Et si on faisait hiberner les astronautes ? Etienne Lefai

Et si on faisait hiberner les astronautes ? Etienne Lefai

Etienne Lefai est Directeur de recherche à l’INRAE dans le Puy de Dôme. Ses travaux actuels portent sur l’ours hibernant. Comment conserve-t-il sa masse musculaire pendant des périodes d’inactivité de cinq à sept mois ?
C’est un sujet majeur pour la recherche spatiale. En effet, pour imaginer des missions plus longues sur la Lune ou sur Mars, la science doit résoudre le problème de la perte musculaire des astronautes.
Et si nous parvenions à transférer les caractéristiques de l’ours hibernant à l’Homme ? Est-ce du domaine de la science-fiction ? Rencontre avec Etienne Lefai.

Etienne Lefai, avant de parler d’ours et de recherche spatiale, pouvez-vous nous raconter un peu votre parcours ?

Etienne Lefai : Je suis d’origine normande, et j’ai passé mon enfance et mon adolescence en Corrèze. J’ai toujours été curieux et, très jeune, j’ai eu envie de comprendre le monde qui m’entoure. Après une classe préparatoire à Clermont-Ferrand qui me destinait à devenir ingénieur, j’ai bifurqué et je suis retourné à l’Université pour faire de la recherche.

Au début des années 80, les chercheurs ont commencé à s’intéresser à ce qui se passe à l’intérieur des cellules. Ce sont les débuts de la biologie moléculaire. Je me suis plongé dans ce sujet, et plus particulièrement dans les mitochondries. C’est d’ailleurs le fil rouge de ma carrière.

Pour faire simple, la mitochondrie est la centrale énergétique de chacune de nos cellules. Elle est à la fois une usine de production d’énergie et un poumon : elle va consommer de l’oxygène et produire du CO2. Ce sujet m’a tout de suite passionné.
J’ai commencé par faire une thèse sur la mitochondrie et les maladies musculaires chez l’enfant. A travers cette thèse et ensuite un post-doc, j’ai développé des compétences-clés en mitochondrie, en biologie moléculaire et dans la compréhension du fonctionnement des gènes.

Quel est l’intérêt d’étudier la centrale énergétique d’une cellule, qu’est ce que vous cherchiez à résoudre ?

Après mon post-doc, j’ai travaillé sur le fonctionnement du muscle chez les personnes diabétiques de type 2 dans un laboratoire lyonnais de diabétologie. J’ai intégré une unité mixte qui regroupe des chercheurs du CNRS, de l’INRA et de l’université de Lyon. Tous les laboratoires de recherche sont rattachés à des universités. C’est ce qui nous permet de faire des échanges européens et de mettre en place des collaborations internationales. Et c’est ce qui fait avancer la recherche.

Pendant plusieurs années, nous nous sommes intéressés au problème de régulation de la glycémie dans le sang. Après un repas, vous allez sécréter de l’insuline qui va donner l’ordre à vos muscles de pomper le glucose excédentaire qui arrive de votre intestin pour le faire redescendre autour d ‘ 1g/l de sang. Chez un diabétique, l’insuline n’arrive plus à faire effet sur le muscle, et donc la glycémie ne redescend pas.

Notre travail consistait à regarder de plus près la cellule musculaire et d’essayer de comprendre pourquoi elle ne réagit pas correctement à l’insuline.

Vous travaillez aujourd’hui sur les muscles de l’ours en hibernation. Comment est-ce que l’on passe de l’étude du fonctionnement du muscle d’une personne diabétique, à celle d’un ours en hiver ?

Etienne Lefai : À cette époque, en 2010, je collaborais avec un laboratoire à Strasbourg qui travaillait sur la physiologie des animaux et de leurs muscles. Ils cherchaient quelqu’un qui soit en mesure d’analyser des échantillons de muscles issus de différents programmes et ils se sont tournés vers moi.

