« La mobilité durable ce n’est pas qu’une histoire de véhicules », Rémi Berger, CARA

« La mobilité durable ce n’est pas qu’une histoire de véhicules », Rémi Berger, CARA

Le secteur des mobilités fait face à une transformation radicale. Afin de relever les défis économiques, environnementaux et sociétaux à venir, la filière doit sans cesse innover. Ergonomie, motorisation, systèmes de transports ou encore sciences humaines, les entreprises du territoire travaillent sur une multitude de sujets.
Rémi Berger est le Directeur Innovation du pôle de compétitivité et cluster CARA. Il partage avec nous les défis et les opportunités à saisir pour que la mobilité durable soit au service de toutes et tous.

Avant d’évoquer les enjeux pour la filière des mobilités en Auvergne-Rhône-Alpes, racontez-nous votre parcours. Vous êtes basé à Lyon, mais vos racines sont auvergnates.

Rémi Berger, Directeur Innovation CARA : Je suis né à Issoire et j’ai grandi à Solignat Lembron, une commune rurale du Puy-de-Dôme jusqu’à mes 12 ans. J’ai été confronté très tôt aux problématiques des mobilités rurales. Mes parents travaillant alors sur Clermont et moi faisant du football 3 à 4 fois par semaine, cela nous a amené à déménager sur Issoire.
Après mon bac, je suis parti à Paris puis Poitiers où j’ai intégré une école d’ingénieurs en mécanique et aérotechnique, spécialisée dans l’aéronautique et dans l’automobile. Après un premier stage chez PSA, devenue Stellantis, j’ai fait une thèse CIFRE en aérodynamique pour PSA dans un laboratoire à Bruxelles.

En revenant à Paris, je suis devenu ingénieur de recherche chez PSA. J’ai évolué en responsable d’équipe, puis responsable d’entité de recherche. À un moment, j’ai voulu quitter la région parisienne, pour revenir dans un milieu plus humain.
Toujours chez PSA, je suis devenu responsable d’un OpenLab à Lyon. Ce sont des laboratoires qui développent des relations privilégiées entre le groupe, les organismes de recherche et les universités. L’Open Lab de Lyon était spécialisé en vibro acoustique et tribologie. Nous avions pour mission de monter des projets collaboratifs innovants avec les acteurs présents sur le territoire.

En 2015, le Directeur Général de CARA m’a proposé d’intégrer l’équipe pour devenir Directeur Innovation. Je pouvais continuer d’animer des écosystèmes et des projets collaboratifs, mais sur un territoire et des thématiques beaucoup plus larges que ceux de l’Open Lab.

Aujourd’hui, CARA Auvergne-Rhône-Alpes est à la fois un pôle et un cluster. Pourquoi cette spécificité ?

À l’origine, l’association LUTB-RAAC, devenue CARA Auvergne-Rhône-Alpes est issue de deux initiatives distinctes. En 2005, se crée, d’une part, le pôle de compétitivité Lyon Urban Truck and Bus et, d’autre part le Rhône Alpes Automotive Cluster.
Lyon Urban Truck and Bus est devenu LUTB – Transport mobility system en 2014. Il avait pour vocation de porter des actions d’innovations collaboratives autour du système de transport de personnes et de marchandises en milieu urbain. Tandis que Rhône-Alpes Automotive Cluster était spécialisé dans le développement économique des entreprises de la filière automobile.

Les deux écosystèmes étant très proches, il a rapidement été décidé de les rassembler dans une même structure juridique tout en gardant un fonctionnement et une gouvernance distincts. Cette convergence s’est faite à travers de l’association LUTB-RAAC.
Avec la fusion des régions en 2017, l’association a fusionné avec le cluster auvergnat AUTOMAC. À la suite de cette fusion, pour simplifier la communication, l’association est devenue CARA. Cette nouvelle structure a gardé ses labels de pôle de compétitivité et cluster automotive (véhicules légers et véhicules industriels).

Aujourd’hui, CARA Auvergne-Rhône-Alpes articule son action autour de six filières industrielles de véhicules.

