Entreprise et impact: peut-on se passer d’un label ?

Entreprise et impact: peut-on se passer d’un label ?

Le 11 avril dernier, le comité d’impulsion* réunissait pour la deuxième fois tous ceux qui s’intéressent au projet de création d’un Pôle d’innovation autour de l’économie d’impact à Cataroux. (lire nos articles sur la genèse du projet et « Le point sur le Pic » en avril 2022). Un projet assez ambitieux et dans son dimensionnement, et dans son implantation géographique symbolique et enfin, dans sa volonté de positionner le territoire comme une référence de l’économie d’impact.

Premier sujet, celui de l’impact. Le mot fait réagir ou au contraire laisse perplexe, mais, quoiqu’il en soit, c’est le mot qui monte. Encore flou dans sa définition, il laisse perplexe ceux qui commencent tout juste à y voir clair dans leur démarche RSE. Selon BPI toujours, une entreprise à impact peut être définie comme une “société commerciale qui possède plusieurs objectifs sociaux et environnementaux. Elles adoptent des pratiques à l’impact social et environnemental positif (c’est-à-dire qui vont au-delà de stopper des effets négatifs) en les inscrivant au cœur de leur modèle économique.” 

Phimeca, Picture et Babymoov, chacune engagée dans une démarche de transformation, étaient donc rassemblées pour partager leur expérience. 

Le 11 avril à l'Agora, table ronde "Entreprise et Impact, peut on se passer d'un label ?"
Table ronde // Peut-on se passer d’un label ?

Comment ces PME ont-elles abordé ces choix?  Quel en a été le déclencheur ? qu’est ce que cela a fait bouger chez elles ? A quelles difficultés ont-elles  dû faire face ? Ou encore, comment l’écosystème local pourrait contribuer à faciliter les transitions des entreprises du territoire? 

Picture, Phimeca, Babymoov, une nouvelle génération d’entrepreneurs ?

Vincent André est l’un des 3 cofondateurs de Picture Organic Clothing. Le rapport environnemental et social de Picture raconte la philosophie de la marque ‘Rider, Protéger, Partager’, ainsi que son chemin depuis la création en 2008 et ses prochains enjeux. Pour Vincent André, peut-être nourrie par un effet génération,  il y a surtout la volonté originelle des fondateurs de vivre de leur passion et d’être alignés avec leurs valeurs.  

Sandrine Monestier était au cœur de l’actualité récemment. Babymoov, tout comme Picture, est une success story locale. Dans le cas de Babymoov, les 3 fondateurs ont choisi de passer la main et de confier la suite à un trio de membres de l’équipe, dont Sandrine Monestier, DG ressources et finances et également co-responsable de la démarche RSE. Elle voit dans l’accélération de l’engagement de Babymoov une impulsion des plus jeunes membres de l’équipe, porté par Célia Grignon depuis 2019 via le Greenmoov.

Thierry Yalamas est PDG de PHIMECA, une société d’ingénierie innovante créée il y a 20 ans à Clermont et spécialisée en la modélisation physique et data sciences au service de l’industrie. Phimeca accompagne ses clients dans la conception et l’exploitation robuste et fiable de leurs produits et structures. Entreprise qu’il a racheté avec d’autres cadres de l’entreprise en 2018 et qui est implantée à Paris, à Clermont-Ferrand, mais également à Cadarache et à Annecy. Pour Thierry Yalamas, ce n’est pas une question de génération mais plutôt un retour à une vision plus équilibrée de ce qui doit nourrir le sens de l’entreprise. Un retour à une juste place, moins financière. 

L’argent n’est pas le but de l’entreprise, il est son oxygène. On ne se réveille pas le matin en ayant comme objectif de respirer, sauf si on est en mauvaise santé.

Thierry Yalamas

Phimeca, Picture et Babymoov témoignent sur BCorp, entreprise à mission ou labels produits
T Yalamas-Phimeca/ Sandrine Monestier- Babymoov / Vincent André- Picture / Nathalie de Peufeilhoux BNP Paribas.

Le déclencheur ? toujours humain

Picture – BCorp

Pour Picture, l’engagement est originel, présent dans l’ADN de la marque à sa création. (NDLR : allez voir leur site, vraiment l’effort de transparence et d’exhaustivité est assez impressionnant)  Mais c’est Florian Palluel, le ‘Sustainability & Transparency Manager’,  qui a été le déclencheur. Justement parce que, pour lui, il s’agissait de donner de la cohérence à tous les engagements déjà pris et donner un corps ‘palpable’ aux combats menés par l’entreprise.  Pour lui, le label BCorp était le plus cohérent avec le chemin de la marque.  “Pas de bullshit, pas de greenwashing !”