Il y avait tout une question autour de l’hibernation et du fonctionnement du muscle des animaux hibernants. J’ai trouvé le sujet très intéressant et je me suis fait happer. Dans la plupart des cas, si le muscle n’est pas actif, il s’atrophie. Prenez quelqu’un qui se casse une jambe et que l’on plâtre. Au bout de trois semaines, vous pourrez passer la main entre le plâtre et la jambe. Le muscle s’est atrophié, il a perdu son contenu enprotéine, il a perdu sa masse et par conséquent la force associée. Chez l’ours, lorsqu’il hiberne, bien qu’il soit inactif, il conserve sa masse musculaire.

L’atrophie musculaire concerne un public plus large que les personnes immobilisées ?

Oui, elle touche tout le monde. C’est une des conséquences du vieillissement. Plus on avance en âge, plus nos muscles s’atrophient, jusqu’au moment où ils ne vous permettent plus de vous lever. C’est là que survient la dépendance.

C’est également un vrai sujet dans le domaine de la recherche spatiale. Lorsque l’on est en apesanteur, la force physique est quasiment nulle car il n’y a pas résistance. Les muscles ne travaillent pas, car ils ne sont pas confrontés à la gravité. Sur Terre, rien que le maintien de la posture debout est une forme d’activité physique. Le fait de vivre à la surface de la Terre est un effort permanent. Lorsque nous levons une jambe pour marcher, nous luttons contre la gravité.

Vos travaux de recherches sur l’ours intéressent particulièrement la recherche spatiale. Pour quelles raisons ?

Etienne Lefai : En effet. Dans les missions spatiales habitées, de longues durées, le premier enjeu est tout simplement la survie de l’équipage.

Ensuite, vient le maintien de la santé des équipages. Pour espérer conserver leur masse musculaire, il faut que les astronautes aient une activité physique pendant au minimum deux heures par jour. Pour autant, ce n’est pas suffisant, ils perdent jusqu’à 20 % ou 30 % de leur masse musculaire pour des missions musculaires.

C’est notamment pour cette raison qu’ils ont un programme spécifique à leur retour, pour récupérer ce qu’ils ont perdu. D’ailleurs, les missions sur l’ISS durent rarement plus de six mois, compte tenu des impacts sur la santé des équipes.

Est-ce qu’il existe d’autres enjeux, à plus longs termes ?

Au niveau mondial, il y a deux objectifs principaux actés pour la recherche spatiale. D’une part, l’installation d’une base permanente sur la Lune, d’autre part, envoyer une mission habitée sur Mars. Dans les deux cas, on parle de temps long, on ne compte plus en mois. À l’heure actuelle, c’est impossible, notamment parce que les problématiques liées à la santé des astronautes ne sont pas résolues. 

Une mission sur Mars, sera bien plus inconfortable qu’une mission sur l’ISS. Il faut imaginer passer des mois, à cinq, dans une navette pas plus grande qu’une Twingo, sans possibilité de bouger. 

Idéalement, il faudrait parvenir à faire hiberner les équipes…

Etienne Lefai : Sur Terre, il existe des animaux capables de rester immobiles sans manger sans boire pendant des mois. On dit qu’ils sont en hypométabolisme, c’est-à-dire en métabolisme réduit. Si on parvenait à mettre les équipages en simili-hibernation, on pourrait peut-être limiter le problème de l’atrophie musculaire, mais également les problèmes psychologiques liés à un enfermement long dans un espace aussi réduit.

Nos travaux sur l’hibernation chez l’ours sont au coeur du concept de biomimétisme. Comment s’inspirer des choses de la nature pour améliorer des performances ou un état. Avec nos travaux, nous cherchons à transférer ces mécanismes naturels protecteurs présents chez les hibernants, chez l’Homme.

Où en sont vos recherches sur l’hibernation ? Est-ce que l’on est près du but ?

Non. Aujourd’hui, il subsiste énormément d’interrogations. Par exemple, l’ours en hiver et en été, ne “fonctionne” pas de la même manière pourtant, il a le même équipement. Si, un ours se blesse en été et que l’on est obligé de le plâtrer, il perdra sa masse musculaire comme n’importe quel autre mammifère, et on ne sait pas pourquoi ce n’est pas le cas en hiver. On connaît le processus d’hibernation, mais il nous manque encore beaucoup d’éléments.

