innovation éditoriale. Avec sa société SmartVideo Academy, elle anime différentes formations à la réalisation de vidéos (au smartphone notamment) et à l’écriture audiovisuelle. Elle intervient également dans l'Enseignement Supérieur dans le cadre de projets pédagogiques digitaux, mêlant techniques de communication et sujets d'innovation.