Sophie Rieu est administratrice du théâtre le Pélican à Clermont-Ferrand qui fermera ses portes définitivement à la fin de l’année. Passionnée par les nouvelles formes de théâtre, elle partage sa vision des enjeux à relever. Transversalité et décloisonnement sont les maîtres mots !
Vous avez plus de 20 ans d’expérience dans le domaine culturel. Parlez-nous un peu de votre parcours professionnel passionné…
Je suis née en Auvergne. J’ai fait une partie de mes études en Auvergne. Une classe préparatoire de mathématiques avant de commencer à faire du théâtre à 19 ans à Clermont-Ferrand au Valet de cœur. C’est là que je me suis rendu compte que ça m’intéressait plus que le métier d’ingénieur et j’ai bifurqué. A l’époque, il y a 25 ans, on trouvait très peu d’universités qui proposaient des formations en théâtre. J’ai donc déménagé à Strasbourg pour me former sur l’esthétique à l’Université et en pratique au TJP (Centre dramatique national). Comme j’étais plutôt d’un naturel réservé, j’ai d’abord préféré la mise en scène au jeu d’acteur. Pour me spécialiser en gestion administrative et financière, j’ai continué avec une école de commerce en management culturel à Dijon.
Ma vie professionnelle a débuté à la Fnac Forum à Paris en 99, la plus grande. J’ai été recrutée pour mettre en place ces événements pour célébrer les 20 ans de l’enseigne. J’ai ensuite fait un passage aux Biennales de Lyon dans les années 2000, où les deux biennales de danse et d’art contemporain avaient lieu simultanément. Après d’autres expériences professionnelles sur Lyon pendant une quinzaine d’années, j’ai migré à Marseille en 2018. J’ai pris un poste d’administratrice pour le Festival Actoral dédié aux formes d’écriture très contemporaines.
A quel moment, choisissez-vous de rentrer en Auvergne ?
A un moment, j’ai eu envie de revenir aux sources et de faire profiter de mes compétences. Le théâtre du Pélican recherchait un administrateur et j’ai saisi l’opportunité. Par ailleurs, comme la recherche dans le théâtre m’intéressait beaucoup, j’avais repris une thèse en Arts du spectacle depuis un peu plus de 10 ans. Aujourd’hui, je suis également docteure en arts du spectacle ; spécialisée dans le théâtre d’avant-garde et contemporain.
Après une longue histoire, le théâtre du Pélican va fermer ses portes définitivement en fin d’année. Est-ce que vous pouvez nous raconter les grandes lignes depuis sa création ?
Le théâtre du Pélican existe depuis une cinquantaine d’années. Depuis ses débuts, les équipes ont toujours travaillé autour du sujet de la jeunesse. Dans les années 80 avec Bruno Castan, directeur artistique. Il montait des pièces en direction des jeunes publics. En 2001, Jean-Claude Gal reprend le flambeau jusqu’en juin 2020. C’est un metteur en scène qui a fait prendre un tournant au théâtre. A partir de 2005, il travaille avec les jeunes au plateau. En d’autres mots, ce ne sont plus forcément des spectacles jeunes publics mais plutôt les jeunes qui jouent dans les spectacles. De nombreuses activités périphériques se sont développées avec la Compagnie du Pélican sur ce volet là.
C’est à ce moment-là que la ville de Clermont-Ferrand fait officiellement du théâtre du Pélican un Centre de Création et d’Education Artistique pour l’Adolescence et la jeunesse.
Le Pelican n’était plus une compagnie classique. La compagnie monte des actions autour de la jeunesse, mais également des projets européens et beaucoup d’actions périphériques (résidences d’auteur, partenariats avec des groupes scolaires et associations socio-éducatives, etc.)
La pandémie a dû mettre un frein à ces activités…Est-ce la raison de la fermeture ?
Le théâtre a dû faire face à une situation compliquée. Le Covid a mis un stop à l’activité et parallèlement à cela, Jean-Claude Gal a fait valoir ses droits à la retraite. Il n’y a pas eu de phase de transition et c’est le contexte dans lequel j’ai été recrutée au printemps 2019.
J’ai tenté de monter un nouveau projet avec l’équipe. En plus d’un projet en direction des jeunes entre 14 et 25 ans, j’ai voulu intégrer la dimension recherche et j’ai fait le choix d’inviter des artistes ayant des esthétiques et des signatures singulières. Nous avons adjoint à la gouvernance un comité artistique et scientifique composé d’une vingtaine de personnes bénévoles. Dix personnes des métiers de la culture et de la jeunesse, des chercheurs sur les arts du spectacle, un anthropologue, une psychologue,un chercheur en sciences cognitives, etc.. L’objectif était de réfléchir à des formes de théâtre qui pourrait intéresser les jeunes, et notamment ceux qui en sont très éloignés.
