Le Connecteur est un média associatif. Son conseil d’administration est donc le creuset du projet global. Une série de portraits pour comprendre ce qui rassemble ceux qui ont eu envie de rejoindre – ou poursuivre – l’aventure. Chacun a répondu aux mêmes questions: son lien au territoire, le sens de l’innovation, ses envies, ses valeurs… avec sa sensibilité.
Pierre, tu fais quoi dans la vie ?
J’ai eu plusieurs vies : je suis ingénieur en agriculture. J’ai exercé 10 ans le métier de journaliste puis j’ai passé 18 ans dans la banque (NDLR Crédit Agricole Alsace-Vosges puis Crédit Agricole Centre France) dans le domaine du marketing, de l’animation commerciale, de l’expérience client, de l’innovation et du développement durable. Aujourd’hui, je suis consultant et facilitateur, avec une approche qui me permet d’unifier tous mes métiers antérieurs.
Avec Regards Mêlés, qui est d’ailleurs la première société à mission officiellement enregistrée dans le Puy de Dôme, j’accompagne les entreprises en hybridant des « outils méthodologiques » : l’exploration créative, l’écoute de l’écosystème (les clients, les fournisseurs, les équipes, …), la prospective … L’enjeu est de mobiliser de multiples regards pour les aider à trouver leur juste place, leur sur-valeur, leur valeur ajoutée différenciante, cette place où elles vont résonner avec impact sur un marché et qui va leur permettre de prospérer durablement. La durabilité des entreprises, leur “sustainability” ou leur développement durable, sont des notions très transversales. Elles impliquent toute l’entreprise.
Une sensibilité bien ancrée
C’est un sujet que je pratique depuis longtemps. En 2007, j’ai fait partie des membres fondateurs de la Plateforme 21 (https://www.plate-forme21.fr/), une association pour l’information et l’échange de pratiques et d’analyses en faveur du développement durable réunissant les collectivités territoriales, les entreprises, les associations et les établissements d’enseignement. Aujourd’hui, je co-construis les formations professionnelles pour le Campus de la Transition (https://campus-transition.org/) et je fais partie de la communauté française des FSSD players, des acteurs d’un développement durable stratégique et opérationnel.
Pour intervenir dans ces différents domaines, j’ai fait alliance avec des spécialistes, en conseil en management, en design, en mentoring commercial ou en accompagnement à la transition, par exemple. Finalement, l’enjeu pour une entreprise est d’inspirer confiance pour créer de la valeur dans la durée.
Ce qui t’anime par rapport à cette question de territoire(s) ?
Je suis un paysan, dans le sens littéral du terme : j’habite au pays, même si je viens d’ailleurs. J’ai envie de bien vivre, ici, en Auvergne. Et je suis convaincu qu’un territoire ne peut bien vivre que s’il y a suffisamment de richesses pour les personnes qui habitent sur place. La question est donc de savoir comment faire en sorte que le territoire soit le plus prospère possible. Comment peut-il faire pour qu’il fasse émerger de la valeur par l’innovation, que cette valeur soit financière, matérielle, culturelle, ou sociale…
Je me sens bien en Auvergne. J’aime bien la personnalité des auvergnats, son humilité, sa discrétion. C’est une région où il fait bon vivre. C’est un endroit complexe où ville et nature s’entremêlent. Le vivant est proche, il y a beaucoup de facettes… Je n’ai pas fini de les découvrir.
L’enjeu : l’innovation, ça devrait servir à…?
Pour moi, l’innovation n’est qu’un moyen, un outil. C’est un peu comme un marteau. Un marteau, cela peut servir à planter des clous pour construire un meuble ou devenir une arme. L’innovation ne vaut que par le dessein qu’on lui porte : pour qui et dans quel objectif ?
Pour moi, l’innovation doit servir à la création de valeur économique, humaine et d’utilité sociale, en lien avec toutes les parties prenantes d’une entreprise : les actionnaires, les salariés, mais aussi les fournisseurs, le territoire et le système terre.
Aujourd’hui, innover pour un futur souhaitable est vital. La crise de la covid a montré le haut degré d’incertitude de notre monde. Notre perception de dangers potentiels est très élargie, qu’ils soient climatiques, liés à biodiversité, ou sociétaux … On ressent de plus en plus que l’on est en train de passer des points de non retour. Il y a aussi une prise de conscience de notre rapport à la technologie. Elle va tout résoudre pour certains. Pour d’autres, il s’agit de la bannir. En fait, dans un tel contexte, notre système de pensée approche ses limites quand il s’agit de penser demain. Même si je crois à la capacité d’adaptation et à l’intelligence de l’espèce humaine, il faut aller chercher dans les process d’innovation, ce qui nous permet d’envisager le monde différemment.