Pouvez-vous nous présenter brièvement les missions de CARA Auvergne-Rhône-Alpes ?

Rémi Berger : Nous avons trois filières historiques, la voiture, le camion et le bus. Début 2021, nous avons intégré le ferroviaire (train, tram, métro). À l’heure actuelle, CARA est en cours de fusion avec MAD, un cluster dédié aux mobilités actives et durables.

Nous travaillons également sur deux autres filières : le transport aérien guidé que l’on appelle plus communément le transport par câble qui aborde les solutions de téléphériques urbains notamment. Ce type de transport de personnes a de vrais avantages dans certaines situations.

Par exemple, le téléphérique de Grenoble traverse la ville d’Est en Ouest. Il enjambe deux rivières, la voie de chemins de fer, des lignes hautes tensions, une route nationale et une autoroute. Le débit est identique à celui du tramway, et ce, sans construction d’infrastructures lourdes. Dès qu’il y a du relief et de l’enjambement, c’est vraiment une option intéressante.

Et enfin, la filière du transport fluvial qui aujourd’hui utilise principalement des moteurs diesel. Pour améliorer son bilan écologique à la tonne transportée, déjà intéressant, elle s’oriente vers de nouvelles solutions de motorisation plus vertueuses. Elles permettent de compenser les inconvénients en termes de vitesse et de dépendance à la navigabilité du réseau en périodes de crue. 

Vous êtes le Monsieur Innovation au sein d’une équipe de 20 personnes. Comment fait-on émerger l’innovation dans des domaines aussi larges que variés ? 

Mon rôle est d’animer des communautés d’experts. Nous avons cinq programmes de recherches qui nous permettent de décomposer l’écosystème par thématique technique peu importe la filière véhicule regardée.
Tout d’abord, ce que l’on appelle “l’architecture véhicule” : comment rendre le véhicule le plus efficace possible en dehors de sa motorisation ? On parle ici par exemple d’ergonomie, de confort, d’aérodynamique, d’allègement, de pneumatique… 

Ensuite, le second programme de recherche se concentre sur la motorisation : du stockage de l’énergie à bord jusqu’à sa conversion et son usage pour mouvoir le véhicule. 

Nous avons également un programme autour des systèmes de transport et de l’intelligence. Il se concentre sur tous les aspects de la multimodalité et de l’intermodalité par exemple. On parle de connectivité, de capteurs, de l’utilisation de la donnée, etc. C’est également à travers ce programme que l’on aborde en très grande partie le sujet des véhicules autonomes et connectés.

Le quatrième programme concerne les usages et la gouvernance. Il rassemble les sciences humaines, économiques, sociales et politiques. On y aborde des sujets de recherche sur l’acceptabilité, la sociologie, les modèles économiques du transport…

Enfin, nous travaillons sur le volet de la sécurité et de la sûreté, qu’elle concerne les biens physiques (véhicules, passager) ou les aspects numériques. (sûreté de fonctionnement , cybersécurité…)
Du côté cluster, nous avons développé trois programmes industriels, la performance globale, le développement économique des entreprises, et l’emploi et les compétences qui permettent d’accompagner la croissance de nos membres.

Quels sont les enjeux stratégiques de CARA pour les années à venir ? 

Rémi Berger : En résumé, notre feuille de route est composée de 4 thématiques stratégiques. Tout d’abord, la transition énergétique pour les véhicules et la mobilité en général. Avec les réglementations à venir, c’est un enjeu majeur que nous devons relever collectivement.
Enfin, les trois autres axes sont la logistique urbaine et du dernier kilomètre, le véhicule autonome et connecté et enfin, la mobilité servicielle et l’usage des données pour la mobilité.

Vous n’êtes pas une association de lobbying, vous avez un devoir de neutralité. Pourtant, vous pouvez tout de même conseiller les acteurs du territoire pour les accompagner dans leur propre transition ? 