Le siège tout neuf de Picture à Cébazat dans le Puy de Dôme
Le siège de Picture

Pour Vincent André, “B Corp est en effet un label difficile à obtenir, le plus global dans son approche et ultra engagé. En plus, il n’est pas cher,  on ne l’achète pas. En fait, on entre dans une communauté, avec des personnes  qui regardent et audit ce que tu fais, en détail. Tous les services de l’entreprise sont concernés, vraiment tous”.

Une démarche 360°

En effet, la démarche BCorp est construite sur 200 critères, répartis en 5 familles: environnement, communauté, gouvernance, clients et collaborateurs. Pour obtenir le label, il faut atteindre un minimum de 85 points. Pour Picture, entreprise de l’univers du textile, l’un des points les plus complexes reste  la fabrication, même si ses sous-traitants sont pourtant déjà choisis avec soin. Mais pour aller plus loin, BCorp engage les entreprises à analyser jusqu’à leurs sources de production d’énergie par exemple. C’est alors un vrai dialogue qui doit se nouer pour amener la transformation de ses partenaires de production. 

Il y a aussi la question des matières premières. “Ce sont  des sujets super complexes. On peut prendre l’exemple des matières premières responsables (coton biologique, polyester recyclé, fibre bio-sourcé, matières reconditionnées) Notre philosophie est de varier les sources, parce que nous sommes convaincus qu’une approche monolithique renforce les problématiques. On a ainsi vu apparaître une filière spécifique pour produire du plastique recyclé ! Aujourd’hui, nous avons réussi à remplacer les fibres pétrosourcées par des biosourcées sur nos vêtements techniques, le prochain challenge sera sur les autres produits, ce n’est pas simple de combiner la performance technique et environnementale mais on s’y attelle.” 

Une démarche qui embarque toute l’entreprise

Vincent André “Ce que j’apprécie dans BCorp, c’est qu’il met du sens dans tous les gestes et embarque toute l’entreprise. Elle permet aussi d’identifier les vraies sources d’impact positif. Parfois, on s’épuise à améliorer des choses qui en fait comptent peu. Elle nécessite d’être pédagogue autour de tous les sujets et elle n’est pas culpabilisante. Notre rôle, à tous les niveaux, c’est de semer des idées qui vont amener la transformation progressive. Nous avons mis des supers vélos à disposition des équipes, c’est incitatif et ceux qui le peuvent les utilisent régulièrement. Nous avons aussi installé des bornes électriques sur nos parkings, on sait que ça a compté pour que certains de nos salariés choisissent d’acheter une voiture hybride ou électrique. Il n’y a pas de jugements, juste des incitations, l’idée de faciliter… et ça fonctionne!“

Quelques surprises

Quand nous nous sommes engagés dans la démarche, nous avions des sujets sur lesquels nous étions déjà clairement bien avancés et d’autres sur lesquels nous avons été plutôt surpris. Par exemple, sur tout ce qui est lié aux collaborateurs, nous avions l’impression d’être plutôt bons. Et finalement, nous avons pris conscience que notre fonctionnement n’avait peut-être pas assez évolué pour suivre la croissance de l’entreprise. Nous sommes 3 fondateurs et donc il n’y avait pas de parité. Ça nous a amené à créer une smarteam type comex. L’autre exemple, c’est le télétravail. On n’y était pas du tout favorables, on s’est aperçu, par la force des choses, que c’était hyper vieux jeu… Bref, pour nous,  B Corp, c’est un cahier des charges plutôt ludique.

Vincent André dans le concept store de Clermont Ferrand

C’est devenu une sorte de jeu de chercher à faire mieux, sans perdre en efficacité.

Vincent André

On s’est fixé comme objectif d’atteindre 110 points, et comme priorité un travail de fond sur les matières premières biosourcées. Nous irons vraisemblablement vers l’inscription de notre mission dans les statuts de l’entreprise mais l’idée est la création d’une fondation à mission et pour l’instant, nous sommes en réflexion pour choisir notre combat!

Phimeca – Entreprise à mission

Thierry Yalamas a fait le choix de transformer Phimeca en entreprise à mission. Ce statut a été créé via la loi Pacte en 2019, comme une incitation faite aux entreprises de dynamiser leur « raison d’être » en dépassant le seul horizon du court-terme et des dividendes. 

