Le storytelling au secours de la politique ? Le cas du PAT du Grand Clermont

Le storytelling au secours de la politique ? Le cas du PAT du Grand Clermont

Aujourd’hui, plus que jamais, les politiques doivent proposer de nouveaux récits. Les réglementations ne sont pas suffisantes pour faire adhérer la population.
Le Projet Alimentaire Territorial, le PAT porté par le Grand Clermont, propose une réflexion prospective sur l’avenir de nos territoires. En associant les différents parties prenantes, le PAT cherche à insuffler un élan pour porter le changement.

Jean-Pierre Buche, vous avez un parcours riche et varié. Racontez-nous un peu…

Je suis paysan de métier, à la retraite depuis un an. J’ai fait des études agricoles au lycée de Marmilhat dans le Puy-de-Dôme et j’ai décroché un diplôme de technicien supérieur. Pendant toute ma carrière, j’ai travaillé en grandes cultures en conventionnel.

En 2001, j’ai eu un infléchissement lorsque j’ai été élu maire de Pérignat-sur-Allier. Ce mandat, c’était un peu la suite logique d’un long investissement associatif.
À partir de 2004, je me suis investi dans le Grand Clermont en participant activement à l’élaboration du SCoT , le schéma de cohérence territorial. En 2008, j’ai été élu vice-président chargé de ce dossier qui a abouti début 2012.

J’ai également été élu au Conseil Général (devenu Conseil Départemental depuis). Avec ce mandat, on découvre d’autres sphères et le fonctionnement d’une machine plus lourde, mais avec une ingénierie plus conséquente. J’ai arrêté en 2014, pour raison de santé et c’est ma suppléante qui a pris le relais. D’ailleurs, je revendique que le rôle d’un ou d’une suppléante ne doit pas se limiter à être le plan de secours. Je l’ai associé à toutes les réflexions et au travail que j’effectuais. Nous étions réellement un binôme.

Tout le monde ne connaît pas le périmètre d’action du Grand Clermont. Certains diront, “Encore un échelon dans le millefeuille administratif !”. Pouvez-vous nous l’expliquer en quelques mots ?

Je ne suis pas d’accord avec l’idée qu’il y aurait trop d’élus. Au contraire, je pense qu’il n’y en a pas assez. Je suis persuadé de deux choses : qu’il faut plus d’élus et plus d’implication citoyenne.

Pour résumer les différents échelons, il y a les communes, les communautés de communes, et les pôles intermédiaires d’équilibre territorial et rural. Le Grand Clermont, c’est ce dernier échelon.
Il réunit Billom Communauté, Clermont Auvergne Métropole, Riom Limagne et Volcans et Mond’Arverne Communauté. Cela représente environ 450 000 habitants. Le Grand Clermont n’a pas de maîtrise d’ouvrage, nous n’allons pas faire construire une route. C’est un espace réunissant les élus qui décident des grandes orientations qui vont être déclinées dans les EPCI. C’est un lieu de réflexion sur les politiques générales.

Quand avez-vous commencé à vous intéresser aux circuits-courts et à l’alimentation durable ?

En 2014, dans le cadre du SCOT, nous avons commencé à réfléchir sur le lien entre circuits courts et dérèglement climatique. Nous nous sommes interrogés sur le changement qu’il fallait opérer dans les politiques du Grand Clermont pour répondre à ce double enjeu. L’appel à projet national “ Projet Alimentaire Territorial” est arrivé à point nommé. En 2020 2017, nous avons répondu, et nous avons été un des 11 territoires sélectionnés pour cette large expérimentation. Je suis l’élu référent de ce programme.

A quoi ça sert un Projet Alimentaire Territorial pour le Grand Clermont ?

L’objectif du PAT, pour faire simple, c’est de raccourcir la distance de la fourche à la fourchette.
Après le Seconde Guerre mondiale, on a demandé aux agriculteurs de tout mettre en œuvre pour nourrir la population. Ils l’ont fait. Aujourd’hui, on doit réinterroger le modèle pour concilier production, qualité alimentaire et respect de l’environnement. La question de notre souveraineté alimentaire est également un sujet pour préparer l’avenir.

Le PAT poursuit l’objectif de recréer un lien de proximité entre les différents territoires et d’imaginer une autre organisation territoriale possible. Faut-il créer une méga structure pour transformer du blé en un seul endroit ou 40 micro-unités de transformation maillées sur tout le territoire ?

Avec le PAT du Grand Clermont, il y a une volonté affirmée d’associer le citoyen à la démarche. Est-ce que c’est nécessaire ? Ou juste tendance ?

On a complètement oublié le citoyen au profit du consommateur. On a accepté que ses choix soient basés sur des canons du marketing et de la publicité qui nourrissent une image fausse de ce que doit être l’alimentation.

