Heritech : Faut-il numériser le patrimoine pour le sauver ?

Heritech : Faut-il numériser le patrimoine pour le sauver ?

Sebastien Cote voit dans le numérique un levier pour le développement des territoires. Depuis des années il organise des événements pour acculturer les élus sur ce sujet. Il vient de clôturer la 4ème édition d’Heritech, un forum qui rapproche innovation technologique et patrimoine. Il était question de la place du digital pour attirer de nouveaux publics vers les patrimoines des territoires.

Avant d’aborder le sujet du numérique au service du patrimoine, rappelez-nous votre parcours 

Sébastien Cote : Je suis né en Corrèze et j’ai grandi dans une petite ville de 6 000 habitants. J’ai tout de suite été plongé dans cette « France invisible », comme l’appelle Salomé Berlioux. J’ai fait mon service militaire à Bordeaux, puis une faculté de philosophie, suivie d’un DESS en information et communication. Je suis parti pendant six mois comme journaliste au Maroc pour ensuite travailler pendant 7 ans à Paris dans le plus gros groupe de Relations Publiques de l’époque, le groupe i&e, en enfin intégrer l’association « Réseau Idéal » qui mettait en place des réseaux de partage de savoir en ligne pour les collectivités.

En 2007, je suis sollicité par le Conseil Régional d’Auvergne, présidé par René Souchon, pour devenir responsable du développement des usages numériques. Depuis 2010, je gère avec ma société Mon Territoire Numérique l’événement Ruralitic qui est consacré aux impacts des mutations numériques dans les territoires ruraux. Je porte également le forum Heritech depuis 2019 et aussi les Etats Généraux des RIP à Deauville depuis 11 ans.

Quels sont les enjeux liés à nos patrimoine ?

Sébastien Cote : L’idée d’Heritech a germé lors d’échanges avec l’ancien Président du Conseil départemental de Haute-Loire. Il se sont poursuivis avec Marie-Agnès Petit lorsqu’elle a pris la tête du Département avec l’ambition d’en renforcer l’attractivité et la fierté d’appartenance. En Haute-Loire, il y a depuis longtemps une forte ambition numérique et un actif patrimonial très conséquent.

La définition officielle du patrimoine, c’est “ce qu’une génération transmet à la suivante”, ou plutôt ce qu’elle choisit de transmettre. Le patrimoine, c’est un choix politique. On va choisir de transmettre un monument pour des raisons esthétiques ou historiques.

Lorsque l’on se promène en Haute-Loire, le patrimoine à transmettre est omniprésent. Il y a bien entendu la ville du Puy-en-Velay, mais également le chemin de Stevenson, celui de Saint-Jacques-de-Compostelle, le patrimoine sacré, et lorsque l’on se dirige vers Saint-Etienne, on retrouve un patrimoine industriel de grande ampleur.

Ça, c’est pour le volet patrimoine, pourquoi avoir voulu intégrer la dimension numérique au sujet de la transmission?

On pressent une rupture possible entre les jeunes générations et le patrimoine. Aujourd’hui, si on emmène dans un musée des enfants et que l’expérience se réduit à une déambulation et des cartels écrits, on n’arrive pas à les captiver. On peut alors décider en tant que parents de ne plus faire ce type de visites culturelles en famille. Or, les adultes qui visitent le patrimoine aujourd’hui, ce sont ceux qui l’ont expérimenté plus jeunes. Si les enfants d’aujourd’hui n’explorent plus le patrimoine, leurs enfants ne le feront pas non plus.

C’est donc un risque si l’on se contente du statu quo et que l’on ne travaille pas à rendre ce patrimoine attractif et accessible aux jeunes générations, notamment à travers le numérique. Je ne dis pas qu’il faut subir le diktat du “tout dématérialisé », mais de repenser l’expérience patrimoniale. En termes un peu crus “Si c’est chiant, on n’ira plus”. Il est essentiel que les gestionnaires et propriétaires de patrimoine rénovent leur manière de transmettre. Pour ce faire, nous avons besoin de deux choses : de la médiation et de l’innovation. 

Comment est-ce que l’on innove aujourd’hui sur ce volet-là ?

Sébastien Cote : On travaille sur la fabrication d’expériences. Des fonds européens ont permis d’expérimenter des dispositifs, notamment des applications. Mais maintenant, il faut passer à la prochaine étape et amplifier la démarche. Les gestionnaires de patrimoine doivent monter en compétences pour comprendre les opportunités qu’offre le numérique pour leur stratégie de développement. Or, aujourd’hui ce n’est pas le cas. On retrouve beaucoup de réfractaires qui pensent qu’en développant le numérique cela impactera défavorablement le nombre de visiteurs sur le site. Ce qui est faux. Et d’autres, qui ont des attentes trop fortes vis-à-vis des solutions digitales, et qui se retrouvent ensuite déçus par les résultats, car le miracle n’a pas eu lieu.

Et c’est comme ça que né le forum Heritech. Vous venez de clôturer la dernière édition, expliquez-nous un peu comment cela s’est déroulé et de quoi il a été question ?

C’est un forum national qui a lieu en Haute-Loire, mais nous en sommes en train de le déployer dans d’autres territoires. Il a pour vocation de permettre aux différents acteurs de se mettre en mouvement. C’est un mix d’une quinzaine de stands d’entreprises du numérique, d’ateliers et de conférences plénières.

Cette année, le thème était “Génération patrimoine”. On a parlé des jeunes publics et de leurs attentes en matière de transmission. Pour coller au plus près à leur réalité, nous avons invité trois classes de 5ème de collèges du département à venir présenter leur vision d’une valorisation numérique du patrimoine de leurs collèges.