Changer de prisme
On ne peut plus aborder nos besoins avec le même prisme. Il faut se questionner pour espérer changer d’approche : et si on traitait la santé autrement ? et si l’économie fonctionnait autrement ? Et si je pensais mes loisirs autrement ? Il ne s’agit pas de remettre en cause les besoins fondamentaux humains de subsistance, de protection, d’affection, de liberté, de créativité, de reconnaissance, de loisirs, de participation, ou d’identité. Mais il s’agit juste de prendre un peu de recul sur la façon dont on y répond, ce qui est nécessaire, ce qui est important, ce qui est secondaire …
L’innovation est un moyen essentiel pour explorer ce genre de questions.
Les valeurs à défendre ?
Aider le plus grand nombre à naviguer dans la complexité de notre monde afin d’y ouvrir des perspectives positives. Il s’agit d’accepter que tout ne puisse pas être simplifié et contribuer, autant que faire se peut, à guider les personnes dans une meilleure compréhension de ce qui se passe.
J’aime ouvrir les possibles : faire percevoir que, sur tout sujet, il y a plusieurs voies possibles. Donner à voir ce qui est bien, positif, constructif… sans angélisme.
Et ce faisant, favoriser l’optimisme et l’espoir : chacun a besoin de penser à un futur souhaitable et désirable, qui ne laisse pas les gens sur le bord de la route.
Dans mes valeurs cardinales, il y a la justice sociale, indispensable si on veut éviter l’explosion de notre société… l’inclusion, dans le sens de ne laisser personne sur le bord de la route, l’authenticité dans le sens de l’honnêteté intellectuelle qui va avec la tolérance et l’ouverture.
Une action collective à laquelle tu participes et dont tu es fier?
Sans hésiter, TEDxClermont, parce que justement, le dessein de TEDxClermont c’est d’ouvrir le champ des possibles pour la communauté, d’apporter des idées qui fassent réfléchir sur soi-même !
Quand on fait monter sur scène, Charles Etienne Dupont, gestionnaire forestier professionnel, qu’il parle de son horizon professionnel qui est le siècle, cela m’interroge sur mon propre rapport au temps. Comment puis-je combiner des actions synergiques qui répondent aux besoins du court terme et du long terme ? Autre exemple, lorsque je repense au talk d’ Yvan Saint-Jours, premier à avoir construit en France une tiny house de 16m², cela suscite forcément une introspection sur ma propre relation aux possessions. De même, pour celui de Dorine Bourneton, » l’impossible n’est qu’une étape”. Elle raconte comment après un accident d’avion à 16 ans, elle est devenue pilote de voltige au Salon du Bourget en levant tous les obstacles.
Les talks de TEDxClermont portent tous une idée clé qui me fait réfléchir et peut changer la façon dont j’envisage le monde.
Tedx Blues
Et puis, s’il y a ce que chacun voit sur scène, il y a aussi les coulisses. Au sein de TEDxClermont, je côtoie une équipe de très belles personnes depuis 2015. C’est vraiment, une très belle aventure collective !
D’ailleurs, je parle souvent du TEDx blues : le lundi post événement, quand tu retrouves le monde normal après avoir vécu un truc incroyable en émotions, en adrénaline … J’ai hâte que l’après-covid nous permette de retrouver cette expérience de lien magique entre les speakers, le public, les partenaires et l’équipe.
Concernant les projets du Connecteur, sur quoi aurais-tu envie de t’investir ?
Ce n’est pas un projet du Connecteur mais un projet auquel participe le Connecteur : la transformation de Cataroux. C’est un énorme projet, qui peut être un véritable accélérateur pour la transition économique, écologique et sociale du territoire. Je le disais au début, en tant que paysan, je suis convaincu que si le territoire n’a pas d’activités qui tiennent la route, cela générera des tiraillements énormes. Il y a des défis importants à relever et si on ne bouge pas. Il y aura des entreprises sur le carreau et cela entraîne fatalement une profonde crise sociale. Un pôle comme Cataroux peut vraiment devenir un vrai levier de transition des modèles mentaux, des modèles économiques, de prise en compte du système terre … Il y a un énorme chantier de partage de connaissances à engager, dans l’écosystème et à l’intérieur même des entreprises: tout est encore trop segmenté, en silos, il faut favoriser ce décloisonnement générateur de nouvelles approches. Depuis deux ans, le monde de la finance s’est engagé dans la question de l’impact. De nombreux fonds d’investissement prennent en compte ces critères que l’on appelle E.S.G (pour Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance). Les grosses entreprises ont tous ces critères dans leur scope. Elles vont les faire redescendre vers les partenaires, leurs fournisseurs, …
Enrôler les PME
Il faut que les PME soient prêtes aussi. Il y a un énorme enjeu de culture collective et d’accompagnement.