Fin 2018, Phimeca terminait un cycle, avec la transmission de l’entreprise par ses fondateurs à une nouvelle équipe de direction issue de ses cadres. C’est l’envie de ré engager un projet collectif et fédérateur qui a conduit Thierry Yalamas à lancer une réflexion autour de la raison d’être de l’entreprise. Lancée en mars 2020, la démarche de concertation et de construction a subi de plein fouet le confinement. Pour Thierry Yalamas, c’est sans doute aussi ce qui l’a consolidée. Sur une période aussi difficile pour la cohésion interne, le fait d’engager toutes les parties prenantes de l’entreprise, à la fois les équipes et les actionnaires, dans une vision long terme s’est avéré très bénéfique.

Un aboutissement plus qu’un objectif

Fin 2020, la raison d’être de Phimeca était adoptée. “Construire ensemble, par une ingénierie innovante, une industrie respectueuse de l’homme et de son environnement”.

Thierry Yalamas - Phimeca

Même si ce n’était pas l’objectif initial, Thierry Yalamas a toujours eu en tête le statut d’entreprise à mission. A l’issue de cette première démarche très concertée, l’essentiel de ce que nécessite le statut était en fait déjà acquis. Poursuivre dans cette voie donnait un cadre et une légitimité à l’ensemble. Le statut d’entreprise à mission requiert de fixer des objectifs sociaux et environnementaux. Mais aussi,  de déterminer les modalités d’évaluation externe et de créer un “comité de mission” dont le principal rôle sera d’évaluer la concordance entre décisions et objectifs.

Une raison d’être et 4 axes stratégiques

Phimeca a engagé un travail de fond avec ses équipes, ses actionnaires et ses clients-partenaires. Il se structure en 4 axes stratégiques, supports de la raison d’être. 

  • Innover avec nos clients pour la préservation de l’environnement, par la résilience et la durabilité des structures et systèmes 
  • Affirmer l’apport de l’ingénieur à la société, dans un esprit d’ouverture et de partage
  • S’impliquer dans le développement de nos territoires, être plein acteur de nos écosystèmes 
  • Favoriser l’épanouissement personnel et la diversité, au sein d’une entreprise coopérative

Cette réflexion amène forcément à repenser le business model de l’entreprise. 

Gagner un cohérence

“Si on veut que la raison d’être soit sincère, il faut s’interroger sur le lien entre ce que l’on affirme et ce que l’on vend. Nous nous sommes engagés dans une démarche d’économie de la fonctionnalité et de la coopération ; notre enjeu d’entreprise est de répondre aux vrais besoins”

Les bénéfices à court terme concernent l’engagement collectif autour d’un sens commun, la création d’échanges à forte valeur ajoutée, en interne et avec les partenaires. Ça change totalement la nature de la relation.  A moyen terme, cela nous donne une vision stratégique structurante et motivante. 

Le début d’une aventure … permanente

“Nous sommes au commencement d’une démarche de transformation. Nos 4 axes stratégiques sont définis et partagés, il faut maintenant poser tous les jalons qui vont les matérialiser. Nous avons démarré certaines actions, sur les notions de mixité par exemple en nouant un partenariat avec Elles bougent ou en intervenant dans des collèges. Ou encore sur la réduction de nos déchets. Mais ce n’est que le début, et nous voulons là encore, prendre le temps de poser un socle solide et collectif, sur des sujets qui nous tiennent à cœur et sont vraiment utiles”

“C’est ce qui m’amène d’ailleurs à ne pas aller vers un label : je veux pouvoir faire des choix délibérés et personnels sur ce qui nous paraît majeur dans notre secteur, pour notre entreprise, pour notre territoire. En revanche, nous utilisons par exemple le cadre fourni par Ecovadis pour guider notre démarche RSE.”

Babymoov – multilabel 

Babymoov a engagé sa démarche RSE depuis plusieurs années. Elle se traduit par une série d’engagements en matière d’écoconception et de durabilité des produits,  en matière de sourcing, d’emballages, etc … rassemblés sous la bannière “GreenMoov”.

Sandrine Monestier - DG Ressources et finances - Babymoov

Sandrine Monestier et Célia Grignon, les deux nouvelles DG aux côtés de Pierre Magro, Président, partagent la mission. Sandrine Monestier, en tant que DG ressources et finances, est chargée de la démarche RSE et Célia Grignon, DG innovation & marketing,  porte le GreenMoov. 

Fin 2020, Babymoov a retravaillé sa raison d’être avec les équipes et les actionnaires.  “Prendre soin des générations futures” se décline en 5 engagements: pour des produits respectueux de l’environnement,  pour une démarche RSE responsable et long terme, pour transformer les modes de production et de distribution et enfin pour continuer d’innover avec les experts et professionnels de la petite enfance. 

