« Ce n’est pas le béton qui doit être remis en cause, mais la manière dont nous l’utilisons » Audrey Forestier, UNICEM

« Ce n’est pas le béton qui doit être remis en cause, mais la manière dont nous l’utilisons » Audrey Forestier, UNICEM

La nouvelle norme RE 2020 bouleverse le secteur de la construction et des travaux publics. La filière extraction de matériaux se retrouve de plus en plus contrainte par de nouvelles réglementations. Elle doit repenser ses modèles économiques et innover pour optimiser les gisements. En Auvergne-Rhône-Alpes, les acteurs travaillent actuellement au recyclage des matériaux de déconstruction pour les valoriser et les réutiliser.
Audrey Forestier est chargée de mission pour l’UNICEM, la fédération qui regroupe et défend les professionnels de la filière.

Le secteur du BTP est en pleine révolution, et vous travaillez au coeur de ce sujet. Avant de nous parler de sa transformation, parlez nous de votre parcours…

Audrey Forestier : Je suis originaire d’Amiens en Picardie. Je suis descendue en Auvergne il y a 15 ans à la recherche d’un premier emploi. J’ai intégré l’UNICEM pendant mon BTS en alternance et j’y suis restée depuis. J’ai occupé plusieurs postes qui me permettent aujourd’hui d’avoir une vision globale des enjeux de cette filière. Lors de la fusion des régions, j’ai saisi l’opportunité d’évoluer en tant que chargée de mission et de participer au nouveau projet que représentait une gouvernance à l’échelle de l’AURA.

Pouvez-nous présenter l’UNICEM, sa mission et ses actions ?

L’UNICEM est une fédération professionnelle qui regroupe la filière des industries extractives, donc, les carrières de granulats et les producteurs de matériaux, comme les unités de production de béton prêt à l’emploi, par exemple.

La Fédération regroupe des entreprises qui souhaitent bénéficier de nos services et qui veulent être accompagnées dans le cadre de leurs activités.

Un de nos axes majeurs est d’agir lorsque des textes nous concernant voient le jour. C’est à dire faire en sorte que les pouvoirs publics prennent en compte nos activités. Ensuite, nous devons informer les adhérents des nouvelles réglementations et de l’évolution de certaines normes.
Nous avons également développé un label RSE. En intégrant l’association UNICEM Entreprise Engagée, les entreprises s’engagent à mettre en place une démarche RSE ambitieuse. C’est un sujet très porteur, car le secteur est en pleine mutation et c’est un enjeu sociétal incontournable aujourd’hui.

Votre rôle va-t-il au delà d’un accompagnement des entreprises ? Est-ce que vous travaillez avec d’autres acteurs sur des projets collaboratifs innovants?

Oui. Nous venons de signer un contrat de filière avec le Conseil Régional AURA et la Fédération Régionale des Travaux Publics autour de l’économie circulaire. Le Conseil Régional a débloqué une enveloppe de 6 millions d’euros pour développer des solutions innovantes pour le recyclage des matériaux.

Les Français l’ignorent peut-être, mais dans la construction, nous arrivons aujourd’hui à un taux de recyclage de 76 %. C’est déjà une part importante, mais nous pouvons faire encore mieux. Si on intègre le remblaiement qui va permettre de remettre en état la carrière à la fin de son exploitation, on atteint 88 % de performance.

L’enjeu de la filière Béton est sans doute la décarbonation de 25 % des émissions de CO2 d’ici 2030. Nous visons l’objectif de la neutralité en 2050.

Que représente la filière régionale des matériaux au niveau national ? Est-ce que nous sommes considérés comme un acteur important ?

Audrey Forestier : La Région AURA est la première région en termes de production. Au niveau régional, la filière représente 600 sites extractifs. Ce sont des carrières de granulats, de roches ornementales et de minéraux industriels. À ce jour, 200 entreprises participent au tri, au recyclage et à la valorisation des matériaux inertes issus de la déconstruction. 