Et aussi de définition de ce que l’on veut demain, quel futur est souhaité. Ensuite, on peut imaginer comment on y va, en naviguant avec les contraintes et les enjeux qu’on se donne. Avec Catherine Redelsperger, créatrice de l’Atelier des Dialogues, coach, consultante et écrivaine, nous explorons un outil que je trouve fabuleux : l’écofiction. Ce sont des récits courts à la fois dystopique et utopique qui déplacent l’imaginaire et amènent les participants vers des questionnements fondamentaux. C’est extrêmement efficace pour ouvrir des chemins de réflexion globaux et concrets. Par l’imagination, ils permettent de toucher sa propre capacité à entrer en transformation, à envisager son propre rôle, à identifier ses blocages … Le même enjeu est à l’oeuvre, lorsqu’on va en forêt avec le Sylvomimétisme ou lorsqu’on fait une exploration créative en entreprise.
Mon regard sur le monde fait le monde !
Le meilleur conseil jamais reçu ?
Il m’a été prodigué par Michel Chaux, qui travaillait chez Michelin : pour mettre toutes les chances de faire avancer un projet, il faut toujours penser EX2 (EX carré), rassembler des explorateurs et des exploitants et faire en sorte qu’ils se parlent et travaillent ensemble. L’explorateur pour ouvrir, l’exploitant pour sécuriser.
Ton plus bel échec ?
En janvier 2001, l’éclatement de la bulle internet ne m’a pas permis de poursuivre la création d’un fil d’actualité quotidien sur internet lancé en 1999 et qui s’appelait “AgriOnline”. Nous produisions de 12 à 20 dépêches par jour, en étant trois journalistes et en associant les 55 cartes de presse du Groupe France Agricole. En deux ans, nous avions exploré de nouvelles façons de traiter l’information, qui restent encore aujourd’hui d’actualités. Nous avions construit une notoriété auprès des décideurs du monde agricole. Mais, nous n’avions pas réussi à trouver le modèle économique.
Ton épitaphe de rêve ?
Un coffre fort ne suit jamais un corbillard. Quel est l’essentiel d’une belle vie ?
Tes respirations/ inspirations : lectures, podcasts, …
Les livres :
Manuel de la grande transition … Former pour Transformer Collectif Fortes Editions Les liens qui libèrent (http://www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-Manuel_de_la_grande_transition-9791020909060-1-1-0-1.html)
Ce manuel permet d’approcher les questions de transition écologique, économique et sociale avec 6 jalons et d’entrer en complexité sans rien oublier sur le bord du chemin.
Penser comme un arbre, Jacques Tassin Editions Odile Jacob (plein de petits posts it de toutes les couleurs) (https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences/sciences-de-la-terre/penser-comme-un-arbre_9782738144362.php )
Nous ne sommes que des grands singes (surtout moi) qui sommes descendus de notre branche et nous l’avons oublié.
Ce livre fait écho à ma présence au monde, à la coopération, à ce que l’arbre a à nous apprendre, à la vision qu’on peut avoir d’un développement vers des sociétés désirables. Jacques Tassin, son auteur, est à la fois scientifique et philosophe.
All you need is love live the oblique vision experience Bertrand barré Mag Editions (https://livre.fnac.com/a2772931/Bertrand-Barre-All-you-need-is-L-O-V-E)
Un livre de 2009 qui montre comment il est nécessaire de se réinventer dans un marché saturé autour d’un triptyque Structure / Fonction / Symbolique > le livre le plus transformateur que j’ai eu en main quant à ma relation à l’innovation. En plus, comme je louche, cela me va bien d’avoir un regard oblique sur les choses. J’ai d’ailleurs pensé à ce livre quand j’ai appelé mon agence d’accompagnement opérationnel des entreprises : regards mêlés.
Tous centaures ! Eloge de l’hybridation, Gabrielle Halpern Editions Le Pommier (https://www.editions-lepommier.fr/tous-centaures)
Etre créatif, c’est cultiver l’habitude de créer des ponts inédits entre des informations, des connaissances, des idées, des mondes. Pour cultiver la créativité, et donc générer du changement, il faut procéder par association du dissemblable, par hybridation de l’hétéroclite. Gabrielle Halpern parle du tiers inclus : né de l’association d’idées, de la confrontation de plusieurs objets , de leur contradiction et de leur dialogue. Il s’agit de se soustraire aux habitudes de la raison.
Les Tedx cités