[OPINION] Nicolas Brien, la 5G et France Digitale

[OPINION] Nicolas Brien, la 5G et France Digitale

Nicolas Brien est montluçonnais. Installé à Paris depuis plusieurs années, il est aujourd’hui Directeur Général de France Digitale. France Digitale est le plus grand réseau de start-ups en Europe.
Il rassemble deux mille start-ups adhérentes ainsi que les cents fonds de capital risque présents en France. Le Connecteur a souhaité recueillir le point de vue de France Digitale sur le débat autour de la 5G qui secoue la société française. 

Si je te dis 5G. Est-ce que vous, France Digitale, vous vous sentez concernés ?

Nicolas Brien : De notre point de vue, la 5G est plus un sujet de télécom qu’un sujet de start-up. Comme la 5G n’est pas encore déployée, peu de start-ups ont développé des usages autour de celle-ci. 
Le débat, aujourd’hui, tourne plutôt autour des usages prospectifs : est ce que cela apportera du progrès ou une dégradation dans notre quotidien ?

On dit de la 5G que c’est une technologie de rupture… Tout à fait d’accord, plutôt d’accord, plutôt pas d’accord, pas d’accord du tout ? 

N.B : La 5G n’est pas une vague technologique comme le quantique ou le machine learning. On est sur la 5° génération d’une technologie qui existe depuis très longtemps. Il faut le voir comme un changement marginal par rapport à l’existant et non pas comme un nouveau paradigme technologique comme c’est le cas, par exemple, avec les communications quantiques. 

Donc, si on parle des usages, la 5G et France Digitale, c’est un non-sujet ? 

N.B : Je ne suis pas expert sur le sujet. Je m’exprime en tant que citoyen éclairé qui s’est renseigné en lisant notamment des publications sur le sujet. Très concrètement, la 5G permet d’éviter les temps de latence. Ça peut paraître anecdotique, mais ce sont les micro-secondes de latence de connexion qui empêchent aujourd’hui un certain nombre d’usages.
Par exemple, en e-santé avec la chirurgie de haute précision: quand on opère à coeur ouvert à l’aide d’un robot assistant le chirurgien, on ne peut pas se permettre une demi-seconde de latence. 
Idem pour les véhicules autonomes, une microseconde de latence peut se révéler très dangereuse.

Ces deux exemples, c’est que nous avons lu et relu dans tous les articles concernant la 5G. Il n’y a rien d’autre ?

N.B : Aujourd’hui, l’intérêt se limite à certains usages très précis. Avec le temps, il est fort possible que l’on en trouvera plein d’autres, dans les transports, la santé, l’industrie.

source : France Digitale

Il y a des levées de boucliers et de vœux de moratoire sur l’installation des antennes 5G. Tu es en contact avec des structures un peu partout en Europe. Est-ce que l’on va passer pour “des Gaulois réfractaires” au niveau européen avec nos réticences autour de la 5G ?

N.B : On a tendance à l’oublier, mais le leader mondial de la 5G est européen, et c’est Ericsson. On s’est beaucoup inquiété de la “mainmise” des acteurs chinois sur le sujet, pourtant, nous sommes bel et bien présents alors que les Etats-Unis ne le sont pas. 
Notre continent à des choses à dire sur la scène technologique et un savoir-faire remarquable.

Finalement, derrière la 5G, il y a deux façons de voir le monde. D’un côté le progrès technologique et le toujours plus et de l’autre l’envie d’appuyer sur STOP et de questionner une fuite en avant hors de contrôle. Tu connais très bien le monde des start-ups. Est-ce que ces questions se retrouvent aussi dans le monde du digital ?

Nicolas Brien : Faire de l’innovation n’est pas toujours synonyme de progrès technologique. “L’innovation pour l’innovation”, ça n’a pas d’intérêt si à la fin la majorité des Français ne voient pas leur situation s’améliorer.
Aujourd’hui, encore plus qu’hier, il y a une responsabilité de la part des start-ups et des acteurs technologiques de mesurer leur impact social et environnemental afin de s’assurer que leurs produits et leurs services bénéficient au plus grand nombre. 
Mise entre de bonnes mains, la technologie peut avoir un  un impact très positif dans la société. Blablacar par exemple permet d’économiser la production annuelle de CO2 de la ville de Paris.
Quant à Doctolib, la plateforme a permis de sauver la vie de centaines de seniors en zones rurales pendant la pandémie.

On peut lire de plus en plus d’articles interrogeant sur la place et le rôle des start-ups françaises dans la société. Est-ce que l’on assiste à une prise de conscience, une remise en question ?

