Le Connecteur est un média associatif. Son conseil d’administration est donc le creuset du projet global. Une série de portraits pour comprendre ce qui rassemble ceux qui ont eu envie de rejoindre – ou poursuivre – l’aventure. Chacun a répondu aux mêmes questions: son lien au territoire, le sens de l’innovation, ses envies, ses valeurs… avec sa sensibilité.
Lionel, tu fais quoi dans la vie ?
Pour résumer ma semaine dans les grandes lignes, j’ai d’abord une activité bénévole autour des conférences TEDx. J’ai aussi une activité en développement dans le tourisme au Maroc (on pourrait dire en pause depuis bientôt 1 an), et une activité plus traditionnelle de consultant en stratégie et innovation.
Ce qui t’anime par rapport à cette question de territoire(s) ?
Je suis né à Clermont, puis je suis parti pour mes études à Paris où j’ai travaillé quelques années. J’ai aussi vécu en Australie et au Canada. Quand je me suis posé la question du siège de l’agence vidéo en ligne (que j’ai créé en 2003), je me suis dit qu’à Clermont, ça serait plus facile et moins onéreux que dans une capitale. Si je recrutais des jeunes talents, ça serait moins difficile de les retenir (en particulier les développeurs).
Les volcans pour les clients internationaux… et une adresse à Paris pour les français.
Par construction, mes fournisseurs de contenu et mes clients étaient partout dans le monde. Ils étaient plutôt curieux de savoir où j’étais basé en France. Cela peut même être un sujet pour briser la glace, parfois en envoyant une belle photo des volcans… C’est pour convaincre les clients français qu’on a ouvert un établissement secondaire à Paris (un KBis avec une adresse parisienne pour facturer) !
Zone de test
Dans un monde connecté, une métropole de la taille de Clermont propose une bonne adéquation. Entre qualité de vie, éducation, santé à un prix raisonnable et écosystème d’entrepreneuriat et/ou d’innovation exigeant et ouvert sur le monde. Des marques testaient d’ailleurs leurs services et produits auprès des auvergnates et auvergnats qui sont connus pour être des clients difficiles. Une jeune pousse qui voudrait s’essayer aux exigences du reste du monde pourrait se jauger auprès des multinationales et des internationaux présents dans la région. Par exemple, grâce à Michelin ou l’université. Il y a un vrai brassage de nationalités à Clermont.
J’ajouterais que nous vivons dans le bon format de territoire pour inventer et tester les choix de transition. Des décisions qui s’imposent ces dernières années pour réduire l’impact de l’homme sur l’environnement. Notre territoire présente à la fois les richesses et les problématiques de la ville et de la campagne. Il possède donc de nombreux atouts pour devenir une référence sur le sujet…
L’enjeu : l’innovation, ça devrait servir à…?
Avec la contrainte reconnue que la planète fait 40 000 kilomètres de circonférence, l’innovation peut intervenir. Nécessaire, ses capacités peuvent servir à assurer la survie de l’humanité sur terre. Elle doit contribuer à réduire drastiquement son impact sur l’environnement. En supposant l’augmentation de la qualité de vie. Et, comme c’est le cas avec les grandes inventions (la roue, la machine à vapeur, l’électricité, le télégraphe, la vaccination… puis l’Internet, la téléphonie mobile), les innovations sont d’autant plus impactantes qu’elles touchent rapidement une grande partie de la population.
L’adaptation
L’innovation n’est pourtant pas une spécificité humaine. Le vivant innove depuis 3,8 milliards d’années pour survivre et se développer. L’innovation dans le vivant naît d’une erreur de reproduction. Cela crée une descendance qui se développe mieux que ses ascendants, parce que mieux adaptée aux conditions.
L’innovation ne serait alors que le résultat statistique d’une masse d’erreurs…
La volonté
Ce qui est une spécificité humaine, c’est la volonté. L’Homme a prouvé qu’il peut faire mieux que le hasard de l’évolution. Il possède aujourd’hui à la fois la conscience de son environnement mais aussi une connaissance accumulée unique dans l’Histoire. En particulier une meilleure compréhension des 3,8 milliards d’années de R&D de la nature. Une une puissance d’innovation jamais vue, au-delà même de ce qu’on aurait pu imaginer il y a encore quelques dizaines d’années.
Le contexte actuel nous oblige à choisir les sujets critiques.
