« La blockchain est une révolution au même titre que l’imprimerie » Pascal Lafourcade

« La blockchain est une révolution au même titre que l’imprimerie » Pascal Lafourcade

Pascal Lafourcade est enseignant-chercheur à l’Université Clermont-Auvergne. Il s’est spécialisé dans la cryptographie et la blockchain. Il sort la semaine prochaine un ouvrage « les NFT en 40 questions ».
Les dernières avancées de la technologie blockchain permettent d’entrevoir un champ de plus en plus large d’applications possibles. A quoi pourrait ressembler notre futur ? Echanges avec Pascal Lafourcade.

Ce dossier spécial est sponsorisé par Le Village By CA Centre France. Le Village by CA Centre France apporte son soutien à la mise en lumière des acteurs locaux de l’innovation.

Avant de nous faire entrer dans le monde fascinant de la blockchain, parlez-nous un peu de votre parcours.

Pascal Lafourcade : J’ai fait mes études à Toulouse à l’Université Paul Sabatier, où j’ai obtenu un DEA en Intelligence Artificielle en 2002. J’ai poursuivi avec une thèse à l’ENS Cachan sur la vérification de protocoles cryptographiques avant de faire un post-doc à l’ETH Zurich.

En 2007, je suis devenu maître de conférences à l’Université de Grenoble. C’est en 2013 que je me suis rapproché de l’Auvergne en devenant titulaire de la chaire industrielle de confiance numérique de l’Université d’Auvergne. Au même moment, j’ai intégré le LIMOS en tant que chercheur. Depuis 2016, je suis maître de conférences à l’Université Clermont Auvergne.

Vous avez annoncé la sortie, le 16 février 2022, d’un nouveau livre que vous avez coécrit “Les NFT en 40 questions”. Vous avez plusieurs ouvrages à votre actif. Qu’est-ce qui vous a amené à partager vos connaissances ?

Personnellement, je suis convaincu que la blockchain est une révolution au même titre que l’imprimerie, l’électricité et Internet. Ce sont des découvertes qui ont changé nos modes de vie, de travail et de communication.

En 2020, nous avons réalisé la seconde édition de l’ouvrage “architectures de sécurité pour Internet”. Ce sujet est au cœur de mes travaux de recherches et je voulais pouvoir partager mes connaissances. L’éditeur DUNOD, nous a contactés pour nous proposer d’écrire un livre sur les blockchains.

En 2019, nous avons donc fait un travail de vulgarisation autour de 50 questions essentielles pour appréhender cette nouvelle technologie. En 2022, nous avons suivi une démarche similaire pour expliquer au grand public les NFT et leurs usages possibles et futurs.

Vous travaillez aujourd’hui sur l’application des technologies blockchain. Quels sont vos axes de recherche ?

Pascal Lafourcade : La blockchain offre un nombre illimité de possibilités d’application. Par exemple, nous avons proposé des systèmes de vote basés sur la blockchain ou de vente aux enchères.

La force de la blockchain vient de son fonctionnement décentralisé. Il permet une traçabilité et une transparence. Avec la blockchain, on entre dans une nouvelle ère, ce qui est une véritable une révolution. Nous en sommes encore aux balbutiements, mais de nombreux chercheurs travaillent partout dans le monde pour améliorer ses performances et inventer des nouveaux usages.

Aujourd’hui, les cryptomonnaies sont basées sur la blockchain et sont critiquées pour leur impact environnemental en termes de consommation énergétique.

En effet, aujourd’hui, la blockchain fait l’objet de nombreuses critiques à ce sujet. Pour assurer la sécurité des transactions dans les blockchains, on utilise principalement la preuve de travail. L’ordinateur doit résoudre un calcul complexe, ce qui entraîne une forte consommation d’énergie. Néanmoins, il existe déjà d’autres alternatives et des chercheurs essayent de trouver des solutions pour rendre la blockchain moins énergivore.

C’est ce que vous êtes également en train de faire avec votre équipe ?

Oui, il existe de multiples nouvelles voies à explorer. Actuellement, je travaille avec une équipe de doctorants sur une “preuve de comportement”.
Imaginez que vous puissiez être rémunéré en fonction de vos comportements vertueux. Par exemple, nous réfléchissons à une manière de valoriser les individus qui favorisent les mobilités douces et actives. Grâce au suivi de leurs déplacements, on pourrait imaginer une forme de rétribution en cryptomonnaie. Bien entendu, il reste du chemin à parcourir et des questions de recherche sont encore à résoudre. 

Pour autant, grâce à cette technologie, il est aujourd’hui possible d’imaginer ce type de projet. C’est une approche qui récompense les bons comportements plutôt que de sanctionner les mauvais. Cela permettra de changer profondément les attitudes des gens afin de respecter la planète.

Vous mentionnez le terme “projet”. En effet, lorsque l’on commence à s’informer sur la blockchain et la cryptomonnaie, on entend beaucoup parler de “livre blanc” ou de “white paper”.

Pascal Lafourcade : En effet, le white paper décrit l’objectif général du projet. Il détaille souvent les moyens utilisés pour parvenir à sa mise en œuvre. Le white paper du Bitcoin est le papier fondateur de cette révolution et a permis d’expliquer le fonctionnement de cette nouvelle technologie accompagné de codes informatiques open source. 

