Virginie Rossigneux. Favoriser la controverse.

Virginie Rossigneux. Favoriser la controverse.

Le Connecteur est un média associatif. Son conseil d’administration est donc le creuset du projet global. Une série de portraits pour comprendre ce qui rassemble ceux qui ont eu envie de rejoindre- ou poursuivre – l’aventure. Chacun a répondu aux mêmes questions: son lien au territoire, le sens de l’innovation, ses envies, ses valeurs, … avec sa sensibilité. Cette semaine c’est Virginie Rossigneux qui répond à nos questions.

Virginie est coach. D’individus et d’équipes. Egalement psychothérapeute et danse thérapeute centrée sur le lien, l’altérité, la transformation et la créativité. Elle a eu une autre vie, ailleurs, elle n’a pas toujours été coach : Virginie était artiste. Danseuse, dans des compagnies de danse et de théâtre, à Paris. Un jour, elle a décidé de changer d’air. Et s’est installée en Auvergne, dans les Combrailles, il y a 17 ans. Elle fait partie du CA du Connecteur depuis 2018 et anime le Club Open Inno depuis son origine.

Virginie, qu’est ce qui t’anime par rapport à cette question de territoire(s) ?

Un territoire pour moi, c’est le lieu de ma capacité à agir. Le fait de faire partie d’une communauté, de tisser des liens sociaux et affectifs.  Pour moi c’est vital. J’ai compris ça en vivant dans les Combrailles. 

Objectivement, c’était un choc. J’étais intermittente du spectacle; je vivais à La Chapelle, quartier multiculturel. Je suis arrivée, enceinte, à Biollet. C’était super mais difficile. J’ai vécu ce qu’il peut y avoir de compliqué à communiquer et à se comprendre quand on ne vit pas les mêmes choses, qu’on ne part du même endroit.  Il y a une vraie difficulté de compréhension entre néo ruraux et agriculteurs, qui vient de la diversité des parcours, mais qui s’exprime dans la confrontation …  C’est aussi un territoire qui n’est pas beaucoup valorisé. Il me semble que cela a un impact sur l’estime de soi. J’ai trouvé difficile de mener des actions collectives parce qu’il y a une sorte de fatalisme, de manque de confiance qui finit par se traduire par une perte de sens et d’espoir … 

Le connecteur, un nom qui porte un engagement

C’est ce qui m’a plu lorsque j’ai rejoint Clermont puis le Connecteur. Avec ce nom, il y a un engagement à créer du lien, pour faire communauté, autour de l’innovation. Mais honnêtement, ça aurait pu être autre chose, l’innovation ce n’est pas mon moteur.

En revanche, se connaître, avoir des idées, être créatifs ensemble, ça c’est ma came !

Le Connecteur, c’était top pour ça. Dès le nom, on apprend à penser ensemble, à partir de nos points de vue, de nos compétences, de nos créativités. J’y suis restée parce que je m’intéresse à l’innovation sociale, c’est une partie du positionnement qu’adopte Le Connecteur. C’est à dire qu’il ne s’intéresse pas qu’à la tech. Il se penche aussi sur toutes les initiatives qui peuvent contribuer à réinventer le territoire, notre identité, produire de la valeur …

Je parlais des Combrailles. Il y a beaucoup de territoires éloignés, qu’on voit peu. Je suis convaincue que se raccrocher à d’autres, plus urbains, se connecter à d’autres écosystèmes … ça a beaucoup de valeur.

Se sentir faire partie d’une communauté plus large, dynamique, forte, inclusive … ça renforce, ça contamine. Par effet miroir, ça change le regard que l’on porte sur soi.

Un média est super important pour tout ça. 

L’enjeu : l’innovation, ça devrait servir à…?

C’est ce que je mets derrière le mot “Innovation sociale”. Pour moi, nos capacités créatives devraient servir à faire société. Nous devons réinventer notre pacte social et environnemental. Il faut trouver de nouvelles solutions à des situations complexes. En jouant plus collectif, en laissant plus de place, y compris dans sa production de valeurs, à ce qui sert le bien commun. 