Certainement aux dépens de la nième application pour tuer le temps ou du fantasme de la machine qui crée de l’argent en brulant du charbon !
Les valeurs à défendre ?
J’en vois trois à défendre :
Les communs
Jusqu’à la fin du siècle dernier, les développements économiques et technologiques ont permis de nombreuses améliorations. L’espérance et les conditions de vie de centaines de millions de gens. On sait depuis le rapport Meadows de 1972 (commandé par le Club de Rome). La croissance telle que nos parents et nous mêmes l’avons vécue n’est plus possible sans mettre en péril les grands équilibres de la planète… Il est aussi important de reconnaître avec la crise de la Covid-19, les gains de productivité et d’efficience économique de nos systèmes se sont faits au détriment de leur résilience, c’est à dire de leur capacité à absorber les chocs.
Ces chocs qui font partie de l’existence et dont on sait aussi que l’impact dépasse généralement les prévisions les plus pessimistes ! Les communs, au sens large, sont une sorte d’assurance résilience pour les chocs à venir ;
La connaissance
Parmi ces communs, la connaissance, où plutôt l’ensemble des résultats de la recherche de connaissances, recherche menée de manière scientifique. Certes, la méthode scientifique est imparfaite, parfois perméable à la corruption, sensible aux biais cognitifs et culturels. Elle demeure de très loin la solution collective et globale la plus aboutie pour développer la compréhension du monde qui nous entoure ;
Enfin, la confiance
Nous sommes dans une période compliquée où l’avis d’une influenceuse compte autant que celle d’une chercheuse. Période où les médias se chamaillent l’attention des spectateurs avec des images tragiques d’arbres qui tombent, détournant leur propre attention de la forêt qui continue de pousser. Enfin, une période où certains lobbys alternatifs réussissent à inquiéter les populations avec des dangers bidons pour placer leurs faux remèdes. C’est vrai qu’il est plus confortable de croire une vision simpliste mais fausse du monde, plutôt que d’accepter sa vraie complexité. A l’école, dans les médias, dans les discours, dans les débats, dans les dîners… la confiance est la fille de la rigueur et de l’humilité.
Une action collective à laquelle tu participes et dont tu es fier?
Evidemment, je suis très fier du travail totalement bénévole accompli par les équipes qui ont permis d’organiser 5 belles éditions de TEDxClermont qui soutiennent la comparaison avec les meilleurs TEDx en France et dans le reste du monde.
Aussi, je suis très fier d’avoir participé, dans ma vie précédente, à ma petite échelle et depuis Clermont, entre 2000 et 2015, au développement de la vidéo sur Internet auquel la France a beaucoup contribué.
Akamedia a été développé dans un écosystème alors foisonnant. Il incluait les initiatives open-source Videolan/VLC par les étudiants de Centrale Paris (VLC, le logiciel open source et le player vidéo le plus téléchargé dans le monde fête ses 20 ans ce mois-ci). Il a vu naitre FFMPEG lancé par Fabrice Bellard, aujourd’hui intégré dans VLC, mais aussi sur iTunes, sur YouTube et vraisemblablement dans de nombreux logiciels d’encodage. Ou encore, la première agence vidéo sur Internet Digipresse qui faisait du Vice avant l’heure.
Histoire de la vidéo sur Internet et ce qu’elle nous apprend
La France disposait en 2002 d’un des tout premiers services de télé par Internet avec Free. A la même époque sont nées les plateformes grand public comme PulseVision devenue Kewego (qui hébergeait une grande partie des vidéos de la presse écrite). Puis DailyMotion, né en 2005 en même temps que YouTube, qui avait réussi à marquer à la culotte le service vidéo de Google jusqu’en 2012. Il y avait aussi Glowria, le concurrent français de Netflix !
Du côté des fournisseurs de technologies audiovisuelles, on trouvait la sécurité chez Nextamp (startup française devenu leader mondial en fusionnant avec son concurrent néerlandais Civolution, renommé Kinetiq plus récemment). On trouvait l’INA, avec sa technologie de traçage du contenu Signature, la logistique numérique avec Smartjog (pour transporter les rushs et les longs métrages de toutes les majors du cinéma US, intégré depuis dans le groupe TDF).