Sans vouloir être critique, dépenser des millions d’euros pour trouver des solutions à des problèmes qui ne concernent qu’une dizaine de personnes sur Terre peut sembler complètement démesuré. 

En effet, mais finalement, c’est une méconnaissance ou peut-être un défaut de communication de notre part. Derrière tous les sujets de recherche, il y a évidemment des applications plus larges. C’est tellement évident pour moi, que j’ai oublié de le mentionner.

Nos travaux sur l’atrophie musculaire des astronautes pourraient nous permettre à terme de trouver une solution au problème du vieillissement qui touche des milliards de personnes.

Autre exemple. Si on prévoit un habitat permanent sur la Lune, on devra nécessairement produire de la nourriture. Comment peut-on faire pousser quelque chose sur la régolithe, le sol lunaire, qui est très pauvre, et ce, en circuit fermé ? Cela signifie notamment un minimum de production de déchets et une économie d’énergie pousser à son maximum. Si on arrive à créer ces conditions sur la Lune, c’est un espoir immense pour la Terre. Cela signifierait que l’on serait en mesure de cultiver même sur un sol désertique, suite au réchauffement climatique. 

Quelles sont les prochaines étapes pour faire avancer vos travaux de recherche ?

J’essaie de rassembler des chercheurs qui travaillent sur la radioprotection, un sujet connexe au mien. C’est-à-dire comment se protéger contre les rayons X et atomiques. 
Dès les années 60, avec le développement de l’énergie atomique, on s’est vite rendu compte des dangers que cela représentait pour les professionnels du secteur. 
Des expériences ont démontré que des rongeurs hibernants irradiés, étaient beaucoup moins touchés que les autres mammifères.
Nous pourrions continuer d’étudier le sujet dans le cadre de travaux de recherche sur la protection des rayonnements cosmiques.

C’est l’instant carte blanche, quelque chose à ajouter ?

Je pense que la science a besoin d’être réhabilitée après la période que l’on a vécue. Nous devons mieux expliquer les différences entre science et croyances. Certaines personnes pendant la pandémie ont fait beaucoup de mal à la science et cela a entraîné une incompréhension du public.

Nous, scientifiques, nous avons très mal vécu ce qui s’est passé. La manière dont la science a été traitée dans les médias. C’est la conséquence d’un vrai manque de culture scientifique.

Je me suis donc auto-attribué cette mission supplémentaire, d’aller raconter ce que l’on fait vraiment dans les laboratoires et c’est ce que j’ai essayé de faire avec vous aujourd’hui. 

Dans la tête d’Etienne Lefai

Ta définition de l’innovation : Le velcros, une très belle image du biomimétisme

Une belle idée de start-up : Celle qui trouvera des outils pour nettoyer internet des fausses informations

La start-up qui monte : toutes celles qui ont misé sur les outils de communication et le travail collaboratif !

Où est-ce que tu vas à la pêche à l’info : Comme tout le monde, sur internet. Mais pas sur FB.

Une recommandation pour s’instruire (livre, podcast, magazine, série) : Les youtubeurs qui font de la vulgarisation (Science Etonnante, Science4all, e-penser, Scialabus,… et tellement d’autres)

Une recommandation pour rire (livre, podcast, magazine, série) : Je suis un fan inconditionnel de Kaamelott !!

une femme qui t’inspire/experteJane Goodall

L’Auvergnat.e d’ici ou d’ailleurs avec qui tu aimerais bien boire un coup : L’inventeur de la truffade, pour le remercier

À propos de Pauline Rivière

Pauline Rivière est journaliste et rédactrice en chef du média en ligne le Connecteur. Elle est en charge du choix des dossiers spéciaux mensuels. Elle développe également des outils de datavisualisation à destination de l'écosystème de l'innovation et s'intéresse à l'innovation éditoriale. Avec sa société SmartVideo Academy, elle anime différentes formations à la réalisation de vidéos (au smartphone notamment) et à l’écriture audiovisuelle. Elle intervient également dans l'Enseignement Supérieur dans le cadre de projets pédagogiques digitaux, mêlant techniques de communication et sujets d'innovation.