Par ailleurs, on estime que 300 unités de production de béton prêt-à-l’emploi sont actives sur toute la région. D’après les chiffres de 2018, les entreprises ont produit 49 millions de tonnes de granulats et 5,7 millions de m3 de béton prêt-à-l’emploi. La Métropole de Lyon a de nombreux projets d’urbanisme en cours et à venir. Ils nécessitent une importante quantité de matériaux. Le plan de relance a également permis de saisir de nouvelles opportunités. 

Vous parlez des métropoles de Clermont-Ferrand et de Lyon comme des clients majeurs pour vos adhérents. Le marché des matériaux est-il principalement local ?

Oui, on est sur des circuits courts. Les matériaux extraits et fabriqués dans les entreprises de la filière sont principalement destinés à construire et entretenir toutes nos infrastructures tels que les routes et les bâtiments.
Les carrières doivent être au plus près des besoins pour limiter le transport routier. Elles sont généralement situées dans un rayon de 50 km autour du chantier. Pour certains matériaux, très spécifiques, comme les roches ornementales, le marché est national voire international, mais c’est une niche. 

La carrière n’est pas une entreprise comme une autre. Je suppose que l’on n’ouvre pas une carrière aussi simplement qu’une entreprise. Quel est le processus ?

Aujourd’hui, les bâtiments sont essentiellement construits à partir de béton. Pour faire simple, le béton est fabriqué à partir d’un mélange d’eau, de ciment et de granulats. On appelle granulats de petits cailloux en dessous d’une certaine taille. Le sable est intégré dans la terminologie granulat. 

Pour ouvrir une carrière, il faut d’abord sonder les sols. La géologie est à la base de toute implantation. Le gisement identifié se trouve souvent sur un terrain appartenant à une collectivité ou à un propriétaire privé. Il faut donc trouver un modus operandi. Les procédures sont longues et très exigeantes. Il faut environ dix ans pour ouvrir une nouvelle carrière. L’autorisation d’exploitation est limitée à 30 ans, avec la possibilité de proposer un dossier de renouvellement. 

On constate une raréfaction des matières premières au niveau mondial, est-ce que la problématique est la même à l’échelon régional ?

À ce jour, d’après les chiffres UNICEM, 600 carrières réparties sont actives, cependant, elles ont de plus en plus de mal à être renouvelées ou maintenues sur le territoire. Aujourd’hui, les dossiers de renouvellement sont plus difficilement validés. La ressource est encore abondante mais l’accès est de plus en plus difficile. L’urbanisation, la sensibilité sociétale plus forte, l’accroissement et l’empilement des réglementations, parfois contradictoires, sont des freins à l’accès aux ressources. 

La procédure est beaucoup plus complexe aujourd’hui. Une étude d’impact sur la faune et la flore doit être réalisée.
Ces paramètres ont une incidence sur le taux de renouvellement. On ferme plus que l’on ouvre, et ceci peut avoir un impact sur la quantité de matériaux disponibles sur le territoire. 

Le secteur du BTP dans son ensemble est souvent pointé du doigt pour son impact environnemental. Qu’en est-il du maillon “extraction et matériaux” ?

Une carrière n’utilise pas ou peu de produits chimiques, mais il est vrai que le transport de matériaux a un impact environnemental, d’où l’importance de limiter le rayon d’action des carrières. Aujourd’hui, les entreprises du secteur doivent détailler leurs enjeux sur plusieurs décennies pour répondre aux besoins des territoires. De nombreuses contraintes sont intégrées dans le dossier. S’il est validé, c’est que le projet d’extraction est en accord avec la réglementation et les enjeux locaux.

Les enjeux environnementaux sont de plus en plus présents dans les politiques publiques. Que demande-t-on aux entreprises lorsque la carrière cesse d’être exploitée ?

Audrey Forestier : Aujourd’hui, il faut proposer un projet de territoire. D’ailleurs de nouveaux métiers “foncier-environnement” ont une place importante pour répondre à ce besoin. Il s’agit de mettre en relation, l’entreprise avec les différentes parties prenantes. Nos adhérents développent des partenariats avec des associations pour améliorer leurs pratiques et engager de véritables projets de territoires.
Par exemple, l’Ecopôle du Val d’Allier à Pérignat-ès-Allier, est le fruit d’un projet collectif et collaboratif entre la collectivité, l’exploitant et la Ligue de Protection des Oiseaux. 

