Le Hip-Hop a-t-il perdu son âme ? Quand la culture rencontre le business

Le Hip-Hop a-t-il perdu son âme ? Quand la culture rencontre le business

Né dans un petit village de Normandie, Somy Duc, alias Pierre Mendy, a grandi au rythme de la soul, du funk et du rock, avant de tomber amoureux du hip-hop dans les années 80. A travers son parcours, c’est l’émergence de cette culture en France qu’il raconte. Quelle place pour le Hip-hop dans le monde de demain ?

Votre parcours est lié à l’arrivée du Hip-Hop en France. A travers votre histoire, c’est l’émergence de cette culture que vous racontez…

Je suis né dans un petit village de Normandie où nous étions la seule famille noire. À sept ans, j’ai déménagé en région parisienne, dans les Yvelines à Ecquevilly-Les Mureaux. J’ai été plongé dans un monde complètement différent, celui des quartiers où j’ai rencontré beaucoup de personnes de mon ethnie. À titre d’exemple, il y avait 27 familles Mendy dans la commune.

Mon enfance et mon adolescence ont été baignées par la musique africaine lors des fêtes de famille, par le rock et le disco dans les années 70, puis la soul et la funk à partir de 1980.

Au milieu des années 80, je suis tombée sur l’émission télé “H.I.P. H.O.P”. Ça a été une révélation pour moi. C’était la première fois où l’on voyait à l’écran des jeunes qui nous ressemblaient. Ils avaient un look auquel on pouvait s’identifier. Ils dansaient, ils tournaient sur la tête, c’était les débuts du rap, mais je ne le savais pas encore. C’est là que je suis devenu fou de danse !

A quoi ressemblent les débuts du Hip-hop en France ?

Un danseur lyonnais qui faisait partie des précurseurs du mouvement en France s’est installé dans ma ville et nous sommes devenus amis. Il connaissait tout le milieu underground parisien et me racontait toutes les soirées qui s’y déroulaient. Ça bouillonnait dans la capitale.

En 1982, Europe 1 organise le “New York City Rap Tour. C’est une tournée mondiale qui présentait pour la toute première fois toute la culture Hip-Hop : des graffiti-artists, des DJ qui scratchaient, des breakers et des rappeurs. Pour moi, c’est ce qui marque le début d’une vraie reconnaissance du Hip-Hop en France.

A partir de ce moment-là, il y a une vraie effervescence. Dans les quartiers, tous les jeunes se mettent à danser. A partir de 1986, avec le développement des transports en commun, on peut se retrouver sur le parvis de Châtelet les Halles pour s’entraîner.

C’est Radio Nova avec DJ Deenasty qui invite les premiers rappeurs français sur les ondes. A ce moment-là, ces rappeurs n’ont pas de disques, ils se produisent sur des petites scènes live. C’est sur Radio Nova par exemple que l’on entend pour la première fois Mc Solaar, NTM etc.

Dans les années 80, vous êtes un jeune adulte et vous êtes passionné par cette nouvelle scène Hip-hop, cela se traduit comment ?

Dans les années 80, la France est la deuxième scène Hip-hop dans le monde après les Etats-Unis. De mon côté, je fais un C.a.p. Arts Graphiques et, après les études, avec une bande de potes, nous montons un fanzine Hip-hop “Keep it real”. On le fabrique de A à Z, puisque grâce à notre formation, nous avons tous les corps de métiers nécessaires pour le faire.

Nous commençons à faire des entretiens de rappeurs, danseurs et graffeurs. Un peu plus tard, je m’achète ma première caméra et je commence à filmer mes interviews. C’est vraiment une époque géniale, on a accès à tous les DJ, graffeurs, rappeurs et danseurs de l’époque.

Vous continuez à vous faire votre place dans cette culture hip-hop ?

Oui, à cette époque, j’habitais à Colombes et je découvre le talent de mes petites cousines. On crée un groupe “les funky ladies”, elles commencent à tourner dans de nombreux événements hip-hop en Europe. Des danseurs viennent dans le quartier pour leur donner des cours de danse. On fait ça pendant quelques années.

Ensuite, je deviens animateur dans une radio associative et pendant un temps, je vais même avoir ma propre émission sur une chaîne de télé pirate, juste avant les débuts de la TNT.

Aujourd’hui, vous proposez des conférences sur l’histoire du Hip-Hop. Pourquoi ce choix ?

Un jour, j’assiste à une conférence du musicien et conférencier Belkacem Meziane sur l’histoire de la soul et de la funk. C’est à ce moment que je me dis que je veux faire la même chose pour le Hip-Hop.

Comme il n’existe pas beaucoup d’ouvrages de référence en France, je dois apprendre l’anglais pour pouvoir avoir accès à toutes les ressources américaines disponibles. Je fais des allers-retours à New-York et je parcours des dizaines de forums anglo-saxons dédiés au Hip-hop.

En 2011, j’organise ma première conférence dans un bar du 18e à Paris. C’est une vraie réussite, les gens se pressent pour l’écouter. A partir de ce moment-là, on commence à me solliciter pour faire des interventions et des conférences dans des médiathèques, à l’Université ou dans des formations de danseurs.

Comment est-ce que vous arrivez à Clermont-Ferrand ?