En effet, nous pouvons conseiller les industriels et les collectivités sur leurs besoins de système de transports. Notre approche neutre, technologiquement, nous permet de présenter les avantages et les inconvénients de chaque solution. Ensuite, c’est à la collectivité ou à l’industriel de décider.
Ainsi, notre rôle est d’éclairer les choix et d’accompagner leur mise en œuvre au travers de services pour nos adhérents. Nous les aidons à structurer leurs innovations pour qu’elles répondent aux questionnements sociétaux, techniques et économiques. 

Aujourd’hui, l’innovation dans la mobilité suscite des réactions négatives. On a parfois du mal à visualiser les bénéfices des nouvelles énergies comme l’hydrogène par exemple. 

Rémi Berger : Le processus d’innovation est complexe et long. Une chose est sûre, pour pouvoir innover, il faut expérimenter. L’expérimentation sert à valider ou à infirmer des questionnements, incertitudes sur des concepts nouveaux. Pour ces raisons, c’est par ces essais, ces expérimentations que l’on peut amener des arguments pour convaincre de l’apport réel des innovations.

Pour l’hydrogène, nous arrivons aujourd’hui au début de la démarche industrielle de masse. On est à la frontière entre la phase d’expérimentation et la phase de montée en puissance. C’est une technologie avec beaucoup d’atouts, qui monte en puissance, mais complexe à évaluer. Elle doit être abordée depuis sa production, en passant par son transport et sa distribution et son usage assurer des gains pour l’environnement.

C’est l’instant carte blanche, quelque chose à ajouter ?

Rémi Berger : Dans le débat sur les mobilités durables, il est urgent de prendre en compte une pluralité de points de vue. Nous devons avoir une approche systémique des problématiques. La mobilité ce n’est pas qu’une histoire de véhicules. Ce sont des infrastructures, des énergies, des enjeux économiques et sociétaux.
Dès que l’on veut modifier quelque chose dans le transport ou la mobilité, on se retrouve très vite face à un problème économique et social. Rappelez-vous des gilets jaunes.

Un des enjeux majeurs pour la mobilité durable est de la rendre inclusive et accessible. Aujourd’hui, certains choix sont perçus comme au détriment d’une partie de la population. Par exemple, les ZFE se développent autour d’une mobilité qui peut être perçue comme exclusive, dans le sens où elle restreint l’accès aux centres urbains pour une catégorie de la population. Nous devons parvenir à combiner enjeux écologiques et enjeux sociétaux. C’est pour cela, que plus que jamais, nous avons besoin d’innover et d’expérimenter.

Dans la tête de Rémi Berger

Ta définition de l’innovation :  Faire des freins d’aujourd’hui les opportunités de demain en stimulant et catalysant l’intelligence collective.

Une belle idée de start-upZéphyr & Borée qui tend à redonner ses lettres de gloire au transport maritime de fret à voile

La start-up qui monte : Dur d’en mettre une. Verkor , Easymile qui ont fait de très grosses levées de fonds en 2021 , ou Hopium, la Tesla française à hydrogène

Où est-ce que tu vas à la pêche à l’info : directement auprès des adhérents du réseau CARA. C’est une véritable mine d’or d’expertises et de talents au plus proche des réalités de terrain.

Une recommandation pour s’instruire (livre, podcast, magazine, série) : je n’ai pas une source unique vu l’étendue de nos sujets. Historiquement, je consulte le site Techniques de l’ingénieur.

Une recommandation pour rire (livre, podcast, magazine, série) : un bon one man show , je suis assez bon public !

une femme qui t’inspire/experteClaudie Haigneré

L’Auvergnat.e d’ici ou d’ailleurs avec qui tu aimerais bien boire un coup : Jean Todt

À propos de Pauline Rivière

Pauline Rivière est journaliste et rédactrice en chef du média en ligne le Connecteur. Elle est en charge du choix des dossiers spéciaux mensuels. Elle développe également des outils de datavisualisation à destination de l'écosystème de l'innovation et s'intéresse à l'innovation éditoriale. Avec sa société SmartVideo Academy, elle anime différentes formations à la réalisation de vidéos (au smartphone notamment) et à l’écriture audiovisuelle. Elle intervient également dans l'Enseignement Supérieur dans le cadre de projets pédagogiques digitaux, mêlant techniques de communication et sujets d'innovation.