« Le sable est le héros invisible de notre époque  » Alexandre Guillaume MS

« Le sable est le héros invisible de notre époque  » Alexandre Guillaume MS

La raréfaction des matières premières favorise l’intérêt des industriels du bâtiment pour l’économie circulaire. Une offre de plus en plus large de matériaux recyclés issus de la déconstruction se développe. Pourtant, leur utilisation reste plus que minoritaire sur le marché du logement neuf.
Ces nouvelles filières offrent de réelles opportunités, mais, aujourd’hui, elles ne sont pas encore assez structurées.
Echange avec Alexandre Guillaume, en charge de l’innovation pour MS, une entreprise qui se positionne sur des solutions éco-responsables à destination des acteurs du BTP.

Avant de parler des enjeux autour du sable et du recyclage des déchets des matériaux de construction, parlez-nous de votre parcours.

Alexandre Guillaume MS : Je suis un pur produit local. J’ai passé toute ma jeunesse à Veyre-Monton avec mes deux grandes sœurs. J’ai poursuivi mes études avec un cursus Physique-Chimie aux Cézeaux. Pour comprendre la suite, je dois vous parler un peu de notre parcours familial et entrepreneurial.

MS a été créée en 1976, par mon père, à Veyre-Monton, dans le Puy-de-Dôme dans la maison familiale. A cette époque, il proposait du matériel à destination des professionnels qui exploitaient les carrières et les sablières. Le sable est omniprésent dans les constructions, mais il ne peut pas être utilisé à l’état pur. Plus on veut de la qualité, plus on aura besoin de le préparer et de le transformer.
Dès le départ, mon père a eu envie de créer les premières machines pour valoriser le sable. Aujourd’hui encore, les industries minérales restent un métier important pour MS. Cette activité représente 30 % de notre chiffre d’affaires.

Dans les années 90, l’entreprise a développé une nouvelle expertise : les travaux souterrains. C’est à ce moment-là qu’elle a basculé sur l’international. L’entreprise s’est mise à fabriquer des usines clés en main. D’abord en France, avec Bouygues et Vinci, puis partout dans le monde.

C’est comme cela que notre père nous a fait revenir, avec ma soeur Cécile, dans l’entreprise familiale. Il nous a proposé de gérer deux nouveaux projets d’installations au Caire et à Sydney. Cécile a sauté le pas en 93 et je l’ai rejointe en 96. Aujourd’hui, nous co-dirigeons l’entreprise depuis 2005 avec le départ à la retraite de notre père, et je m’occupe plus spécifiquement des volets commercial et innovation.

Vous en avez déjà un peu parlé, mais est-ce que vous pouvez nous décrire et nous expliquer les différentes activités de MS ?

Au départ, notre activité était concentrée sur le lavage du sable. Dans la famille, nous avons toujours été conscients que l’eau est une ressource rare. Mon père a élaboré les premiers systèmes d’épuration pour le secteur de la construction. Trouver des solutions pour préserver l’eau nous anime depuis toujours.

Quelques années plus tard, des acteurs de la filière ont voulu creuser des tunnels dans des terrains très instables. Il fallait combler le tunnel avec de la boue pour qu’il ne s’écroule pas.
MS a développé des techniques qui permettent de régénérer la boue une fois qu’elle n’est plus utile dans le tunnel. On utilise notamment un procédé qui s’appelle l’hydro-cyclonage, qui sépare l’eau de la matière à partir de la force centrifuge. C’est le même procédé que l’on retrouve dans les aspirateurs Dyson, par exemple.

Vous avez parlé de construction de souterrains au Caire ou à Sydney, comment opérez-vous vos activités depuis Veyre-Monton ?

Alexandre Guillaume MS : Nous sommes une équipe de 100 personnes. Nous travaillons sur des projets dynamiques de quelques centaines de milliers d’euros. D’autres, peuvent atteindre 15 millions d’euros et nécessitent deux ans de gestation.
Si vous venez dans notre atelier, vous verrez que nous construisons des usines complètes clé en main pour permettre le forage des plus grands tunnels du monde. En ce moment, nous avons deux usines sur le Grand Paris, quatre à Londres et Birmingham, et d’autres à venir à Hong-Kong et à Norfolk sur la côte Est des Etats-Unis. 

Depuis les années 90, vous avez continué d’innover et de proposer de nouvelles solutions pour transformer le secteur du BTP …

Oui. Nous sommes très sensibles au concept d’innovation frugale. Faire mieux avec moins. Nous réfléchissons constamment à de nouvelles manières d’apporter de la valeur ajoutée à nos activités. Chaque nouveau projet démarre toujours par une rencontre.
À l’époque, nous faisions partie du cluster des Éco-entreprises pour l’innovation en Auvergne, E2IA. C’est en partie grâce à ces rencontres que nous avons pu œuvrer pour répondre à de nouvelles problématiques, celle de la pollution de l’eau par des métaux lourds, et des sols pollués par les effluents industriels. 
Nous avons réalisé des stations de traitement et d’épuration pour nous attaquer à ce problème.