Vous venez de présenter des nouveaux métiers dans cette filière. Continuons avec un peu de prospective, quelles sont les nouvelles opportunités business pour la filière ? 

Le secteur est en pleine transformation. Les carrières développent de nouvelles activités en valorisant notamment les coproduits. Il y a beaucoup de R&D pour la valorisation de la matière secondaire et par extension, l’optimisation du gisement.

Aujourd’hui, la demande est encore faible pour ces types de produits, mais c’est un nouveau marché à développer. Face à la difficulté d’accès à la ressource, les entreprises réfléchissent à de nouveaux usages pour faire évoluer leurs modèles économiques.

Dans le cadre de l’accord sur le recyclage au niveau régional, les professionnels de la filière vont déployer d’autres types d’installations dans les carrières pour transformer les matériaux de déconstruction. Certaines sont déjà équipées, mais d’autres devront investir. Elles pourront ensuite réaliser des campagnes de recyclage de matières inertes. On parle de campagnes, car parfois, il faut attendre plusieurs mois pour avoir suffisamment de matériaux à recycler.

Vous avec mentionné l’impact environnemental du transport des matériaux, est-ce que cela avance également de ce côté ? 

Les engins sont de plus en plus numériques et automatiques et économes en énergie. La cellule économique de la construction (CERC) a réalisé un benchmark pour recenser les offres du parc d’engins qui proposent de nouvelles énergies de motorisation. Il existe aujourd’hui des pelleteuses électriques, mais d’autres solutions vont être disponibles prochainement pour répondre à d’autres besoins. La principale difficulté reste le coût très élevé et la disponibilité des engins. 

C’est l’instant carte blanche, quelque chose à ajouter.

Audrey Forestier : Oui. Nous défendons l’idée que le béton a sa part dans l’acte de construire. Il permet la réalisation de projets de manière rapide et avec un coût maîtrisé. Ce ne sont pas le béton et l’enrobé qui sont à mettre en cause mais la manière dont nous les utilisons. C’est un des secteurs où l’économie circulaire et la notion de circuits-courts est une réalité.

C’est ce que nous essayons de promouvoir avec le label “Production 100 % locale”, même si aujourd’hui la provenance des matériaux n’est pas le premier critère dans les appels d’offres publics.

Nous pensons que le béton s’intègre à la politique publique du “faire mieux”. Nous ne prônons pas le tout béton, mais le béton au bon endroit.

Si vous avez envie d’en apprendre plus sur la construction et sur les matériaux, l’UNICEM AURA a développé un site internet lavieenpierre.com. Les contenus sont accessibles et ludiques. Ils traitent de sujets techniques ou communs en faisant le lien avec le quotidien des citoyens. Je vous encourage à y jeter un coup d’œil.

Dans la tête d’Audrey Forestier

Ta définition de l’innovation : c’est penser à demain et après demain

Où est-ce que tu vas à la pêche à l’info : la radio / LinkedIn

Une recommandation pour s’instruire (livre, podcast, magazine, série) : je regarde avec mon fils de 8 ans “Ce n’est toujours pas sorcier” (le camion n’existe plus malheureusement !)

Une recommandation pour rire (livre, podcast, magazine, série) : Kaamelott, toujours une tirade qui nous tire le sourire

une femme qui t’inspire/experte : Aline PICARONY, Déléguée UIMM (et ex responsable)

L’Auvergnat.e d’ici ou d’ailleurs avec qui tu aimerais bien boire un coup : Pauline Rivière 😉

À propos de Pauline Rivière

Pauline Rivière est journaliste et rédactrice en chef du média en ligne le Connecteur. Elle est en charge du choix des dossiers spéciaux mensuels. Elle développe également des outils de datavisualisation à destination de l'écosystème de l'innovation et s'intéresse à l'innovation éditoriale. Avec sa société SmartVideo Academy, elle anime différentes formations à la réalisation de vidéos (au smartphone notamment) et à l’écriture audiovisuelle. Elle intervient également dans l'Enseignement Supérieur dans le cadre de projets pédagogiques digitaux, mêlant techniques de communication et sujets d'innovation.