Une classe souhaiterait développer une application à destination des jeunes d’autres pays. Cette application serait basée sur les centres d’intérêt des jeunes de 13 ans et le contenu serait créé par les jeunes.

Une autre classe a imaginé la possibilité d’utiliser la réalité augmentée pour faire visiter leur collège et retracer une histoire très riche. Enfin, la dernière classe a opté pour une visite immersive à 360° d’une chapelle située à l’intérieur de leur établissement mais inaccessible au public. 

Quels sont les enjeux aujourd’hui autour de la place du numérique dans le patrimoine ?

Sébastien Cote : Ils sont multiples. D’abord, comme je le disais, cela permet de rendre les expériences plus immersives, mais il y a un volet préservation qu’il ne faut pas négliger. C’est parce qu’elle a un jumeau numérique que la “forêt” (la charpente) de la chapelle Notre-Dame-de-Paris peut être reconstruite à l’identique.

Autre point non-négligeable, c’est que le numérique permet de rayonner bien plus largement. Tous les territoires ont la possibilité de mettre en avant leur destination d’une manière originale, une sorte de pré-visite qui donnera envie aux visiteurs de se déplacer.

Le numérique ouvre le champ des possibilités et c’est ce que de plus en plus de touristes recherchent. On passe d’un tourisme de masse où “je veux voir ce que tout le monde a vu” à un tourisme d’expérience, où au contraire “je veux voir ce que personne n’a vu”. C’est un changement de paradigme. 

De manière concrète, quels sont les types d’expériences numériques qui se développent le plus?

La Région Auvergne-Rhône-Alpes a mis en place dès 2019 un appel à projets annuel “ patrimoine et numérique” qui permet de financer des projets à 40 % dans la limite de 40.000 euros. Depuis sa création, la Région a soutenu 79 projets pour un montant d’environ 1 250 000 euros. On trouve beaucoup d’applications géolocalisées. En téléchargeant une application, on peut rencontrer un personnage historique qui nous explique comment avoir accès à des contenus inédits dans le lieu grâce à la réalité augmentée ou qui peut servir d’audio guide en s’enclenchant à des endroits précis.

Il existe également de nombreux projets autour des tables tactiles sur site. C’est une alternative intéressante lorsque l’on est limité dans l’espace. Grâce à ces tables, on accède à des contenus plus approfondis.

Quant à la réalité virtuelle, elle est encore très peu utilisée par les gestionnaires de patrimoine.

Néanmoins, on peut noter, l’initiative d’entreprises comme Sagesse technologies. Elle déploie dans les EHPAD des casques de réalité virtuelle pour permettre à des publics dépendants de s’évader en visitant virtuellement différentes destinations. 

Est-ce que vous avez constaté une prise de conscience des acteurs depuis la première édition ?

Les choses bougent, mais c’est un processus long. Il y a encore un travail de sensibilisation à faire. Aujourd’hui encore, il y a des habitudes budgétaires. Dans le domaine du patrimoine, on investit beaucoup sur la rénovation mais encore peu sur la valorisation et la médiation. 

Il faut prendre conscience que le patrimoine n’est pas une fin en soi. Si on le préserve, c’est pour le transmettre, le faire vivre et le faire découvrir. 

Nous en sommes encore à l’étape des pionniers qui défrichent le sujet, mais cela induit des changements de comportements profonds.

Nous avons la chance d’avoir en France des entreprises extrêmement performantes, notamment sur la qualité graphique des productions. Par exemple, l’entreprise Noovae a développé une expérience immersive dans la Rome Antique. C’est incroyable de réalisme! Par ailleurs, les acteurs Français ont une forte exigence de véracité historique et de vigilance scientifique, ce qui donne beaucoup de valeur aux contenus. 

Est-ce que vous avez des recommandations à nous partager ?

L’expérience immersive “Eternelle Notre-Dame”. C’est un programme qui a déjà été visité par 60 000 personnes. On est à la Défense dans une pièce de 400 mètres carrés, muni d’un casque VR et d’un sac à dos portant une unité centrale et on part à la découverte de l’histoire de Notre-Dame de Paris. Bluffant…

En plus local, allez voir le spectacle immersif Terres de Géants” au Puy-en-Velay. Toujours au Puy, si vous ne pouvez ou ne voulez pas gravir les 268 marches pour atteindre la chapelle au sommet du Rocher Saint-Michel d’Aiguilhe, entrer dans la salle immersive pour une visite à 360°. 

C’est l’instant carte blanche, quelque chose à ajouter ?

Chaque territoire a des merveilles à faire valoir. Pour moi, le numérique permet de faire rayonner, y compris à l’international, notre magnifique patrimoine de manière économique. D’ailleurs, je pense que nous devrions faire des jumeaux numériques de tout ce qui est beau. 

À propos de Pauline Rivière

Pauline Rivière est journaliste et rédactrice en chef du média en ligne le Connecteur. Elle est en charge du choix des dossiers spéciaux mensuels. Elle développe également des outils de datavisualisation à destination de l'écosystème de l'innovation et s'intéresse à l'innovation éditoriale. Avec sa société SmartVideo Academy, elle anime différentes formations à la réalisation de vidéos (au smartphone notamment) et à l’écriture audiovisuelle. Elle intervient également dans l'Enseignement Supérieur dans le cadre de projets pédagogiques digitaux, mêlant techniques de communication et sujets d'innovation.