Quand dans un distributeur automatique, on vous propose uniquement des chips ou une barre chocolatée, force est de constater que ce n’est pas mauvais, mais ce n’est pas sain. On a travesti l’alimentation pour la rendre toujours plus désirable.

Nous devons montrer qu’il existe une autre manière de s’alimenter. Que faire son marché, cuisiner en famille, peut être également une forme de plaisir. C’est difficile, car les gens sont pris dans un quotidien compliqué. D’ailleurs, j’aime beaucoup l’initiative portée par l’association Cocooking dans les quartiers Nord de Clermont-Ferrand. Ils proposent à des catégories populaires, de nouvelles façons de concevoir l’alimentation.

D’une manière générale, on dit qu’il y a 5 % de convaincus et 20 % qui se disent “oui, je vais m’y mettre bientôt”. Il reste 75 % de la population peu ou pas du tout sensible au sujet. Comment embarquer une nation entière dans le combat pour une alimentation saine et durable ?

Il faut nécessairement des citoyens précurseurs et influenceurs qui vont mettre en avant des modèles différents. Pour autant, en effet, il faut un investissement significatif pour faire basculer les citoyens vers des réflexions plus profondes.

D’une certaine manière, les dernières crises permettent de nous rendre compte de notre vulnérabilité et de la nécessité de faire évoluer nos modèles. 

Quels sont les outils que vous avez entre vos mains pour associer les citoyens ? 

Il existe de plus en plus de dispositifs de démocratie participative. Néanmoins, pour qu’ils soient efficaces, nous devons bousculer les citoyens. 

Par exemple, dans ma commune, j’ai mis en place une concertation “village en chantier”. Nous avons décidé de casser le goudron sur la place de l’église pour la végétaliser. Cela veut également dire, plus de places de parking. Une partie des administrés était vent debout, pourtant, on parle seulement de marcher 50 mètres de plus.

Les collectivités ont une maîtrise d’ouvrage, et les citoyens une maîtrise d’usage. Ils ont leur expertise sur la manière dont ils vivent leur commune, mais parfois, il est nécessaire de provoquer des ruptures et de montrer comment on peut faire plus vertueux. 

Ces décisions ont un impact sur le quotidien des gens, comment ne pas les crisper ? Comment les embarquer ? 

Je pense que nous élus, nous devons travailler nos récits. Il faut que l’on arrive à raconter nos orientations et qu’elles ne se limitent pas à un plan d’actions en 40 points. C’est d’ailleurs une tendance forte en politique. 

Nous allons devoir changer nos manières de vivre et il faut que l’on puisse expliquer à nos concitoyens vers quoi on se dirige. Il faut rendre le futur souhaitable. On le voit aujourd’hui avec certains types de métiers en tension. Leurs récits ne font plus rêver. 

Notre rôle en tant qu’élu, c’est de fabriquer un élan qui permette de déclencher une aspiration collective. Je crois que l’âge du faire est arrivé. Faire société, faire ensemble, faire mieux avec moins. 

Aujourd’hui, on se retrouve avec une Assemblée Nationale qui n’est pas le reflet réel des aspirations des Français. Cependant, on sent une envie forte et partagée de faire bouger les lignes. Nous appartenons à une communauté de destin, mais elle ne peut exister sans des communautés d’actions. 

Dans la tête de Jean-Pierre Buche

Une belle idée d’innovation : la terre comme matériau de construction

La start-up (ou un projet) qui monte : l’association « La perm » à l’ancien collège de Billom

Où est-ce que tu vas à la pêche à l’info : Thinkerview et dans les deux bars du village

Une recommandation pour s’instruire (livre, podcast, magazine, série) : « Au commencement était… » de David Wengrow et David Graeber

Une recommandation pour rire (livre, podcast, magazine, série) : le tampographe de Sardon

une femme qui t’inspire/experte : Germaine Tillon

L’Auvergnat.e d’ici ou d’ailleurs avec qui tu aimerais bien boire un coup : Laure Adler

À propos de Pauline Rivière

Pauline Rivière est journaliste et rédactrice en chef du média en ligne le Connecteur. Elle est en charge du choix des dossiers spéciaux mensuels. Elle développe également des outils de datavisualisation à destination de l'écosystème de l'innovation et s'intéresse à l'innovation éditoriale. Avec sa société SmartVideo Academy, elle anime différentes formations à la réalisation de vidéos (au smartphone notamment) et à l’écriture audiovisuelle. Elle intervient également dans l'Enseignement Supérieur dans le cadre de projets pédagogiques digitaux, mêlant techniques de communication et sujets d'innovation.