On rentre dans un sujet assez technique. Est-ce que vous pouvez essayer de nous l’expliquer simplement ?

Alexandre Guillaume MS : Pour illustrer ce dont on parle, je ne prendrai qu’un exemple, celui du chrome VI. Il est connu du grand public, puisqu’il est au cœur du scandale qui est raconté dans le film Erin Brockovich. Le chrome VI est un des pires polluants au monde avec le plomb et le mercure. Il a un impact majeur dans la pollution des nappes phréatiques.

Le chrome à l’état naturel n’est pas dangereux, c’est sa transformation par l’homme qui le rend extrêmement nocif.
On retrouve ce produit en quantité plus ou moins importante dans différents univers de la construction. C’est pour cela que nous avons mené des projets collaboratifs avec le CNRS pour traiter le chrome VI dans l’eau et nous avons réussi à développer une innovation de rupture pour répondre à cet enjeu. 

Est-ce que la France est vraiment concernée par ces problèmes de pollution ? N’est-ce pas plutôt un sujet dans les pays moins regardants sur l’impact environnemental des activités industrielles ? 

C’est un enjeu mondial. En 2020, le chrome VI a fait la Une de l’actualité en France après la révélation par les médias d’un scandale à Marseille. La mairie savait depuis des années que l’eau était polluée au chrome VI, mais n’avait encore rien fait. On était sur des taux supérieurs à ceux mentionnés dans le film Erin Brockovich.

Le problème, aujourd’hui, c’est qu’il peut régner une certaine opacité sur le sujet. Les pouvoirs publics ont agi à Marseille et cette pollution est en cours de traitement avec notre procédé. Mais ce n’est pas toujours le cas, et certaines problématiques environnementales sont occultées. A ce jour, de nombreuses entreprises génèrent encore du chrome VI, mais on ne sait pas toujours par ce qu’il en advient ensuite.

On entend beaucoup parler de la raréfaction de la ressource “sable”. Expliquez-nous quels sont les enjeux, puisque c’est également une de vos activités ? 

Le sable est le héros invisible de notre époque car c’est la seconde ressource naturelle la plus consommée dans le monde après l’eau. Or, les gisements de sable naturel sont en raréfaction. C’est un fait. Le documentaire « Sand wars » est à ce titre très éloquent. La France est plutôt bonne élève car elle a depuis longtemps mis en place des alternatives en utilisant et en transformant de la roche massive des carrières pour produire du sable de qualité.

Cela peut alimenter une controverse autour de la ressource naturelle disponible, si on distingue les sables naturels, de plus en plus rares, et la roche encore largement présente.
Toutefois, une autre voie existe qui est celle d’améliorer l’économie circulaire en recyclant les déblais du BTP. Aujourd’hui, il y a une prise de conscience, et donc de nouvelles réglementations sont mises en place pour améliorer les pratiques.

Pourtant, le taux de recyclage dans la construction est très élevé par rapport à d’autres secteurs ?

Il faut préciser ce que signifie “recycler” dans la filière. On dit que l’on recycle 70 à 80% de nos déblais. Par exemple, lorsque l’on comble des carrières en aménagement paysager, cela rentre dans le pourcentage du recyclage.
Ce n’est pas un problème, mais la valeur ajoutée reste faible à travers le remblaiement. Ce dont nous avons besoin aujourd’hui, ce sont des solutions de recyclage dans une logique de réemploi de haute qualité.

C’est ce que vous avez réussi à développer avec Save Sand. Est-ce une autre innovation de rupture ? 

Alexandre Guillaume MS : Ce que nous avons développé, c’est une solution globale, fruit de 45 ans d’expérience dans les industries minérales et de notre capacité à gérer des installations de grande ampleur, clé en main. Nous avons rassemblé avec « Save Sand » des techniques qui permettent de transformer le déblai en qualité produit béton.
On fabrique de nouveaux matériaux de construction haut de gamme à partir de ces déchets. Nous ne sommes pas sur une version low-cost du sable, mais sur une proposition qui répond complètement au niveau de qualité exigé dans les nouvelles constructions. 

Et ça fonctionne ? Le marché est-il assez mature ? 

Pour parler du local, j’espère que « Save the Sand » va être déployée lors de la déconstruction de la « muraille de Chine » à Clermont-Ferrand. Elle pourrait permettre de transformer les déblais en circuit court pour construire les bâtiments du nouveau projet urbain.

L’économie circulaire est en train de se développer dans tous les secteurs d’activités. Les professionnels y voient de plus en plus une opportunité plutôt qu’une contrainte supplémentaire. 