Pour donner envie à un jeune de s’investir en tant que comédien dans une pièce pendant 12 mois, il faut que la proposition théâtrale soit attractive. C’était tout l’enjeu de ce comité.
En effet, le théâtre ne touche qu’un petit pourcentage de la population. Quelles étaient les premières pistes que vous avez identifiées ?
Je voulais sortir de l’image d’Epinal de la pièce de théâtre classique, déclamée par un acteur costumé. Il existe de nouvelles vagues, avec des formes de théâtre très modernes et avant-gardistes. Je voulais pouvoir proposer cette offre alternative aux jeunes Clermontois qui disposent d’une offre bien plus restreinte que les jeunes lyonnais, parisiens, marseillais, etc.
Aujourd’hui, le théâtre est devenu transdisciplinaire, on mixe des mondes comme la danse, les marionnettes, les performers, inclut aussi des non professionnels, etc etc..
L’idée est plutôt bonne. Pourtant, ce sont des raisons économiques qui vous poussent aujourd’hui à fermer les portes du théâtre du Pelican. Que s’est-il passé ?
Il faut remonter dans le temps. Tout d’abord dans les années 80, il y avait bien moins de compagnies théâtrales. C’était un écosystème très restreint. Les compagnies tournaient bien. C’est-à-dire qu’elles vendaient leur spectacle.. Ce qui leur permettait de générer des revenus. Parallèlement, quand une compagnie de théâtre est reconnue par le ministère de la Culture, elle est subventionnée dans le cadre de l’aide à la création.
A partir des années 2000, ça a été de plus en plus compliqué pour le Pélican de faire tourner ses spectacles. En 2010, comme le Pélican n’était plus une compagnie classique, il avait perdu son aide à la création versée par la DRAC qui a été remplacée par une aide dans le cadre de l’Éducation artistique et culturelle. Elle était bien moins importante et ça a fragilisé le modèle économique. Nous étions encore soutenus par la Ville, le Département et la Région.
Quelques années plus tard, la région a diminué de moitié la dotation. Les aides ont baissé, tandis que le nombre de compagnies de théâtre ne cessait de grimper. Quant au soutien de la ville, il est resté identique.
Pourtant, la compagnie continuait de créer des spectacles. Pourquoi les aides ont-elles baissé ?
Il y a un vrai décalage entre le monde du spectacle et le ministère de la Culture, par exemple. Aujourd’hui, le théâtre se fait de plus en plus participatif et inclusif, les spectacles avec des non professionnels au plateau se multiplient. On travaille avec des jeunes, avec des détenus, avec des publics très éloignés de la culture. Pourtant, ces formes de théâtre ne sont pas reconnues. Ils entrent souvent dans la catégorie « amateur », parce que les comédiens sont amateurs, même s’ils sont entourés de professionnels tant dans la mise en scène que sur la partie technique. C’est vraiment dommage, car c’est là que l’on trouve notamment des formes de théâtre innovantes et modernes.
D’ailleurs, on entend parler des difficultés dans le monde de la culture, quels sont les enjeux pour le théâtre ?
Depuis les années Jack Lang, il y a l’objectif de démocratiser la culture. Pourtant, certains secteurs n’ont pas réussi, comme l’opéra ou la musique classique. C’est un public très vieillissant. Le théâtre court le même risque. Déjà, on voit que la moyenne d’âge des spectateurs est en augmentation constante.
On a du mal à attirer les jeunes publics, plutôt tournés vers les propositions numériques. C’est encore plus le cas depuis la pandémie. Il y a un gros travail à faire avec la jeunesse. Aujourd’hui, il existe des propositions qui changent la vision du théâtre, mais elles sont encore trop cantonnées aux publics parisiens ou des très grandes métropoles.
On voit des metteurs en scène qui font participer des supporteurs de foot (Stadium de M El Khatib) dans la création d’un spectacle ou, comme je le disais tout à l’heure avec les détenus (avec le metteur en scène Luca Giacomoni) . Ces spectacles ont très bien fonctionné, mais au départ les aides financières étaient compliquées à mobiliser. On doit décloisonner et faire bouger les lignes.
C’est l’instant carte blanche, quelque chose à ajouter?
Je pense également que les “grosses maisons” devraient faire une place au théâtre amateur comme en appelait de ses voeux Denis Guenoun dans Le Théâtre est-il nécessaire ?. Le théâtre amateur est très dynamique partout en France. Pourtant, je pense qu’une grande partie ne franchira jamais les portes des scènes nationales. On peut très bien imaginer des structures accolées aux grosses scènes pour permettre l’émergence de formes innovantes et alternatives. On a besoin de faire plus de R&D pour inventer le théâtre de demain.