Ces axes se traduisent en éléments factuels plus ou moins aboutis selon leur degré de complexité et d’antériorité : labels matière première comme Oeko-Tex, démarche interne GreenMoov, garantie à vie et offre de réparation, travail sur les packagings… Sandrine Monestier l’annonçait d’ailleurs le 11 avril,  Babymoov vient d’obtenir le label Long Time qui vise à informer les consommateurs sur la longévité, la robustesse et la réparabilité des produits. 

Créer une émulation collective en faveur de la transition écologique. 

Le groupe a aussi rejoint récemment la communauté “Le Coq Vert” lancée par BPIFrance pour accompagner la transformation des PME. Il réalise actuellement un diagnostic ecoflux, qui sera suivi au second semestre d’un autre diagnostic “décarbonation”.

Pour Sandrine Monestier, l’enjeu est de conduire en même temps une mise en cohérence de cette démarche et de l’appuyer sur un socle solide notamment en interne. Cette dimension interne est portée par le réseau GoodMoov: les ambassadeurs internes et volontaires dont la mission est de contribuer à nourrir la réflexion.

Sandrine Monestier. ‘Par ailleurs, nous avons participé avec les fondateurs de Babymoov au choix du fonds d’investissement qui allait reprendre leurs parts. Le choix s’est porté sur Initiative et finances. La ligne guide de leur fonds Tomorrow est de ‘démontrer que performance financière et prise en compte de la transition environnementale peuvent aller de pair’. Avec ce fonds, nous avons défini des objectifs précis en termes d’impacts à échéance 2025. 

La relocalisation: un sujet complexe

Par exemple, il y a un gros sujet autour de la relocalisation de la production. Nous avons fixé un objectif à 30% d’ici 2025. L’impact est vraiment majeur mais il est aussi complexe, tout ne dépend pas de nous, loin s’en faut. C’est en fait très lié à la politique européenne. Mais c’est aussi notre rôle d’entreprise que de peser sur ces orientations. 

Notre ligne est assez claire, nous avons engagé beaucoup d’actions, défini une stratégie et des objectifs. Ce qui nous amène aujourd’hui à envisager d’aller vers une labellisation BCorp,  cohérente avec nos valeurs. Nous commencerons l’évaluation BCorp sur le 2nd semestre 2022. De la même manière, comme nous avons retravaillé notre raison d’être, nous pensons que l’inscrire dans nos statuts ferait sens. Ce qui nous amènerait à nous transformer en entreprise à mission. Mais avant cela, nous voulons vraiment consolider le socle interne. 

Finalement, nous cherchons à identifier la démarche qui nous sera la plus bénéfique. Celle qui met nos actions engagées en cohérence, donne de la lisibilité à l’ensemble et correspond à nos valeurs. Le plus difficile reste de choisir, souvent, il faut faire pour savoir. Nous sommes donc très à l’écoute de tout ce qui favorise le partage d’expériences de ceux qui sont déjà engagés. 

Le PIC, une communauté ressource locale ?

Pour Vincent André, ce pôle constituerait un vivier de personnes engagées. Un vivier pour recruter, pour fédérer les entreprises engagées et favoriser le partage d’expérience, pour rassurer aussi ceux qui s’interrogent. Cela pourrait constituer une sorte de think tank très positif pour l’image et le rayonnement de Clermont. 

Thierry Yalamas y voit également une source d’échanges et d’inspirations. Phimeca est membre de la jeune association des entreprises à mission d’Auvergne Rhône Alpes qui compte une petite trentaine de membres – dont 2 en Auvergne. Thierry Yalamas est plutôt sensible aussi à cette notion d’émulation;

Pour Sandrine Monestier enfin, ce serait une formidable opportunité d’identifier les expertises et de gagner temps et efficacité en partageant les expériences.

Le monde du financement change, soumis à pas mal d’impulsions de toutes parts.

C’est Nathalie de Peufeilhoux, Responsable Pôle WAI Loire Auvergne Entreprises BNP Paribas, qui apporte son éclairage.

À propos de Véronique Jal

Ma ligne guide depuis 15 ans, c'est le management de projets collectifs à fort "sens ajouté" : les fromages AOP, les hébergements touristiques, la démarche d'attractivité d'une région... et aujourd'hui l'innovation territoriale via un média associatif Toulousaine d'origine, j'ai découvert et choisi l'Auvergne que mon parcours pro m'a amenée à connaître sous plein de facettes. J'adore cette activité qui nous permet d'être en situation permanente de découverte.