N.B : L’écosystème des start-ups françaises arrive à un nouveau niveau de maturité. Il y a une dizaine d’années, c’était des petites boîtes qui faisaient des petites choses.
Maintenant, on parle de “scale up”, ou des ETI pour éviter les anglicismes. leur responsabilité vis-à-vis de la société grandit avec la taille de l’entreprise.
Cette question de l’impact social et environnemental doit être au cœur des activités des uns des autres. Je trouve très positif qu’un nombre croissant d’investisseurs technologiques décide d’aller au-delà les vieux ratios financiers pour inclure des mesures de l’impact environnemental des startups qu’ils financent.

source : France Digitale

Est-ce qu’il y a des secteurs plus porteurs que d’autres dans la Tech française ?

N.B : Lorsque l’on regarde au niveau mondial quels sont les leaders de l’impact environnemental, on retrouve beaucoup de très belles pépites françaises. Backmarket par exemple, qui est le leader européen, voire mondial du reconditionnement de smartphones.
Quand on sait que 80 % des émissions d’un smartphone tout au long de sa vie sont émises au niveau de sa production, on s’aperçoit que la question du reconditionnement est fondamentale si on veut réduire l’empreinte carbone du numérique.


Et bien justement la boucle est bouclée. L’arrivée de la 5G signifie le remplacement, à terme, de tous les smartphones. Là, l’empreinte carbone va être significative.

Nicolas Brien : On ne va pas faire semblant de découvrir que nos téléphones sont hors d’usage au bout de deux ans ! L’obsolence programmée existe depuis bien avant l’arrivée de la 5G !
Si on veut prendre au sérieux le sujet et réduire l’impact environnemental du numérique, il faut s’intéresser à un chiffre: 80% du CO2 émis par un smartphone tout au long de sa “vie” l’est au moment de sa fabrication. 
Ce chiffre nous dit une chose très simple: on peut essayer de réduire notre consommation de “data”, cela ne traite que 20% du problème !

Nous devons collectivement réfléchir aux solutions pour produire moins d’appareils électroniques. Le moyen le plus rapide et efficace de réduire l’empreinte carbone serait de moins acheter de smartphones neufs et de recourir plus souvent à des téléphones reconditionnés…
J’ai une conviction forte sur le sujet : nous devons passer du “made in china” au “remade in France”. Il est de la responsabilité des opérateurs télécoms de prendre à bras-le-corps le reconditionnement de leurs appareils et des ordinateurs portables.

Dernière question. Pour toi, à quoi ressemble la France digitale en 2026 par exemple ?

N.B : Je crois que de plus en plus que Paris va devenir la capitale européenne de la technologie. Elle va prendre ce leadership qui incombait à Londres et va nous permettre de nous réconcilier avec notre histoire. La France, c’est le pays de Gustave Eiffel, nous sommes une nation d’entrepreneurs et d’inventeurs, alors n’ayons pas peur.

Dans la tête de Nicolas Brien

Ta définition de l’innovation : développer un usage technologique nouveau, au service des Hommes

Une belle idée de start-up : je réfléchis souvent à lancer le « Uber des déchets ménagers ».

La start-up qui monte : je suis assez admiratif de Carbios. Outre le fait qu’ils ont l’immense qualité d’être auvergnats 😉 , cette entreprise pourrait bien mettre fin à l’ère du plastique.

Où est-ce que tu vas à la pêche à l’info : concernant les start-ups je trouve que Sifted est de grande qualité, mais je me nourris surtout de newsletters : Politico Tech, PetitWeb, TechTrash, Capital Call

Une recommandation (livre, podcast, magazine, série) : The Game, d’Alessandro Barrico. Probablement le livre le plus intelligent jamais écrit sur la révolution numérique. 

Un vœu pour 2021 : qu’innovation et progrès social soient synonymes .

Et la dernière. Si je te montre ça….

….tu me réponds ? La vie a plus d’imagination qu’un ingénieur 😉

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À propos de Pauline Rivière

Pauline Rivière est journaliste et rédactrice en chef du média en ligne le Connecteur. Elle est en charge du choix des dossiers spéciaux mensuels. Elle développe également des outils de datavisualisation à destination de l'écosystème de l'innovation et s'intéresse à l'innovation éditoriale. Avec sa société SmartVideo Academy, elle anime différentes formations à la réalisation de vidéos (au smartphone notamment) et à l’écriture audiovisuelle. Elle intervient également dans l'Enseignement Supérieur dans le cadre de projets pédagogiques digitaux, mêlant techniques de communication et sujets d'innovation.