Il y a des choses à engager sur les  questions de mobilité, d’énergie, pour lesquelles il faut arrêter d’attendre que les élus, les gouvernements, etc disent et fassent. Chacun peut être acteur et engagé. Mais cela ne se fait pas sans douleur surtout que nous sommes sur des questions existentielles. La question de comment nous continuons d’habiter le monde nous pousse à regarder une autre question ontologique. C’est celle du sens, de la mort, des conditions du vivant que nous incarnons. 

Le commencement de quelque chose …

Il y a plein de choses qui émergent mais qui ne vont pas au bout … C’est un tout début, un mouvement qui s’amorce. L’enjeu est de taille.…

Dans ce fond de décor existentiel où les problématiques climatiques nous échappent, nous continuons d’accélérer pour, selon moi, ne pas sentir le trouble existentiel dans lequel nous sommes plongés. Or travailler en collectif, c’est donner du temps et accepter que les choses n’avancent pas à son rythme, selon son idée, sa vision …

Toutes ses dynamiques sont aujourd’hui prises entre le feu du résultat et le trouble mortel de notre finitude. 

Notre période s’inscrit dans un contexte de consommation individualiste où il n’y a plus de socle collectif, dans le voisinage par exemple … On doit se retrouver autour de projets citoyens alors même qu’on n’a plus la sécurité de faire communauté. On ne se parle plus. Les places publiques sont vides. Les marchés se raréfient. Les supermarchés sont devenus nos lieux de retrouvailles ! Alors oui on continue de fabriquer du collectif mais dans l’entreprise au service de la performance. Alors que le collectif de soutien, d’entraide est essentiellement investi par le monde associatif et les communautés alternatives,  plus par les villages. 

Faire ensemble

Il faut reconstruire notre sécurité d’être ensemble pour pouvoir faire ensemble. Je suis inspirée par toutes les actions qui arrivent à faire en sorte qu’on arrive à parler de nos peurs et de nos vulnérabilités.

Faire de l’empathie collective permet de se décoller de son opinion. 

Dès lors que l’autre peut exprimer son ressenti, sa réalité vécue de la situation, chacun peut comprendre, au sens premier du terme, prendre avec soi, faire le chemin pour renoncer à une partie de ses certitudes et commencer à chercher d’autres solutions.

J’aime beaucoup Le Connecteur pour cette dimension ‘témoin de la société’ voire traducteur. J’aime aussi, parce que j’y suis très sensible, le côté incarné porté par les portraits d’acteurs par exemple. C’est un média qui “montre” les gens, ramène les organisations à des histoires. Ou, par les chroniques écrite et audio de la newsletter, qui nous amènent dans les univers de Pauline et Véronique. J’aime cette liberté de ton. 

Pour toi, Virginie, quelles valeurs faut-il défendre ?

Le fait de permettre l’expression de chacun, que chacun ait sa place, sans jugement de valeur. J’aime bien ça au Connecteur aussi, il n’y a pas de petites et grandes innovations. Ce n’est pas un média qui met en avant seulement les réussites et les résultats. 

C’est la notion d’inclusion. Un mot à la mode, mais c’est quand même l’idée : que  tout le monde puisse avoir sa place, que l’on valorise la  créativité, le travail, … En particulier, sur les initiatives qui émergent, au moment où elles sont peu visibles … C’est un moment délicat pour le porteur de projet et son écosystème. On a souvent besoin d’un regard tiers pour mesurer son impact, son rayonnement. Ca rejoint cette notion d’estime de soi et de confiance évoquée plus haut. Le Connecteur peut permettre de prendre ce recul, c’est motivant et contribue à une vision plus large de son impact.

Relier pour faire ensemble

Autre valeur à défendre, ce serait la capacité à relier des parties qui ne se connaissent pas. Que ce soient des territoires, des secteurs d’activités, des individus … C’est le socle dont nous avons besoin pour faire ensemble. J’aimerais qu’on aille aussi jusqu’à organiser de la controverse plus scientifique.

Aujourd’hui, on ne débat plus, on s’oppose dans nos opinions.

