Compte-rendu / Open Lab Exploration Innovation « le management des réseaux sociaux »

Compte-rendu / Open Lab Exploration Innovation « le management des réseaux sociaux »

Par Damien Caillard

L’Open Lab Exploration Innovation est un dispositif d’interaction entre les chercheurs et les praticiens (managers) autour des questions d’exploration et d’innovation. Créé par le CRCGM (Centre de Recherche Clermontois en Gestion et Management), au sein de l’Ecole Universitaire de Management (Université Clermont Auvergne), il est piloté par Pascal Lièvre.

Lundi 6 février 2017, l’Open Lab Exploration Innovation a accueilli Marc Lecoutre, sociologue, membre du CRCGM, enseignant et directeur de la recherche au Groupe ESC Clermont, pour une conférence sur les réseaux relationnels.

Contact:

Accès rapide aux sections:

  1. Synthèse écrite de la présentation
  2. Photos souvenir de l’événement
  3. Captation audio intégrale (hors question/réponses)
  4. Clip souvenir de la session du 6 février
  5. Interviews bonus

La synthèse de la présentation

Les timecodes (minutes:secondes) indiqués dans les titres correspondent à la captation audio que vous trouverez dans la section suivante.

Quelques définitions en préambule:

  • réseau social: celui que tout un chacun possède en société
  • réseau social numérique: réseau type Facebook, Twitter, etc. mais qui fonctionne sur les mêmes bases

Le contexte (2:48)

Nous sommes dans une économie de la connaissance et de l’innovation. Les règles du jeu sont la concurrence, l’instabilité, la nécessité d’apprendre rapidement, d’innover plus que d’exploiter … et qui entraînent des modifications fortes des règles de management. Les systèmes hiérarchiques habituels s’effacent, les organisations ont du mal à formaliser la demande de travail, et les modèles organisationnels se transforment (exemple: entreprise libérée).

Innover demande donc des connaissances, et il faut se mettre dans une logique d’exploration. Ces connaissances, nécessaires pour alimenter en amont l’innovation, ne se « trouvent » pas toujours: parfois, il n’est pas nécessaire de les chercher activement. En tous cas, elles sont éloignées des environnements habituels de travail. C’est pourquoi les projets d’innovation fonctionnent sur le principe d’expansion des connaissances, dans lequel le réseau relationnel est une des ressources principales.

La question de ce soir: comment clarifier les processus d’expansion des connaissances à partir de la théorie des réseaux sociaux et relationnels.

Deux exemples d’expansion des connaissances (6:25)

Exemple 1: comment Alain Hubert, en amont d’une traversée intégrale de l’Antarctique à ski (1997-1998) a résolu des problèmes logistiques concrets de transport des nourritures. Un ami qui étudie l’alimentation des bovins lui suggère d’approcher le problème selon son point de vue … et vient l’idée de manger des granulés énergétiques adaptés aux phases de l’expédition.

Exemple 2: comment de jeunes étudiants ont préparé une traversée du Spitzberg en 2010. Cette aventure a été suivie par Pascal Lièvre et Marc Lecoutre de la genèse de l’idée à la réalisation de l’expédition. Les participants n’avaient pas de connaissances de l’environnement polaire, et – en mobilisant leur réseau – ont eu accès au GMHM (Groupe Militaire de Gendarmerie de Haute Montagne) qui leur a proposé 5 jours de stage à Chamonix. Le transfert d’expérience à ce moment fut déterminant. Les connaissances ne sont pas scientifiques mais expérientielles.

Que peut-on déduire de ces exemples ? Les relations avec les personnes clé, qui ont permis de débloquer le problème, ont fonctionné car il y avait une dimension « affective » – amicale dans le premier cas, récente mais de fort intérêt dans le second (le capitaine du GHMH ayant été sensible aux arguments du chef d’expédition). D’une manière générale:

  • on recherche des ressources éloignées, loin de son contexte habituel
  • sans que l’organisation ne fournisse de règles: il faut s’adapter aux besoins, être capable d’identifier de nouveaux partenaires et développer son réseau

Voyons maintenant deux points de vue fondateurs de nombreux courants de recherche actuels:

La théorie de la force paradoxale des liens faibles (Granovetter, 1973) (15:00)

Granovetter différencie liens forts (rencontre fréquente, échanges approfondis voire intimes: proches, amis …) et  liens faibles (contact bref, occasionnel, hors milieu habituel), et s’intéresse à leur interaction. Aujourd’hui, les réseaux sociaux numériques (RSN) développent – sans doute paradoxalement – les liens forts, notamment les contacts familiaux distants, alors que les liens faibles se concentrent plus dans le domaine professionnel.

Les liens forts sont transitifs: si A est lié fortement à B, et B à C, alors A et C auront probablement une relation forte. Aujourd’hui, les ensembles de points reliés tous entre eux par des liens forts (éventuellement quelques liens faibles) sont des clusters, au sein desquels nous vivons. Les clusters sont reliés entre eux par quelques liens spécifiques: ce sont les ponts. Et ce sont toujours des liens faibles.