Basé sur le concept sous-jacent de Blockchain de nombreux projets ont vu le jour. Par exemple, début 2022, on a beaucoup entendu parler de la start-up française Sorare qui a effectué une des plus grosses levées de fonds jamais enregistrée dans la Frenchtech. On peut résumer ce projet par des cartes Panini virtuelles à collectionner sous forme de NFT…

Ce qui guide les évolutions sur Internet, ce sont les usages. Par exemple, prenons l’exemple de la plateforme de streaming Deezer, qui aurait pu penser, il y a une dizaine d’années, que les utilisateurs seraient prêts à troquer une collection de CD contre un abonnement. Des projets vont émerger, certains vont trouver leur public, et d’autres, non. Les solutions qui répondront à un besoin se développeront tandis que les autres disparaîtront, seul l’avenir nous le dira.

Vous êtes intervenu dans le cadre du projet européen Block4Coop a destination des PME Industrielles. Comment est-ce que l’on sensibilise le tissu économique à une technologie encore naissante et mouvante ?

Avant tout, il faut écouter leurs besoins. Tous les problèmes ne vont pas être résolus grâce à la blockchain. Néanmoins, la blockchain offre de nouvelles perspectives dans certains cas. Comme l’écosystème français est encore en construction, il est important de connaître les acteurs en capacité d’intégrer cette technologie. Ensuite, il s’agit de mettre en relation et de soutenir les initiatives. Ces case studies serviront de preuve par l’exemple pour diffuser plus largement cette technologie dans le monde industriel.

Faisons un voyage dans le futur …Pascal Lafourcade, à quoi ressemblerait un monde où la blockchain et le Web 3.0 se déploient largement ?

Pascal Lafourcade : Déjà, il y aura beaucoup moins de papiers. Toutes vos données seront dans la blockchain, vous ne pourrez pas perdre votre titre de propriété si votre maison brûle. Ce serait aussi la création d’une identité numérique inviolable et infalsifiable pour chaque citoyen. Aujourd’hui, les gens sont méfiants, car ils savent que leurs données personnelles peuvent être utilisées à des fins commerciales ou de contrôle. Avec la blockchain, vous serez le propriétaire de vos données personnelles et pourrez les contrôler en toute simplicité.

Ce serait également l’avènement des communautés. Derrière chaque crypto ou NFT, il y a un ensemble d’individus qui se retrouvent autour d’un projet. Toutes ces technologies permettraient, par exemple, d’avoir une diversité monétaire, et pourquoi pas des monnaies spécifiques. Aujourd’hui, on a des chèques vacances qui ne sont utilisables que sous certaines conditions.
On pourrait très bien imaginer la même chose avec des cryptomonnaies dédiées à certains domaines. Un des projets qui m’anime, et qui verra le jour je l’espère dans un futur proche, est de proposer une cryptomonnaie locale qui repose sur la géolocalisation des transactions. Ainsi on pourrait dire que la monnaie de Clermont-Ferrand perd automatiquement 20% de sa valeur si elle est utilisée à Lyon, favorisant ainsi l’utilisation de cette monnaie dans l’économie locale. 

Les possibilités d’application de cette révolution sont multiples. Par exemple, suite à l’incendie de Notre-Dame de Paris, des fonds ont afflué pour sa reconstruction. On aurait pu éditer des NFT Notre-Dame que tout le monde aurait pu acheter et qui aurait permis de financer les travaux. Dans ce cas-là, le NFT aurait été un titre de propriété infalsifiable, il prouverait que vous êtes propriétaire d’une des pierres de la nouvelle cathédrale.

On comprend que la blockchain ouvre le champ des possibles. Quel est pour vous le plus grand risque ? 

D’une manière générale, les usagers n’ont pas une bonne hygiène informatique en termes de stockage des informations importantes et confidentielles. Avec la blockchain, tout repose sur une clé secrète. Si d’une manière ou d’une autre, vous perdez votre clé, il ne vous restera que vos yeux pour pleurer. Il y a de nombreuses anecdotes autour des clefs de portefeuille contenant des cryptomonnaies. Aujourd’hui, le plus gros risque de perdre ses Bitcoins ce n’est pas la blockchain, mais l’utilisateur qui n’est pas précautionneux.

Dans la tête de Pascal Lafourcade

Ta définition de l’innovation : Quelque chose qui change le quotidien de tout le monde.

Une belle idée de start-up : une plateforme de jeu de cartes en ligne distribuée.

La start-up qui monte : Ledger

Où est-ce que tu vas à la pêche à l’info : En conférences.

Une recommandation pour s’instruire (livre, podcast, magazine, série) : NoLimitSecu un excellent podcast sur la sécurité informatique et sinon “25 énigmes ludiques pour s’initier à la cryptographie” – Pascal Lafourcade, Malika More.

Une recommandation pour rire (livre, podcast, magazine, série) : La bible du contrepet : Une bible qui compte pour décaler les sons par Joël Martin.

Une femme qui t’inspire/experte : Shafi Goldwasser (Cryptographe, Prix Turing)

L’Auvergnat.e d’ici ou d’ailleurs avec qui tu aimerais bien boire un coup : Korben car c’est toujours un plaisir que de discuter avec lui.

Pour le contacter : 

sancy.iut-clermont.uca.fr/~lafourcade/  

pascal.lafourcade@uca.fr

Twitter : Pascalafourcade

Linkedin : linkedin.com/in/pascal-lafourcade-bb19863

À propos de Pauline Rivière

Pauline Rivière est journaliste et rédactrice en chef du média en ligne le Connecteur. Elle est en charge du choix des dossiers spéciaux mensuels. Elle développe également des outils de datavisualisation à destination de l'écosystème de l'innovation et s'intéresse à l'innovation éditoriale. Avec sa société SmartVideo Academy, elle anime différentes formations à la réalisation de vidéos (au smartphone notamment) et à l’écriture audiovisuelle. Elle intervient également dans l'Enseignement Supérieur dans le cadre de projets pédagogiques digitaux, mêlant techniques de communication et sujets d'innovation.