Le Connecteur est un média associatif. Après une série consacrée à son conseil d’administration, parole aux membres de l’équipe. Toujours la même série de questions: lien au territoire, sens de l’innovation, envies, valeurs, … Cette fois, c’est le duo Pauline Rivière & Véronique Jal qui répond à nos questions.
Pauline, après ses études, a travaillé dans le vin et les fromages, avant de s’orienter vers la vidéo. Véronique, quant à elle, a commencé avec la collective des fromages d’Auvergne- tout en appréciant un bon verre de vin pour aller avec- puis le tourisme, l’attractivité du territoire… C’est leur passion pour le terroir et les territoires qui les ont amenées à se rencontrer.
Ensemble, elles avaient monté, notamment, le projet “Les pépites du nouveau monde”, un road trip à la découverte des belles initiatives du territoire auvergnat.
Et ce n’est donc pas un hasard si elles se sont retrouvées autour du projet du Connecteur, relevant le défi de prendre la suite de Damien Caillard, dit le cyborg, en co-direction, à temps partagé. Elles sont un peu le yin et le yang, le feu et la glace, les soeurs Tatin aussi (poke Bas D.) très complémentaires et depuis deux ans, cet étonnant attelage fonctionne bien !
Pauline, Véronique, qu’est ce qui vous anime par rapport à cette question de territoire(s) ?
Véronique : Justement, cette idée qu’il y a des pépites partout. Mais qu’elles sont souvent invisibles et peu considérées. Cette idée de l’invisibilité nous préoccupe beaucoup et au fur et à mesure que nous sommes entrées dans le projet du Connecteur, nous avons pris conscience qu’il y avait une vraie problématique d’invisibilité médiatique. Pour les “territoires”, mais pas seulement. Ce mot d’ailleurs “ La France des territoires” dit beaucoup finalement de la considération que l’on y porte. Sinon quoi ? La France de Paris ?
Pauline : Bref, ce sujet, que l’on retrouve dans la notion de diagonale du vide, enseignée à des générations d’écoliers et qui imprime bien les perceptions, nous tient beaucoup à cœur. Sur les territoires donc, il y a peut-être d’autres formes de collaboration, d’autres modèles, d’autres ambitions…
De notre point de vue, cela ne les rend que plus intéressants.
V : Nous portons un projet que nous avons encore un peu de mal à enclencher pour être honnêtes, de rédactions éphémères dans les départements d’Auvergne. L’idée ? mettre en lumière et en relation les écosystèmes de l’entrepreneuriat et de l’innovation, favoriser la connaissance, la rencontre, l’émulation … Pour cela, nous voulons prendre appui sur le réseau que nous avons déjà avec les tiers-lieux, qui sont très souvent au cœur des écosystèmes d’entrepreneuriat, notamment par le biais des événements qui s’y déroulent.
P : D’ailleurs, nous sommes partenaire de Marque Auvergne pour l’accompagnement des Upheros dans les 4 départements et organisons nous-mêmes celui de Clermont. Pour ce projet, nous essayons de modéliser un fonctionnement: d’abord analyser les besoins, ensuite recenser et cartographier puis raconter et mettre en relation.
L’enjeu : l’innovation, ça devrait servir à…?
Nous avons pris le temps, lors du premier confinement qui a soudain ralenti le rythme du quotidien, de nous interroger, en équipe et avec notre conseil d’administration, sur notre raison d’être. Le Connecteur est spécialisé sur les questions d’innovation. Certes. Mais pour quoi, pourquoi, pour quoi faire …
Cette réflexion nous a amenés à reposer nos valeurs : les notions qui sont ressorties fortement sont l’humain, la proximité, l’énergie et le côté sympa, les territoires, l’engagement, la collaboration et la contribution, l’inspiration. Nous avons remis tout ça dans le shaker pour réécrire notre Manifeste. Il repose sur 3 piliers fondamentaux:
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Connecter les écosystèmes
Dans notre position mi-dehors mi-dedans, nous voyons beaucoup d’initiatives qui gagneraient à se parler. Souvent, nous faisons le constat d’un dialogue inexistant ou difficile.
C’est à ça que nous avons envie de contribuer : créer du lien en permettant l’expression de points de vue différents. Et puis l’élément caractéristique, c’est le fait d’entrer dans les sujets et les ‘structures’ par les personnes qui les portent.
Parce que les projets sont toujours d’abord portés par des individus, avec des moteurs qui leur sont propres, des valeurs, …
C’est ce qui permet de comprendre au sens littéral du terme. C’est aussi le cas des 2 groupes du Club Open Innovation, porté par Le Connecteur, dont l’objet est de diffuser la culture et la pratique de l’open innovation pour contribuer à créer les conditions du développement de collaborations.