La nouvelle réglementation RE 2020 devrait pousser le secteur à se transformer encore plus rapidement.

Oui. Mais il faut aussi comprendre les business models de la filière. Les entreprises vont investir énormément ponctuellement et vont ensuite faire vivre les installations pendant 20 ans. L’impact de la crise de 2008 a été majeur pour ce secteur. Pendant des années, les entreprises ont dû faire avec des outils industriels surdimensionnés. Cette crise n’a pas encouragé l’investissement pour développer une activité plus vertueuse.

Aujourd’hui, on voit émerger des alternatives intéressantes avec le bois ou la paille par exemple. Ces solutions représentent une toute petite part de marché et sont à voir comme des compléments positifs. Mais la révolution majeure doit se faire dans le développement de nouvelles filières autour du béton. 

Qu’est-ce qui freine le développement des solutions de recyclage. Ça paraît être du bon sens ?

A ce jour, la filière des déblais est incertaine. Techniquement, des solutions existent et il y a des clients pour ces nouveaux produits. Le problème avec cette nouvelle filière, c’est que, bien que plus vertueuse, elle est aussi plus complexe. Il faut pouvoir sécuriser l’approvisionnement en matières premières à recycler qui est aujourd’hui compartimenté entre plusieurs acteurs. 

Heureusement, de nouvelles entreprises voient le jour pour répondre à cette problématique. Par exemple, Hésus s’est spécialisée dans l’optimisation de la gestion de tous les déblais BTP.
Elle fait l’intermédiaire, entre un chantier, qui a besoin d’évacuer les déblais, un transporteur et une entreprise spécialisée dans la valorisation de ces déblais.
Pour transformer réellement la filière, il est nécessaire de changer le cadre et de prendre comme base d’organisation le cycle de vie du matériau de construction.

C’est l’instant carte blanche, quelque chose à ajouter ?

Le partage d’une phrase de Marcel Proust qui m’accompagne au quotidien : « Le seul, le vrai, l’unique voyage, c’est de changer de regard ».

Dans la tête d’Alexandre Guillaume MS

Ta définition de l’innovation : « Less is more » ou comment faire mieux avec moins

Une belle idée de start-up : Ce n’est plus une start-up depuis longtemps mais j’ai été fasciné par le potentiel immense dans le domaine de la santé autour du microbiote porté par la société Biose où œuvre mon ami Stanislas Desjonqueres. Notre corps contient plus de bactéries que de cellules ; cette donnée m’avait profondément interpellé. Faire travailler en symbiose ces bactéries, c’est une voie d’avenir considérable.

La start-up qui monte : Carbios ou comment révolutionner durablement l’industrie du plastique

Où est-ce que tu vas à la pêche à l’info : je crois avant tout aux rencontres pour faire émerger des idées. Que ce soit à travers mon club de formation continue APM, au sein de notre organisation professionnelle Evolis ou d’association comme la Marque Auvergne que nous soutenons, cela permet de belles rencontres qui permettent de s’enrichir. Sinon, je suis de près Linkedin.

Une recommandation pour s’instruire (livre, podcast, magazine, série) : Je suis un grand admirateur de Gibran (« le prophète », mon livre de chevet), un écrivain qui m’inspire sur la connaissance de soi. 
J’aime aussi particulièrement les podcasts « affaires sensibles » sur France Inter et « les chemins de la philosophie » sur France Culture. Enfin, je recommande d’écouter une conférence de Jean Marc Jancovici ou de lire cette remarquable BD « le monde sans fin » où le sujet majeur de l’énergie est remarquablement expliqué.

Une recommandation pour rire (livre, podcast, magazine, série) : Visionner des sketchs de Florence Foresti.

Une femme qui t’inspire/experte : Barbara pour l’émotion qu’elle suscite en moi depuis toujours. Des textes et des mélodies intemporels.

L’Auvergnat.e d’ici ou d’ailleurs avec qui tu aimerais bien boire un coup : L’autrice Cécile Coulon. Je lui trouve beaucoup de talent et je sais que nous partageons aussi la passion de la course à pied. 

À propos de Pauline Rivière

Pauline Rivière est journaliste et rédactrice en chef du média en ligne le Connecteur. Elle est en charge du choix des dossiers spéciaux mensuels. Elle développe également des outils de datavisualisation à destination de l'écosystème de l'innovation et s'intéresse à l'innovation éditoriale. Avec sa société SmartVideo Academy, elle anime différentes formations à la réalisation de vidéos (au smartphone notamment) et à l’écriture audiovisuelle. Elle intervient également dans l'Enseignement Supérieur dans le cadre de projets pédagogiques digitaux, mêlant techniques de communication et sujets d'innovation.