Cette approche a été concrétisée dans une étude de 1973 sur l’accès au marché de l’emploi: 83% des chercheurs d’emploi ont été embauchés grâce à un lien faible ! Cette force paradoxale du lien faible est liée au fait qu’il est plus rapide, et qu’il permet d’accéder à une information originale, hors du cluster, nouvelle. Accéder à un emploi par un lien faible est finalement plus innovant, plus audacieux, alors que le cluster de liens forts sont redondants et davantage banalisés. Enfin, il s’avère que les critères de rémunération et de qualité de la relation sont plus satisfaisants par les liens faibles.

De très nombreux travaux ont éclos, suite à cette étude, sur la relation liens forts/liens faibles, et ce dans tous les domaines (Phelps, Ferrary, Dibiaggio  …) Par exemple, Digiaggio et Ferray en 2003 ont prouvé que la création de connaissance se fait entre liens forts, mais que la diffusion se fait par les liens faibles hors des clusters.

En termes critiques, Hansen a montré en 1999 que les connaissances simples peuvent circuler par liens faibles, mais pas les connaissances complexes. De même, Perry-Smith en 2006 a prouvé que, dans le milieu artistique, la créativité était stimulée par le nombre de liens faibles, et qu’à l’inverse les liens forts entretiennent le conformisme.

La théorie des trous structuraux (Burt, 1992) (31:45)

Burt s’est intéressé à ces fameux ponts, qui connectent les clusters. Dans des réseaux de clusters, certaines personnes servent de connecteurs entre les clusters (elles sont dans un cluster mais servent de connecteur via des liens faibles): ce sont les « brokers« . Elles ont un « capital social » fort, parce qu’elles sont brokers, mais parce qu’elles ont d’autres brokers dans leur réseau. Ainsi, les réseaux individuels les plus riches se forment quand on possède une forme de monopole (« gatekeeper ») sur le lien entre deux clusters – c’est une position d’arbitre. L’important n’est plus le rapport lien fort/lien faible mais plutôt le positionnement entre les clusters. C’est le principe des « trous structuraux » remplis par ces fameux brokers.

La critique de Perry-Smith se porte sur l’approche classique des « tuyaux », qui voit la connaissance comme un « paquet » qui circule. Perry-Smith a montré que ce colis, quand il circule, est également transformé selon la nature du lien entre les personnes. La connaissance est alors produite pendant l’interaction, et en fonction de celle-ci – c’est une approche dynamique, interactive, également défendue par Borgatti et Cross en 2003.

Les conditions d’accès aux connaissances (40:30)

Borgatti, justement, isole quatre conditions d’acquisition de la connaissance (ici, si X cherche à acquérir une connaissance de la part de Y):

  1. le savoir: X est-il sûr que Y possède la connaissance recherchée ?
  2. la valeur: X évalue-t-il positivement la connaissance détenue par Y ? (lui est-elle pertinente)
  3. l’accès: X a-t-il accès à Y au moment opportun ?
  4. le coût: le coût d’acquisition de la connaissance est il intéressant ?

Ce modèle est critiqué de la façon suivante:

  • il ne fonctionne pas bien quand on n’a pas une idée claire des connaissances à acquérir, ou quand on n’a pas identifié le Y
  • le processus d’identification des critères n’est pas abordé
  • la coopération ne va pas forcément de soi

Tentative de synthèse (43:30)

Deux types de questions quand on va chercher une connaissance  nouvelle, éloignée de sa base:

  • comment et pourquoi s’engage la coopération via un lien faible ?
  • à quelle type de connaissance accède-t-on dans ce cas ?

Première réponse : si le lien fort coopère par définition, quid du lien faible ? Lecoutre et Lièvre ont identifié des liens faibles potentiellement coopératifs (mais repérés après coup) car ils comportent en eux des attributs du lien fort.

Seconde réponse: l’interaction construit des connaissances, et cela revisite les mécanismes d’apprentissage et de transmission. A voir, les communautés de pratique, qui sont des lieux dans lesquels l’apprentissage se fait.


Les photos souvenir de l’Open Lab du 6 février

Accéder à l’album souvenir sur le site de Families


Le replay audio de l’événement

La bande-son de la captation sur SoundCloud (48 minutes):

Enregistrement audio par Sylvain et Jean-Eric Godard, Com 1 image


Le clip de la session du 6 février


Les interviews bonus

À propos de Véronique Jal

Ma ligne guide depuis 15 ans, c'est le management de projets collectifs à fort "sens ajouté" : les fromages AOP, les hébergements touristiques, la démarche d'attractivité d'une région... et aujourd'hui l'innovation territoriale via un média associatif Toulousaine d'origine, j'ai découvert et choisi l'Auvergne que mon parcours pro m'a amenée à connaître sous plein de facettes. J'adore cette activité qui nous permet d'être en situation permanente de découverte.