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Faire ensemble pour faire mieux
Dans la lignée du point précédent, nous pensons que la rencontre et la compréhension mutuelle sont sources de projets, de collaborations, de création de valeur. Pour ce qui nous concerne, nous avons décidé de ne plus rien faire seul. Derrière chacune de nos idées, nous allons chercher des partenaires qui peuvent se retrouver dans l’univers, les valeurs … On s’intéresse de la même façon aux projets portés par nos partenaires du quotidien.
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Faciliter et polliniser
C’est à ça, in fine, que Le Connecteur veut servir, faciliter les projets à l’échelle locale, bonne maille pour l’action positive.
Pour vous, quelles valeurs faut-il défendre ?
V : La capacité à s’écouter. Nous sommes assez préoccupées par la division en bulles sociales qui ne se parlent pas et ne se supportent plus.
P : Dans notre coworking, il y a Samy Lange qui a créé Euristika, l’école citoyenne d’autodéfense intellectuelle. Nous avons envie de trouver des formes de collaborations sur ce sujet, notamment à propos de nos capacités à débattre sans s’insulter.
La diversité : cela va avec. On ne peut pas favoriser le débat s’il n’est pas partagé par une vraie diversité de points de vue. C’est un sujet énorme. Parce qu’il y a réellement une main mise de l’expression. Donc modestement, nous avons décidé de commencer par aborder la parité de genre.
Nous sommes deux femmes, assez sensibles au sujet et pourtant, quand nous avons analysé nos contenus, nous avons fait le constat que nous étions loin de la parité. En fait, si l’on n’y prend pas garde, on obtient naturellement le reflet de la société. Il n’y a pas de parité aux postes de direction, il y a une sous représentation des femmes dans la tech, en politique …
V : Les expertes est un annuaire national des compétences thématiques et géolocalisées. C’est un outil que nous trouvons super intéressant et très opérationnel avec lequel nous allons collaborer. L’idée pour nous est de relayer cette initiative vers nos réseaux en incitant un maximum de femmes à s’y inscrire. Et de notre côté, nous nous engageons à mettre en place un indicateur, puisqu’on n’agit bien que sur ce que l’on mesure …
P : Bien sûr, prendre le sujet par le genre n’est qu’un tout petit bout du problème. La dimension rurale en est une autre. Il y a aussi les jeunes, cible sur laquelle nous expérimentons des formats sur un réseau comme Instagram. Il faut que l’on puisse entendre toutes les voix. Nous pensons qu’il y a un vrai enjeu à ce que les jeunes auvergnats connaissent leur environnement économique. Cela crée confiance et émulation.
Une action collective à laquelle vous participez et dont vous êtes fières ?
V : Un média associatif, c’est un modèle assez subtil que nous avons contribué à stabiliser, même si c’est toujours un équilibre fragile. Nous cherchons à garantir l’accès gratuit à nos contenus et nos projets, c’est la raison d’être du Connecteur, donc il faut trouver des sources de revenus autour de nos expertises, qui soient le plus proches possibles de notre univers, de nos valeurs … c’est subtil donc mais pour l’heure, les signaux sont plutôt au vert. Et puis, nous avons un très beau conseil d’administration, avec des profils différents et une envie commune de partager. Avec eux, en prenant appui sur leurs expertises, nous avons construit un programme de Masterclass ou ateliers, sous forme de parcours autour de l’entrepreneuriat.
P : Souvent, on va chercher ailleurs, ce qui se trouve déjà ici. C’est une façon de faire vivre nos piliers ‘faire ensemble’ et polliniser. L’apprentissage en pair à pair.
Concernant les projets du Connecteur, lesquels vous inspirent particulièrement ?
Pauline : Les carto ! C’est un sujet “serpent de mer”, mais on commence à mettre en place notre propre méthodologie qui s’avère assez efficace. C’est passionnant de voir un écosystème existant prendre forme sous nos yeux. Nous avons démarré en mode ‘effectual’ : nous avons identifié des cercles, le financement, la formation, la recherche, l’incubation-accélération … et placé les logos des acteurs connus de nous. Après ça, nous avons commencé à faire circuler vers des partenaires proches pour qu’ils complètent et ensuite, nous avons publié pour susciter les “ehhh moi, vous m’avez oublié” et petit à petit, la carto se complète.
Véronique : Grâce à cette carto, on identifie les têtes de réseaux, que l’on plugge sur un outil d’intelligence artificielle. Cette IA va ensuite analyser les conversations sociales et créer une ‘fiche’ pour chaque entité avec laquelle une tête de réseau a interagi. Le système est très intéressant parce qu’il permet de générer la donnée qualifiée de manière automatique.