Avec mon épouse, après le confinement, nous avons décidé de nous rapprocher de ses parents qui vivent en Auvergne. On avait envie d’un nouveau cadre de vie. Depuis notre arrivée en 2021, je continue de donner des cours tous les mardis à Cergy, j’ai commencé à écrire un livre sur le rap, j’anime des tables rondes et je propose des conférences sur l’histoire du Hip-hop.

Qu’est-ce que vous pensez du mouvement hip-hop actuel ?

Je pense qu’il faut distinguer la culture hip-hop underground, qui existe toujours, et le business qui a découlé de ce mouvement. On l’a atomisé. On trouve le streetwear, le rap, la danse, le graff. Ce sont devenus des produits mainstream commerciaux. Personnellement, je pense qu’on a perdu le sens de ce mouvement.

Par ailleurs, quand j’entends des politiques s’offusquer des paroles de certains rappeurs, je voudrais leur rappeler que ce sont les maisons de disques et les radios, qui décident de mettre en avant ou non un rappeur. Ce sont eux qui font la pluie et le beau temps. Aujourd’hui, ils choisissent les artistes, non pas en fonction de leurs talents, mais dans leur capacité à générer de l’argent. On est vraiment dans le show-business qui est très loin de la culture hip-hop et de son éthique.

Que pensez-vous de l’arrivée du break aux JO ?

Il y a deux écoles. Certains danseurs pensent que c’est de la récupération, d’autres que c’est une reconnaissance. Pour ma part, j’y vois un risque de dénaturer ce qu’est le break au commencement. Au départ, c’est une danse basée sur des beats. Le côté athlétique, comme les sauts ou les acrobaties, c’est la cerise sur le gâteau. Le public qui va assister aux compétitions des JO, n’est pas forcément un public de connaisseurs. Ils vont rechercher la performance et l’effet WOW. Est-ce qu’un athlète est encore un danseur ? Je ne sais pas … Le plus important pour moi est de savoir quel sera le bénéfice pour notre culture.

Quelle est la tendance actuelle du monde du Hip-hop?

En ce moment, ce sont les battles de “Rap contenders”. C’est un véritable phénomène. Il y en a de partout et tout le monde peut y participer. C’est une sorte de tremplin hyper influent, car les vidéos font des centaines de millions de vues sur Youtube.

Le problème, c’est que souvent, on va chercher la facilité dans la battle. On retrouve plein de rimes racistes, on perd la diction du rap. Ça ressemble de plus en plus à un rap d’orateurs. Mais ça a un succès fou. Finalement, ces rappeurs deviennent des influenceurs qui ont leur communauté de fans. C’est un courant sociétal que l’on retrouve dans de nombreux domaines. 

Pour vous quelles sont les valeurs du Hip-hop ?

De nombreuses personnes ont une image négative du Hip-hop. Avec mes conférences, j’essaye de faire passer le message que le Hip-hop est une culture d’ouverture. C’est grâce au Hip-hop que je me suis mis à parler anglais, à écouter d’autres types de musique, à rencontrer des personnes du monde entier.

Ça m’a permis de m’ouvrir aux autres, d’être curieux de ce qui se fait ailleurs et de ce qui se fait différemment.  En effet, une fois que l’on comprend les origines du hip-hop, on découvre qu’il s’inspire de nombreux courants musicaux différents. On est hyper écolos dans le Hip-hop, on a l’art du recyclage.

Quand j’entends parler de rappeurs d’extrême droite, pour moi, c’est antinomique. C’est un non-sens. Connaître l’histoire du hip-hop, c’est se souvenir que les origines du rap sont afro-américaines. Que le rap a permis l’émancipation et la reconnaissance d’une partie de la population que j’appelle les sans voix. Être raciste et rappeur est pour moi un véritable paradoxe.

C’est l’instant carte blanche, quelque chose à ajouter ?

Aujourd’hui, on entend beaucoup de critiques sur le niveau du rap d’une manière générale. Sur les paroles qui prônent, le sexe, la violence et la drogue. Ça n’a pas toujours été le cas, mais il est vrai que l’on a vu une évolution que j’appelle la seconde vague. Les producteurs ont commencé à s’intéresser aux rappeurs américains des Etats du Sud. Je vais peut-être paraître un peu dur, mais il y en a beaucoup qui manquent de culture et d’éducation et ça se retrouve dans leurs textes. Ils répètent des messages entendus, sans vraiment les comprendre. Ils n’ont pas de bases solides pour pouvoir proposer des textes intéressants et tristement, il y a un public pour ce genre de musique.

Pourtant, il existe une autre scène rap avec des artistes de talent qui ont conscience des problèmes politiques et sociaux, qui parlent de choses profondes et importantes. Je vous recommande de découvrir les textes de Kenny Arkana, de Casey ou de “A tribe called quest” pour ceux qui sont plutôt jazzy. Peut-être que ces artistes pourront vous réconcilier avec le Hip-Hop !

À propos de Pauline Rivière

Pauline Rivière est journaliste et rédactrice en chef du média en ligne le Connecteur. Elle est en charge du choix des dossiers spéciaux mensuels. Elle développe également des outils de datavisualisation à destination de l'écosystème de l'innovation et s'intéresse à l'innovation éditoriale. Avec sa société SmartVideo Academy, elle anime différentes formations à la réalisation de vidéos (au smartphone notamment) et à l’écriture audiovisuelle. Elle intervient également dans l'Enseignement Supérieur dans le cadre de projets pédagogiques digitaux, mêlant techniques de communication et sujets d'innovation.