J’ai ensuite vu naître en 2009 les premières « régies » pour la publicité vidéo sur Internet. Teads créée à Montpellier ou encore StickyAds créée à Paris par le clermontois Gilles Chetelat (lire le portrait – un peu ancien – du Connecteur) avec son associé Hervé Brunet…
Il y a eu de très beaux succès, plutôt du côté publicitaire et dans l’open source. Mais aussi de nombreux échecs du côté des ayant-droits et des plateformes grand-public. De ce fait, il y a surtout eu des contributions importantes aux technologies utilisées aujourd’hui (voir Note 1), surtout si on intègre les contributions des autres grands pays européens.
A cette période, les acteurs ont tous été confrontés à une forte réticence au changement suivie d’un manque criant d’ambition de leurs interlocuteurs européens. Ils ont fait face à l’inexistence d’un marché réglementaire unique (dans lequel on doit traiter tous les sujets pays par pays). Le tout, avec des financements d’un ordre de grandeur inférieur aux acteurs principalement US sur le sujet.
Un cas d’école pour les prochains grands sujets d’innovation en Europe…
Concernant les projets du Connecteur, sur quoi aurais-tu envie de t’investir ?
La raison d’être du Connecteur est de créer les meilleures conditions pour susciter les conditions de l’innovation sur le territoire. Cela passe par l’information de qui fait quoi et de ce qui se passe dans l’écosystème au sens large et aussi à l’extérieur. Les rencontres importent aussi, y compris les plus improbables. Celles, entre les acteurs du territoires autour de l’innovation, et peut-être par d’autres activités de co-construction…
En tout cas, dès qu’il sera de nouveau possible de réunir du monde en présentiel, je serai là de manière assidue pour contribuer à l’écosystème et faciliter les rencontres entre les uns et les autres.
Le meilleur conseil jamais reçu ?
« Si tu n’essaies pas, tu ne sauras pas ! » & « Il n’y a pas de mauvaise question, il n’y a que celles qu’on ne pose pas ! »
Ton plus bel échec ?
J’ai beaucoup de mal avec le jugement de valeur derrière le mot « échec ». Pour « échouer », il faut déjà avoir essayé, et peu de gens essaient, ce qui est bien dommage. Ceux qui essayent ne réussissent pas toujours à atteindre l’objectif qu’ils s’étaient fixé. Mais ils avancent et dans le pire des cas, ils apprennent en chemin. Je pense que plus j’essaie, plus je fais d’erreurs, et plus je fais d’erreurs, plus j’apprends à ne pas refaire celles que j’ai déjà faites.
Finalement, l’échec, ça serait de ne plus essayer…
Ton épitaphe de rêve ?
Je t’avoue que ce n’est vraiment pas ce qui me fait rêver ! Si l’Internet existe encore alors, j’opterais bien pour une épitaphe digitale. Un lien vers une ultime playlist à disposition de toutes celles et ceux qui auront une bonne raison de penser à moi après. Ou plus simplement une graine qui devient un arbre qui porte mon nom…
Tes respirations/ inspirations : lectures, podcasts, …
Les livres :
Factfullness de Hans Rosling, Les Innovateurs de Walter Isaacson, Algorithmes de Cathy O’Neil
La presse écrite :
WeDemain, Socialter, Usbek & Rica, SoGood, l’ADN…
Un TED ou TEDx Talk au hasard !
J’essaie de publier régulièrement les TEDx Talks en français les plus inspirants dans ce groupe FB
Les conférences de Jean-Marc Jancovici ainsi que les meilleurs épisodes des podcasts « Dites à l’avenir que nous arrivons » dans Les Eclaireurs de Canal Plus, présenté par Mathieu Baudin de l’Institut des Futurs Souhaitables. « Sismiques » présenté par Julien Devaureix, ainsi que les nombreuses chaînes de vulgarisation scientifique ou d’esprit critique…
Mes respirations
Des playlists de radio et de DJ pour découvrir de nouveaux titres, et puis de long moments à ré-écouter des anciens titres et/ou de numériser d’anciens CD
Les séries « Years & Years », OVNI(s) et toutes celles que j’ai notées mais pas encore vues !
Les courts-métrages du moment, en particulier ces dernières semaines avec le pass en ligne du Festival du Court-Métrage 2021.
Note 1 : Pour illustrer les compétences de la France sur le sujet audiovisuel, l’actualité du 09 février dernier est intéressante : L’université de Nantes a en effet reçu un Emmy award pour la création d’un algorithme de compression de vidéo pour Netflix.
La vidéo du CNRS : Le VMAF un algorithme pour une image optimale | INVENTIONS, la saga continue