Pauline : Nous avons envie de systématiser cette mécanique à chacun de nos dossiers thématiques. Le graal étant de pouvoir ainsi cartographier les écosystèmes de la mobilité, du jeu vidéo, de la santé …
Véronique : Le potentiel est énorme mais le chemin encore long. Il y a aussi derrière l’idée d’aller jusqu’à l’individu. C’est là la vraie valeur pour un nouvel arrivant ou pour un entrepreneur de savoir à qui s’adresser, de manière normative, voire incarnée si nous étions capables de lier infos et portraits des acteurs publiés par Le Connecteur.
Le meilleur conseil jamais reçu ?
Véronique : Ce n’est pas un conseil mais un concept. Celui dit de « l’effet Dunning Kruger« , passionnant pour décrire ce à quoi nous assistons aujourd’hui : la surenchère de l’expression assurée sur tous les sujets, y compris les plus complexes.
Savoir qu’on ne sait rien, c’est déjà une belle assurance.
Pauline : “Tu verras, avec le temps, que tout ce qui arrive, à la fin, c’est toujours pour le mieux, même si, sur l’instant, tu le vis comme un échec”. J’avais 20 ans quand on m’a dit cette phrase, elle résonne encore quotidiennement.
Ton plus bel échec ?
Véronique : Plus qu’un échec, c’est un challenge qu’on n’a pas encore vraiment réussi à matérialiser: celui d’organiser des débats constructifs, dans lesquels l’empathie soit centrale, où l’on parvient à mettre l’auditoire dans une vraie posture d’écoute…
Pauline : sans rentrer dans les détails, celui de ne pas avoir cru assez en moi et de m’être laissée déposséder de mes idées, pour les remplacer par un patchwork incompréhensible.
Une belle leçon de vie : parfois il faut assumer de n’en faire qu’à sa tête
Ton épitaphe de rêve ?
Pauline : Ci-git quelqu’un qui en a toujours fait qu’à sa tête !
Véronique : j’imagine plus des cendres qui volètent
Tes respirations/ inspirations : lectures, podcasts, …
Véro
- Les chroniques de Guillaume Meurice
- La communauté Ted Talks en français qu’alimente régulièrement Lionel Faucher
- La page Facebook de Cécile Coulon, j’adore l’alternance de poésies et de blagues très souvent hyper drôles
Pauline
- Les chroniques humoristiques de France Inter : Meurice, Pastureau, etc.. je suis fascinée par leur capacité à produire chaque jour 5 minutes de drôlerie sur des sujets qui ne le sont pas moins
- France Culture d’une manière générale : toutes les fictions sonores comme celle sur Lehman Brothers, Affaires Etrangères, L’Esprit public, franchement …
Bouquins
Véro
Des revues qui vont faire très bobo 😉 : Socialter, Zadig, Revue 21, Alternatives économiques, Causette …
Sinon, je lis beaucoup, plutôt des romans, j’ai aimé Cécile Coulon, Une bête au paradis, En finir avec Eddy Bellegueule, d’Edouard Louis, Rien ne s’oppose à la nuit par exemple de Delphine de Vigan… j’aime aussi les policiers.
Mon meilleur souvenir, déjà ancien, de « filon » littéraire, c’est l’oeuvre de John Irving … j’ai -presque- tout aimé ! J’adore ce moment où on découvre un auteur et on s’aperçoit qu’il a beaucoup écrit…
Pauline
A l’inverse de Véro, même si en lisant Socialter ou Zadig je me sens comme dans de vraies bonne vieilles pantoufles, j’aime aller chercher la contradiction et lire la presse ou des magazines éloignés de mes propres convictions.
Sapiens, j’ai adoré, et là j’ai commencé Tout le monde ment (et vous aussi) sur le Big data.
Série / Films
Véro : J’aime bien les polars, le cinéma français, Woody Allen même s’il est désormais peu recommandable. Et sinon, je n’arrive jamais à rentrer dans les grosses productions type Les Seigneurs des anneaux, les trucs à effets spéciaux me saoulent !
Pauline : j’adore les thrillers politiques et les dystopies, elles permettent de nous interroger sur les garde-fous à mettre en place pour préserver nos sociétés et l’humanité.
Les autres portraits déjà parus
Yan Bailly: seuls, on ne fait jamais mieux.
Gabriel Oleknovitch: agir comme tisseur de liens.
Claire Antoine: faciliter la collaboration.
Damien Caillard: journalisme, environnement et … bilboquet.
Virginie Rossigneux. Favoriser la controverse.
Emmanuelle Collin. Bousculer les croyances limitantes.