Il est important de permettre le débat dans de bonnes conditions. Donner un cadre d’expression, poser des sujets à controverse où il y a des contenus scientifiques, définir des règles du jeu. Le questionnement, la prise de recul, l’ouverture, ce sont des vecteurs fondamentaux pour innover et, au-delà, pour faire vivre la démocratie autrement que par le rythme de calendrier électoral. 

Une action collective à laquelle tu participes et dont tu es fière?

Alors, Le Connecteur pour commencer ! Et sinon, je ne suis pas dans une période très collective en ce moment. Selon les moments de la vie, on a plus ou moins d’énergie à partager.

Il y a quand même quelque chose que je fais depuis plusieurs années avec une petite  association. J’amène les enfants à l’école à vélo l’association s’appelle Caracycle. C’est un moment très sympa, on fait un peu de pédagogie autour de la sécurité routière, on passe par les petits chemins de campagne, on regarde la nature ensemble c’est agréable pour tout le monde, enfants et accompagnants.

Concernant les projets du Connecteur, sur quoi aurais-tu envie de t’investir ?

Je ne sais pas trop comment mais j’aimerais assez contribuer à ce sujet de la controverse qui me paraît très important. Ce n’est pas facile à mettre en œuvre, il faut remettre de la rigueur dans l’espace public. 

Je partage aussi l’ambition du Connecteur de mieux relier les territoires entre eux, de mieux valoriser leurs initiatives. Je pourrai y contribuer en activant mes contacts dans les Combrailles.  

Et enfin, le Connecteur veut proposer une série de Masterclass en s’appuyant sur les expertises de ses administrateurs. Je trouve ça intéressant même si le format court peut être un peu frustrant. Je proposerais bien un format de séances de codev professionnel en ligne.

On monterait un petit groupe auquel on proposerait une petite série de séances de 2h maximum. Je crois que ce serait utile pour accompagner l’émergence de projet et que cela pourrait constituer un bon appui pour le porteur de projet. 

Le meilleur conseil jamais reçu ?

Je le pique à Mac Do “Venez comme vous êtes”, pour moi c’est l’accueil véritable, la promesse d’un endroit où l’on arrête de se forcer, où l’on peut être vraiment soi-même. C’est devenue un mantra “Je fais avec ce que je suis, là, maintenant.”  

Ton plus bel échec ?

J’ai vécu un échec professionnel assez violent à l’occasion d’un coaching d’une équipe de direction d’un grand groupe. Je les ai accompagnés pendant 12 mois et je me suis fait éjecter par l’équipe à la fin. Ça a été très dur à digérer. J’aurais pu tout arrêter.  Mais au contraire, cela m’a obligée  à prendre conscience de mes propres ornières dans ma posture, à travailler dessus… et à repartir plus forte, plus consciente … sûre que je voulais aller dans la direction que j’avais choisie.

Ton épitaphe de rêve ?

L’épitaphe je ne sais pas, mais la musique oui ! Ce sera le morceau Beth Gibbons, Mysteries de l’album Out of Season. J’aime aussi l’humour alors l’épitaphe pourrait être “ elles est enfin toute bio “ 

Tes respirations/ inspirations : lectures, podcasts, …

La leçon inaugurale de Bruno Latour  à Science Po  en 2019. Je suis très immergée dans sa pensée, incontournable selon moi aujourd’hui dès lors que l’on  cherche à construire du sens. 

La vidéo de Louis Fouché “Apres la pluie” qui parle de sa résistance politique en se confrontant au monde. J’aime beaucoup la posture de ce médecin, elle m’aide à me repérer, à m’orienter dans notre trouble sanitaire et démocratique du moment. 

Et puis mes lectures pour m’échapper ? Les romans policiers de Fred Vargas. 

Les autres portraits déjà parus

Emmanuelle Collin. Bousculer les croyances limitantes.

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À propos de Véronique Jal

Ma ligne guide depuis 15 ans, c'est le management de projets collectifs à fort "sens ajouté" : les fromages AOP, les hébergements touristiques, la démarche d'attractivité d'une région... et aujourd'hui l'innovation territoriale via un média associatif Toulousaine d'origine, j'ai découvert et choisi l'Auvergne que mon parcours pro m'a amenée à connaître sous plein de facettes. J'adore cette activité qui nous permet d'être en situation permanente de découverte.